La posture très politique du Conseil suprême de l’Église apostolique arménienne

Suite à la réunion du 1er au 4 novembre du Conseil spirituel suprême convoqué au Saint-Siège d’Etchmiadzine, sous la présidence de Karekine II, Catholicos de tous les Arméniens, la déclaration, au sujet de derniers événements politiques concernant l’Arménie et l’Artsakh, donne à penser.

Après la révolution de velours, certains des plus hauts dignitaires de l’Église apostolique arménienne ont souvent pris des positions politiques partisanes. En tant que citoyens arméniens, ils ont ce droit, même si leur statut et leur mission religieuse auraient dû les inviter à plus de retenue. La déclaration publique de leurs positions politiques est sans doute confortée par les médias actuels, soucieux de trouver des pôles opposés et contradictoires et de les diffuser afin d’attirer l’attention du grand public. En ce sens, les ecclésiastiques sont une cible idéale, pour les journalistes, dans la mesure où le conservatisme des uns et le libéralisme des autres, demeure matière de traitements juteux.

Néanmoins, la déclaration du Conseil Suprême ne relève pas de l’opinion personnelle d’un clerc, ni d’une question d’intérêt purement journalistique ; c’est bien le résultat de consultations et  méditations approfondies, durant quatre jours, du Conseil spirituel sous la présidence du Catholicos, le chef suprême de l’Eglise apostolique arménienne. Cette déclaration est un appel très solennel aux autorités de la RA « à tout mettre en œuvre pour éliminer les lignes de division dans notre vie nationale, à mettre un terme aux approches discriminatoires fondées sur les convictions politiques, à surmonter l’atmosphère de haine et d’hostilité, à engager un dialogue significatif et sain impliquant tous les cercles nationaux,  pour assurer la sécurité de la République d’Arménie et de la République d’Artsakh par l’unité nationale, pour restaurer l’intégrité territoriale, pour prévenir d’éventuelles nouvelles pertes humaines et territoriales et pour défendre systématiquement le droit à l’autodétermination du peuple d’Artsakh auprès des instances internationales. »

L’appel solennel aurait été bien plus sain s’il avait été adressé à toutes les forces politiques de l’Arménie et de la Diaspora, parmi lesquelles l’opposition parlementaire qui a impitoyablement recours à un vocabulaire qui ne rend pas grâce à la dignité et à la morale, comme « fils de Turc, traître, Pashinogli… », des termes adressés au chef du gouvernement élu par le peuple. Et sans aucun doute, il serait bien plus sain si l’Église apostolique arménienne ne s’exprimait pas dans cette posture de donneuse de leçons, et se montrait plus autocritique, d’autant plus qu’il y a des passages dans cette déclaration dont le destinataire devrait être l’église elle-même, comme l’indique le propos du deuxième paragraphe, où il est dit : 

« Nous sommes tourmentés par la détérioration des valeurs spirituelles et morales au sein de la vie de notre peuple, la crise d’identité, la polarisation intra-sociétale, l’incertitude et l’anxiété face à l’avenir aux vues des manifestations de détérioration des sentiments, de la croissance des sentiments d’émigration, qui, avec leur effet corrosif, rendent difficile le dépassement des défis ontologiques existants. » Il semblerait que l’église découvre à peine ces phénomènes. Depuis l’indépendance, l’émigration constitue le fléau majeur affaiblissant le pays et condamnant ses enfants à l’errance sans patrie. Qu’a-t-elle fait, l’église, pour arrêter l’hémorragie qui frappait l’Arménie ces trente dernières années? Et aujourd’hui, pourquoi ne pas s’inquiéter du sort des Arméniens de Russie et d’Ukraine qui reviennent au pays pour fuir les hostilités et la guerre russo-ukrainienne. Le Conseil suprême est-il donc si coupé des réalités ?

La solidarité nationale ne se résume pas à des appels et des déclarations ; elle doit se prouver dans la pratique et par des actes concrets. Que l’Église montre l’exemple ! L’actualité récente prouve qu’hormis l’invitation du Catholicos adressée aux anciens présidents afin de créer un rassemblement national, les autres démarches de l’Église furent biaisées, comme, par exemple, le refus récent de participer au Sommet arménien mondial ou, autre exemple, sa participation partisane au rassemblement parlementaire de l’opposition du 5 novembre… L’attribution d’une médaille d’honneur à Sa Sainteté par Poutine n’a pas besoin de commentaire. Le bon sens voudrait que l’Église ne se mêle pas de politique et qu’elle s’engage plus activement à poursuivre sa mission spirituelle et éducative. Et aussi c’est une question d’importance capitale qu’une institution comme l’Église apostolique arménienne, qui compte une grande diaspora dans les quatre coins du monde, dont certaines dans des pays qui sont hostiles les uns aux autres (comme la Russie, les États-Unis, la Turquie, l’Iran, les pays arabes et Israël) pèse ses mots…

J. Tch.