Corridor de Latchine : le prétexte écologique

Le média Azeri Times écrit : « L’Albanie, les Émirats arabes unis, la Russie et le Royaume-Uni ont bloqué la discussion de la déclaration proposée par la France à la session du Conseil de sécurité (CS) de l’ONU sur le corridor de Latchine. » À cette occasion, l’ambassadeur d’Azerbaïdjan auprès de l’Union européenne, Vakif Sadikov, a exprimé sa gratitude aux États mentionnés et a rajouté : Aujourd’hui, la France a encore perdu une bataille devant le CS de l’ONU. Sa déclaration pro-arménienne biaisée à propos de Latchine a provoqué une vive opposition parmi les autres membres du Conseil de sécurité. »

Une chose est sûre, la guerre ukrainienne s’est étendue au Caucase du Sud, notamment en raison de la question de l’Artsakh, où la Russie a une présence militaire vulnérable. L’Azerbaïdjan est naturellement devenu un partenaire stratégique de l’Occident lorsque la Russie a commencé à utiliser des missiles anti-aériens iraniens contre l’Ukraine. L’Azerbaïdjan représente, aux yeux de l’Occident, un outil précieux pour lutter contre la présence russe en Artsakh et en Arménie, et en raison de ses ressources pétrolières. Pour l’Occident, les considérations stratégiques et économiques ont primé sur celles purement démocratiques et culturelles. Malheureusement, l’appel à l’aide humanitaire, au respect des droits de l’homme et à la défense des valeurs démocratiques, défendu par l’Arménie, semble rester vain.

Après l’attaque du 13 septembre, le gouvernement arménien a mené une politique étrangère très active, grâce à laquelle deux sessions du Conseil de sécurité de l’ONU ont été convoquées. La première, consacrée à l’attaque des frontières souveraines de l’Arménie par les Azéris, et la seconde au blocage du corridor de Latchine par les mêmes Azéris afin d’éviter une crise humanitaire en Artsakh. Si l’attaque et l’occupation du territoire souverain de l’Arménie a été condamnée, il n’y a pas eu d’avancée pour dénouer la crise humanitaire en Artsakh. Et les Azéris ont même réussi à perturber la publication de la résolution finale du Conseil de sécurité.

Le changement astucieux de stratégie est perceptible du côté azéri : elle a quitté le terrain des opérations militaires, et elle est passée aux exigences écologiques, changeant la règle du jeu, surprenant les parties arménienne et russe. Cette stratégie est passée de l’attaque du territoire souverain de l’Arménie pour se concentrer au siège de l’Artsakh sous prétexte de protection de l’environnement, de ses ressources naturelles, de ses mines. Une manœuvre qui s’est avérée très bénéfique, bien que chacun comprenne que la conservation de la nature n’est qu’une excuse pour faire pression sur l’Arménie et l’Artsakh. Cependant, cette tactique a également été bénéfique pour les acteurs occidentaux, car en faisant pression sur l’Artsakh, pression est faite sur l’armée russe, qui montre sa faiblesse, étant incapable d’assurer la défense du couloir reliant l’Arménie à l’Artsakh.

Déjà, début décembre dernier, la visite d’Araïk Haroutunian à Paris montrait que l’internationalisation de la question d’Artsakh est une arme à double tranchant, accordant une belle opportunité pour les Azéris et les Turcs de mettre à profit cette visite. Araïk Haroutunian a déclaré à plusieurs reprises devant des hommes politiques et des journalistes français la nécessité de la présence de troupes russes pour la protection de l’Artsakh. Il a même appelé l’ONU à lui donner un mandat international pour sa présence. Pour l’Europe et les USA, ces appels sont inacceptables et stratégiquement condamnables. Le seul élément défendable est la protection du principe de l’intégrité territoriale de l’Arménie, car cela offrirait à l’Arménie l’opportunité de devenir indépendante de la Russie. De retrouver sa souveraineté.

Le destin de l’Arménie et de l’Artsakh est si incertain que penser en termes de politique « pro-russe », « anti-russe »,
« occidental » et autres empêche le développement d’une véritable stratégie étatique. Autant la Russie semble inutile du côté militaire, autant elle demeure un partenaire économique important et un fournisseur d’énergie bon marché. L’Azerbaïdjan a trouvé un moyen de corriger l’erreur stratégique qu’elle a commise, passant de la confrontation armée à la protection de la nature. De l’Arménie à l’Artsakh.

L’État arménien se défend tant bien que mal. Il tente de ramener l’attention de la communauté internationale sur les conséquences de l’attaque de l’Azerbaïdjan contre lui, sur la restauration de l’intégrité territoriale, sur la poursuite des crimes de guerre… Mais les orientations stratégiques du passé pèsent encore lourdement.

J. Tch.