La communauté arménienne de France – et pas seulement celle de la région Rhône-Alpes – a perdu l’une de ses figures les plus éminentes, une figure si dévouée à son peuple, à l’arménité, à la Cause arménienne. Jules Mardirossian s’est éteint le 9 février, à Lyon, à l’âge de 84 ans.
Ces quelques paroles du Dr Georges Képénékian, l’ancien maire de Lyon, très ému après la disparition de Jules, dressent parfaitement, et de façon assez complète, sa personnalité :
« Je le considérais comme mon grand frère, c’est un morceau de notre histoire, de mon histoire… Je l’ai connu tout jeune, et quand j’ai débuté mes études à la faculté de médecine j’ai rejoint la Fra Nor Seround. C’était un homme bon avec un grand B, qui allait constamment vers les autres, qui voulait convaincre, qui était obsédé par la notion d’humanisme, qui se mettait en colère pour lutter contre les injustices. C’était surtout quelqu’un qui savait entraîner les autres et leur communiquer son enthousiasme. »
Quant à Armand Bahadourian, l’initiateur de la création du premier monument dédié aux victimes du génocide des Arméniens à Décines, exprimait son émotion par ces mots : « Jules Mardirossian était mon ami, un homme de convictions, un brillant orateur, un grand humaniste dont le nom sera à jamais associé au combat pour la reconnaissance internationale du génocide des Arméniens spécialement à Lyon et dans la région. »
Jules Mardirossian était né le 21 mai 1938, à Vienne. Durant toute sa vie, il a participé activement à la vie arménienne dans les différents secteurs à Décines, dans la région Rhône-Alpes et sur le plan national ou international.
Il a donné une nouvelle empreinte à l’association Nor Séround à partir de 1956, au nom duquel il a pris une grande part aux négociations avec la municipalité pour obtenir la dénomination d’une rue rappelant la date du 24 avril 1915 et pour l’édification d’un Mémorial arménien, les premiers en Europe.
Comme militant Dachnak, à partir de 1963, il a créé et animé la section régionale des Étudiants arméniens d’Europe en 1964 et celle du CDCA en 1970 qui s’ouvrait également sur le plan national. Il a été à l’initiative de la rénovation du Foyer arménien de Décines pour devenir la Maison de la culture arménienne (1977) en lui donnant une structure permanente, luimême étant le président jusqu’aux années 1990.
Sur le plan national, il a occupé différentes fonctions dans les structures au titre desquelles il a rencontré les plus hautes autorités françaises, dont le président François Mitterrand à l’Élysée en 1986, pour faire évoluer la reconnaissance du génocide des Arméniens par la France, développer l’enseignement de la langue arménienne dans un certain nombre de collèges et lycées et présenter le projet de représentativité de la communauté arménienne en France. Il a contribué par ailleurs à la création du mensuel France Arménie en 1982, dont il deviendra le président du conseil d’administration. Il fut notamment l’un des fondateurs de la Radio Arménie à Décines, en 1983.
Il a fondé l’association France-Karabagh en 1992, avec pour mission de mettre en place des infrastructures nécessaires pour donner un véritable élan dans le nouvel État.
Il a mis en place le Comité de coordination des associations arméniennes pour la région Rhône-Alpes à partir de 2002, puis il a présidé le Centre national de la Mémoire arménienne à Décines dès la création en 2013, après avoir dirigé le Centre d’études, de documentation et d’informations arméniennes de 1980 à 1995, à l’origine de l’organisation de plusieurs colloques culturels internationaux.
Il a organisé des actions populaires et diplomatiques pour la reconnaissance du génocide des Arméniens de 1915, tant auprès des représentants de l’ONU que du Parlement Européen, en contribuant au succès des résolutions votées par ces organisations. Il avait animé à Villeurbanne l’association Reconnaissance qui a œuvré de 2004 à 2009 aux côtés des peuples victimes de crimes contre l’Humanité.
Il a été à l’initiative et a concrétisé avec la municipalité lyonnaise la réalisation d’un Mémorial
des génocides, place Antonin Poncet à Lyon en 2006, après avoir été depuis 1977 l’organisateur des rassemblements populaires régionaux pour célébrer l’anniversaire du génocide de 1915 et la Journée de la Cause arménienne. Il a toujours décliné les distinctions que la France ou l’Arménie voulait lui décerner, néanmoins depuis son décès la mairie de Lyon a pris l’initiative de planter un grenadier devant le Centre d’enseignement professionnel franco-arménien à Erevan le 11 avril 2023 en son hommage, ainsi que d’apposer une plaque sur la place Antonin Poncet à Lyon le 24 avril suivant pour avoir été à l’origine du Mémorial.
Un grand homme avec un grand H (comme dirait Képénékian), nous a quittés. Et en cette période de commémoration du Génocide, le souvenir de Jules Mardirossian revêt un tout autre sens.
Bénie soit la mémoire des justes.
G.H.