L’alliance de trois organisations pour reboiser l’Arménie

Entretien exclusif avec André Gumuchdjian, président-fondateur de l’association My Forest Armenia

« NH » – M. André Gumuchdjian, vous êtes le président-fondateur de l’association My Forest Armenia qui a pour mission de reboiser l’Arménie, pays qui manque cruellement de forêts. Vous avez pris l’initiative de créer une alliance avec trois organisations qui sont actives dans ce domaine. Pourquoi cette initiative ?

André Gumuchdjian – D’abord je souhaite remercier « Nor Haratch » de son intérêt pour cette initiative et de nous avoir accordé cette interview. Les deux autres partenaires de cette alliance, Armenia Tree Project et Chene, plantent aussi des arbres et ont la volonté de créer des forêts. Lors des réunions conjointes avec les ministères, nous nous sommes rendu compte que nous partagions les mêmes préoccupations. C’est à ce moment précis que l’idée est venue de faire une alliance pour parler d’une seule voix auprès du gouvernement et des ministères, étant donné que ces derniers préfèrent parler à un seul interlocuteur qui représente le secteur.

Nous avons actuellement quatre urgences à traiter : 

1) La désignation des terrains susceptibles d’être reboisés.

2) La protection des forêts existantes contre, notamment, les vaches et moutons qui broutent les jeunes poussent des arbres dans les forêts et même dans le Parc National de Dilijan, empêchant ainsi l’auto-génération des arbres et le renouvellement des forêts. 

3) La protection des forêts contre les coupes de bois légales et illégales. Le gouvernement arménien autorise les habitants de certains villages de couper 8m3 de bois par an. Cela représente une surface énorme de forêts concernées par rapport à la surface totale des forêts de l’Arménie. Nous traitons aussi la question des forêts plantées pendant la période soviétique, cela concerne environ 36 000 hectares qui sont aujourd’hui au seuil de la mort. Si nous ne réagissons pas maintenant, ces forêts disparaîtrons dans cinquante ans. 

4) Et enfin, la sensibilisation de la population arménienne contre une ancienne habitude répandue à travers le pays qui consiste à brûler les champs et les pâturages, parce que les villageois pensent que cette action va permettre de régénérer le sol mais, en réalité, cela détruit la biodiversité dans les centaines d’hectares incendiés. 

Nous, les trois membres de l’alliance, militons pour que ces problèmes soient résolus rapidement. Notre prochaine action sera d’organiser une table-ronde avec les trois ministères en charge de ces questions, à savoir le ministère de l’Environnement, le ministère de l’Administration Territoriale et enfin le ministère de l’Économie, afin de trouver ensemble des solutions durables et définir les axes majeurs de nos interventions dans les années à venir.

« NH » – Depuis que vous avez fondé My Forest Armenia il y a trois ans et demi, avez-vous remarqué un changement de comportement du public autour de ces questions ?

A. G. – Je dirai que oui, il y a un changement de conscience, notamment auprès des villageois avec qui nous travaillons. Ces villageois sont très contents et demandeurs de notre présence et collaboration parce que nous générons du travail dans ces villages où, parfois, les habitants n’ont aucun emploi. Mais si je compare avec la population globale de l’Arménie, le niveau de conscience est malheureusement faible.

L’idée de la présentation de presse était justement d’avoir un écho auprès de la population d’Arménie pour la sensibiliser à ces urgences et à lui expliquer l’importance des forêts et de la biodiversité dans leur vie quotidienne et dans l’avenir du pays. Quand un pays dispose d’une population consciente, ses politiciens prendront alors des bonnes et justes décisions.

« NH » –  Quelles sont vos actions récentes ? Avez-vous atteint les objectifs fixés pour cette année ?

A. G. – Je suis fier d’annoncer que nous avons atteint la plantation de 426 000 arbres l’année dernière, et j’espère dépasser ce chiffre cette année car nous avons beaucoup plus de travailleurs que l’année dernière. Si je compte les travaux que nous allons réaliser jusqu’en avril prochain, nous allons pouvoir planter quelque 600 000 arbres. Je serai en mesure de vous communiquer des chiffres exacts fin avril 2023.

« NH » – Combien d’hectares représente la plantation de 600 000 arbres ?

A. G. – Environ 150 à 160 hectares. 

« NH » – Disposez-vous de statistiques sur la surface boisée de l’Arménie ? Selon vous, quelle part du territoire doit être boisée pour permettre une régénération naturelle des forêts ?

A. G. – En 2015, le gouvernement arménien à signé un traité avec les Nations-Unies pour doubler sa surface forestière jusqu’en 2050. L’objectif à atteindre est magnifique mais cela représente un énorme territoire. Il s’agit en réalité de l’augmenter de 300 000 hectares sur 30 ans, soit 10 000 hectares par an. Nous sommes loin du compte. 

