OPINION – Que dire au sujet du corridor Nord-Sud ?

Quelques chaînes de télévision arméniennes annoncent la tenue de la première réunion tripartite Arménie-Inde-Iran, le 20 avril à Erevan en se référant aux communiqués officiels. Rien de sensationnel, ni des révélations, si ce n’est le fait qu’une réunion sous cette forme a lieu pour la première fois à Erevan et avec deux pays qui comptent sur l’échiquier international.

Les délégations sont conduites par des personnalités de haut rang, le vice-ministre des Affaires étrangères Mnatsakan Safarian, le joint-Secretary indien JP Singh et l’adjoint au ministre des Affaires étrangères iranien Seyed Rassoul Moussavi. Le communiqué officiel fait part de l’examen des questions économiques, … et  surtout du projet de liaison maritime-terrestre entre l’Inde et la mer Noire via l’Iran et le Sud-Caucase (Arménie-Géorgie), connu sous le vocable de Mull Transport corridor ou le projet de liaison nord-sud (Inde-Iran-Arménie-Géorgie), dont la réalisation mettra en contact l’Inde avec l’UE (Union européenne) via le Golfe persique et la mer Noire. 

 

1- Un projet stratégiquement important pour la sécurité de l’Arménie

Il y eut  plusieurs déclarations de la part des officiels d’Arménie, d’Iran ou de l’Inde à des moments différents, mais c’est en 2016 que M. Abdollahian, le ministre des Affaires étrangères d’Iran, reprenant l’idée émise en 2000, d’un couloir Mumbei-Moscou qui passerait par l’Iran, propose la création d’un couloir de communication entre Mumbei (Bombay sur la côte ouest de l’Inde), le port de Chahbahar à l’extrême sud-est de l’Iran remontant vers la frontière irano-arménienne et de là vers un port géorgien puis vers les ports de Varna et de Bourgas en Bulgarie, accédant ainsi à l’espace européen. Par la suite, plusieurs sessions de consultations ont lieu entre les responsables techniques des pays intéressés.  

D’après la chaîne Shant News, un pré-accord est déjà signé entre Téhéran, Erevan et Sofia sur ce projet, mais la Grèce et la Géorgie, elles aussi concernées par le projet, semblent dans l’attente de voir « des clarifications » sur l’évolution de la guerre en Ukraine dont les incidences sur la situation en mer Noire doivent être prises en compte.

Le Premier ministre Pachinian avait évoqué l’importance de cet axe Nord-Sud pour la stabilité de la sous-région et Ararat Mirzoyan a visité le port de Mumbei lors de sa visite en mars. L’Ambassadeur d’Arménie en Iran, de son côté, a visité le port de Chahbahar.  

 

2- Une convergence d’intérêts entre les pays directement concernés et les Etats-Unis

L’Inde dont l’économie est en plein développement, cherche des voies alternatives crédibles au canal de Suez par où transiteront ses marchandises vers l’espace russe et surtout l’UE.  La meilleure solution lui semble être l’isthme sud-caucasien entre le Golfe persique et la mer Noire, d’où le rapprochement avec l’Iran et l’Arménie. L’avantage pour New-Delhi est que ces deux pays ne sont pas en bons termes avec son adversaire le Pakistan voisin. Islamabad soutient l’Azerbaïdjan contre l’Arménie
(Mme Benazir Bhutto avait même dit que l’Arménie était un couteau planté dans le corps du monde musulman) et ses relations avec Téhéran sont ambigües. 

L’Iran, de son côté, souhaiterait disposer de voies de communication externe avec le nord et le nord-ouest (Russie, Europe de l’Est, …) par  l’Azerbaïdjan, la Turquie et aussi l’Arménie. Cette dernière lui permet d’échapper à l’exclusivité turque sur sa frontière nord/nord-ouest. Le couloir Arménie-Géorgie constituerait une voie sans risque d’interférence politique des voisins puissants, comme la Turquie membre de l’OTAN et l’allié de l’Azerbaïdjan, d’où l’opposition de Téhéran à tout changement de frontière dans la zone de Meghri. Le chercheur iranien et expert des questions caucasiennes, Mohammad Motlaq, souligne que « le projet de développement du port de Chahbahar n’aura aucun sens si à l’autre bout de la ligne, à Meghri, la voie est obstruée. »  

Les Etats-Unis, pour leur part, voient en Chine une menace sérieuse et estiment que seule l’Inde, dans la région, pourrait la concurrencer. Ara Papian, expert et ancien Ambassadeur d’Arménie au Canada, sur Factor TV affirme que les Américains soutiennent discrètement ce projet. Il en veut pour preuve que la tension a marqué une baisse relative, en dépit de leur animosité envers le régime des ayatollahs. Il semble que Washington tente d’actionner ses leviers pour retenir le bellicisme de Benyamin Netanyahou en Israël, estime-t-il.

Pour la Chine, c’est la voie moyenne de l’Est-chinois par l’Asie centrale et la mer Caspienne qui met en relief l’importance de l’Azerbaïdjan, comme pays intermédiaire. Manifestement,  les Chinois  privilégient cette direction qui pousse également Bakou et Ankara, avec l’appui de Moscou, à mettre la main sur la zone de Meghri, appelée par Ilham Aliev, « le corridor de Zangezour ». Cette préférence chinoise influe directement sur les prises de position politique des uns et des autres à l’égard de l’Arménie. Dans ce domaine, Pékin, Bakou et Ankara sont sur la même longueur d’onde.

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Il est indéniable que dans la nouvelle configuration qui prend forme lentement, la position géographique de l’Arménie lui assurera un rôle de pays de transit du sud vers le Nord/Nord-ouest. Au contraire, la voie est-ouest que la Chine avec le monde turcophone semble privilégier, comporte le risque d’une perte de Meghri pour l’Arménie. L’Azerbaïdjan qui a bien compris l’importance de la géopolitique de la sous-région, non seulement apporte un soutien effectif au projet chinois mais se place également sur la version nord-sud  en proposant l’utilisation de ses chemins de fer (Tabriz-Julfa-Nakhidjevan, Bakou-Tbilissi-mer Noire et la future ligne Rasht-Bakou).

Les moyens de transport maritime de l’Inde sont importants, les infrastructures ferroviaires et routières de l’Iran aussi. La Géorgie est dotée de voie ferrée et de routes vers ses ports de la mer Noire. La route  nord-sud ne passera pas par Erevan, mais longera la rivière Akhourian et quittera l’Arménie par  la région d’Ashotsk au nord-ouest vers les ports géorgiens (Poti ou Batoumi). Cependant, à part quelques kilomètres  dans les environs d’Erevan dans la plaine de l’Ararat, l’infrastructure routière est insuffisamment équipée. Pis, elle est en piteux état. La corruption et le pillage sont passés par là aussi sous les régimes précédents. 

Les 600 M€ de l’UE réservés à la construction de la partie située dans la région de Syunik, région montagneuse qui nécessite la construction de plusieurs ponts et tunnels entre Meghri et Sisian, ne sont pas encore engagés faute de mise en ouvre des travaux concrets. Des entreprises de travaux publics arméniennes ne sont pas équipées d’engins adéquats et n’ont pas la taille technique et financière requise et jusqu’à présent, rien de concret n’a été réalisé.

En tout état de cause, il faut une volonté politique et une détermination sans faille pour placer l’Arménie en position de bénéficier de cette nouvelle configuration géostratégique favorable. 

Armand M.