Ils n’ont pas pu sauver le soldat Ruben

Par Marc DAVO

Le président Araïk Haroutunian a démis de ses fonctions le ministre d’État Ruben Vardanian, a-t-on appris le 23 février, à l’issue d’un feuilleton sur les désaccords au sommet de l’État, qui a occupé le devant de la scène médiatique. L’entourage du président Haroutunian regardait avec méfiance l’extension de l’influence du ministre d’État. Celui-ci donnait l’impression d’avoir monopolisé les ondes aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, pour exposer ses vues. Ces dernières ne s’accordaient pas nécessairement avec celles du clan adverse. 

Cette sorte de direction à deux têtes instaurée au début d’octobre 2022 par la nomination de Ruben Vardanian, pour remplacer Artak Beglarian qui n’avait pas démérité, ne pouvait pas continuer sans heurts, alors que les tensions dans la sous-région allaient s’aggravant. Finalement, on ne sait pas réellement pourquoi le célèbre businessman devenu bienfaiteur de l’Artsakh a eu une telle promotion fulgurante en 2022, pour présider, certes  pour une très courte période, aux destinées d’une population inquiète et sous forte pression, qui commençait à placer ses espoirs en lui. 

L’analyste Stéphane Safarian révèle sur la 1ère chaîne publique arménienne que Ruben Vardanian a dit sur l’Azatutyun TV, le 4 septembre 2022, que le poste de Premier ministre (d’Arménie) allait lui échoir après la mise à l’écart de Nikol Pachinian (sic). Et, comme M. Pachinian est resté au pouvoir, M. Vardanian s’est rabattu par la suite sur Stepanakert ….

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Essayons de voir quel rôle Ruben Vardanian devait jouer. Le contexte politique et diplomatique du second semestre de 2022 se caractérisait par l’initiative des Américains de réunir à Washington Armen Grigorian, Secrétaire du Conseil de sécurité nationale et Hikmet Hajiev, conseiller du président Aliev, qui apparemment tombent d’accord sur un certain nombre de questions. La dissociation de la question du Haut-Karabakh du processus d’élaboration d’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et la mise en place de mécanismes adéquats pour permettre des pourparlers directs entre Stepanakert et Bakou font l’objet, entre autres, d’un consentement mutuel. Par la suite, les ministres des Affaires étrangères d’Arménie et d’Azerbaïdjan examinent les dispositions discutées à Washington et confirme l’accord, le 4 octobre à Genève. Enfin, l’accord est acté au sommet quadripartite (Michel-Pachinian-Aliev-Macron) du 7 octobre à Prague. 

Les Russes, mécontents de ces avancées, organisent le sommet tripartite de Sotchi, le 16 octobre, puis le président Aliev refuse publiquement la participation du président Macron à la seconde réunion quadripartite décidée lors de la première à Prague. La manoeuvre du Kremlin consiste donc à saper les arrangements obtenus sous l’égide des Occidentaux. Cependant, Ilham Aliev n’étant pas un élément sûr de la contre-attaque russe, une dyarchie de nature contradictoire est mise en place au Haut-Karabakh. Ce faisant, la politique plaidée par le nouveau ministre d’Etat doté de larges prérogatives, heurte la ligne défendue par Erevan (et Stepanakert) conforme aux dispositions prévues grâce à la médiation de Washington et de l’UE. Le ministre d’Etat, on se souvient, s’oppose à ce qu’il y ait des pourparlers entre la direction artsakhiote et Bakou, estimant qu’on a atteint « le plafond des concessions aux Azéris », même si, par la suite, il se dit prêt à négocier avec Bakou. 

La volte-face d’Ilham Aliev sous prétexte qu’il ne négociera pas avec « une troisième partie concernant une affaire intérieure azerbaïdjanaise qu’est le Haut-Karabakh » conduit le président Poutine à déclarer qu’il accepte la demande de M. Vardanian de quitter la citoyenneté russe. Ruben Vardanian n’est donc plus citoyen russe, mais karabakhiote. Cette annonce ne fait pas revenir le président azéri sur sa décision de refus de traiter avec « l’oligarque … russe » (sic). 

Ruben Vardanian perd alors son utilité pour le Kremlin qui l’a utilisé pour contrecarrer l’initiative occidentale. 

>>> « Le dernier des Mohicans » pour sauver le Haut-Karabakh? 

A peine annoncée officiellement, la destitution du ministre d’Etat suscite d’autres manoeuvres politiciennes, cette fois-ci  en Arménie où certaine opposition tente de présenter M. Vardanian comme le sauveur qui a été  victime des intrigues « des ennemis du peuple », le gouvernement d’Erevan, Ilham Aliev, … 

Nairi Hokhikian, toujours à l’affût, saisit le microphone pour stigmatiser le Premier ministre Pachinian, la majorité parlementaire, le président du Haut-Karabakh. « Ruben Vardanian a renforcé la souveraineté du Haut-Karabakh », dit-il, « ce qui n’a pas plu à ses détracteurs. » Est-ce en accusant Erevan de coopérer avec Bakou contre le Haut-Karabakh, comme l’a laissé entendre le ministre d’État que la souveraineté du Haut-Karabakh a été renforcée?

Kiro Manoyan, dirigeant de la FRA-Dashnaktsoutiun, déclare, de son côté, qu’outre Ilham Aliev d’autres aussi voulaient le départ de Ruben Vardanian, dans une allusion à Nikol Pachinian. L’expert proche de l’opposition parlementaire à Erevan,  Alen Ghévondian, prophétise en annonçant que « Ruben Vardanian viendra un jour en Arménie » (…pour s’occuper de la politique ?).

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Même si Ruben Vardanian a voulu sincèrement aider les Artsakhiotes, ses déclarations à dessein  mais diplomatiquement maladroites, l’ont desservi. Utilisé par le Kremlin pour faire échouer les initiatives de l’Occident, il a coalisé ses adversaires contre lui. Après son départ du pouvoir, certaines forces politiques voudront, elles aussi,  l’utiliser à des fins partisanes en l’encensant à outrance. C’est le piège qu’il doit à tout prix éviter s’il souhaite à l’avenir agir en homme politique averti.