Même si nous arrivions à planter 800 000 arbres par an d’ici 2025, voire plus, c’est encore peu pour atteindre une surface de 300 000 hectares.

Nous ne sommes pas les seuls à mener un projet de reforestation en Arménie. Il y a d’autres acteurs qui plantent aussi comme « Hay Antar », l’organisation gouvernementale de la gestion des forêts qui plante de l’ordre de 200 hectares par an.

Si j’additionne les efforts de tous les acteurs, nous ne pourrions atteindre que 1 000 hectares par an. 

Pour cette raison, le gouvernement arménien doit prendre des mesures claires pour encourager la reforestation du pays en commençant par désigner les terrains à planter. Notre expertise auprès du gouvernement permet notamment de mener des réflexions sur le moyen et le long terme, une habitude que le gouvernement arménien n’avait pas. Pour designer des territoires à reboiser il faut commencer par répondre à la question : que voulons nous faire de ces territoires ? Les transformer en prairies, en forêts, en vergers, ou bien les céder aux compagnies minières, etc. ?

Nous avons des conseils à donner au gouvernement et c’est au pays de faire le choix.

« NH » – Planter 400 000 arbres procure du travail à combien de personnes ?

A. G. – Je dirai 150 personnes. Notre organisation compte aujourd’hui 49 collaborateurs repartis à Erevan et à Vanadzor, dont 28 travailleurs saisonniers qui nous rejoignent d’avril à novembre pour travailler dans les pépinières, semer les semis et faire grandir les plantes. Maintenant c’est la saison pour sortir ces plantes de la terre et les planter dans les surfaces dédiées. 

Nous avons en ce moment 200 travailleurs pour planter les 400 000 arbres prévus de la saison.

« NH » – Le rythme de vos plantations va doubler, de 400 à 800 000 arbres et plus, cela impliquera naturellement plus de main-d’oeuvre et de moyens financiers, sans oublier l’entretien des arbres plantés les années précédentes. Pensez-vous pouvoir relever le défi ?

A. G. – Je pense que nous allons réussir à relever ce défi. D’abord c’est une question d’organisation. Il y a trois difficultés pour planter les forêts : 

1) Trouver le financement, 

2) Trouver les terrains dédiés exclusivement à planter une forêt, 

3) Trouver les travailleurs pour planter et entretenir les arbres.

J’avoue que le point le plus compliqué et le facteur limitatif entre ces trois difficultés est le dernier.

Pour faire passer notre rythme de plantation de 400 000 à 800 000 arbres, voire plus, il nous faut une vraie organisation et gestion interne, il nous faut des bons manageurs locaux, des véhicules, des pépinières, des ouvriers, etc.

Je suis content de voir que des organisations internationales sont impliquées dans ce processus et soutiennent l’Arménie dans cette démarche de reboisement. Nous recevons parfois des demandes énormes auxquelles nous ne sommes pas capables de répondre aujourd’hui, mais que nous espérons être capables de réaliser sur le plus long terme.

« NH » –  Quel est le budget annuel de ces opérations ?

A. G. – Pour l’instant nous avons un budget annuel d’un demi-million d’euros et j’espère que nous allons atteindre le million par an et même davantage bientôt. 

« NH » –  Cette alliance pour la forêt pourrait-elle avoir un impact pour trouver de nouveaux financement ?

A. G. – Je ne le pense pas. Cette alliance a surtout un rôle de réflexion et d’accompagnement auprès des décideurs pour agir en fonction des intérêts de la forêt. Nous souhaitons devenir l’avocat et le porte-parole des forêts auprès du gouvernement et du grand public. 

« NH » – Quel est votre message aux Arméniens de France et à la communauté francophone ?

A. G. – Je les invite à soutenir nos projets via notre site internet www.myforestarmenia.org et à devenir donateur mensuel, de 5 à 25 €. 

Chaque citoyen français ou belge est responsable de dégâts occasionnés à la planète. Pour compenser nos actions négatives pour l’environnement, il est souhaitable de faire planter des arbres en faisant un don de 25 € par mois. Les Arméniens de France ou de Belgique ou de la grande communauté francophone de l’Europe peuvent soutenir nos actions et participer avec nous à la reforestation de l’Arménie et, ainsi, à la création d’emplois dans les villages reculés et défavorisés du pays.

Notre site web (www.myforestarmenia.org) dispose d’un calculateur qui permet d’évaluer l’impact du bilan carbone de chacun d’entre nous et de le compenser en plantant des arbres.

Propos recueillis par 

Jiraïr TCHOLAKIAN