À la demande de la France, le Conseil de sécurité de l’ONU a convoqué le 21 septembre une réunion d’urgence consacrée à la situation désastreuse en Artsakh, à l’issue de laquelle aucune déclaration ni résolution n’a toutefois été adoptée.
La réunion a été directement comparée par de nombreux experts à la « Conférence de Munich » de 1938, à l’issue de laquelle 28 500 km² de terres de la Tchécoslovaquie ont été l’années à l’Allemagne hitlérienne. Mais, hormis cette comparaison, aucune mesure tangible n’a suivi la session en termes d’assistance aux Arméniens d’Artsakh et de protection de leurs droits minimaux et vitaux. Bien au contraire, l’opinion selon laquelle « l’Artsakh est l’Azerbaïdjan » a été généralement soutenue et a gagné du terrain. Et tandis que le citoyen artsakhiote est confronté à une menace existentielle IMMINANTE et que cette menace et encore plus grandissante à chaque instant, la session s’est « bizarrement » contentée de s’occuper plutôt de la définition des concepts « droit(s) » et « sécurité ».
En d’autres termes, alors que la séance avait été demandée dans l’espoir de trouver une « bouée de sauvetage » pour la population de l’Artsakh dépérissante, plongée actuellement dans une véritable tragédie humaine, elle a donné le résultat complètement inverse et les Arméniens de l’Artsakh se sont vus rejeter leur droit à avoir un État.
Pour la Russie et la Turquie, le problème était clair : l’Artsakh est l’Azerbaïdjan et c’est tout. « La question de l’Artsakh est close, c’est le problème interne de Bakou », autrement dit, l’agression est quasiment légale et il n’est pas question de nettoyage ethnique.
Seule la France a insisté sur la « possibilité de vivre dans le respect de l’histoire et de la culture » des autres (des autres nations), ce qui est une interprétation assez « flexible » en soi.
Pour de nombreux participants à la réunion, le fait que l’Arménie ait reconnu l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan incluant l’Artsakh a constitué un facteur important. Et c’est peut-être en partant de ce fait qu’ils ont jugé nécessaire de parler déjà d’une feuille de route selon laquelle les Arméniens d’Artsakh pourraient être réintégrés dans l’État et la société azerbaïdjanais.
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Citons quelques extraits des discours prononcés, même si aucun d’entre eux n’était à la hauteur des attentes des Arméniens. (Mais soyons réalistes : après tant d’expériences du passé récent [n’en parlons même pas de celles de l’Histoire plus lointaine], ne serait-il pas grand temps de secouer de nos épaules cette naïveté et d’arrêter d’espérer quoi que ce soit des structures internationales ? Faut-il encore que les verdicts rendus par telle ou telle cour internationale soient respectés. Mais, qui les écoute, qui les respecte, et surtout, que risquent les contrevenants ? Apparemment rien !).
– Malte est profondément préoccupée par la situation en Artsakh et condamne toute action mettant en danger la vie des citoyens.
– L’assistant du secrétaire général des Nations Unies pour l’Europe, l’Asie centrale et l’Amérique, Miroslav Yencha, a annoncé que le centre de coordination russo-turc et les soldats de maintien de la paix russes avaient été informés par l’Azerbaïdjan de l’attaque militaire contre l’Artsakh. Après avoir rapporté ce détail (l’intention de la précision d’un tel détail nous reste ambigüe ; serait-ce par la volonté d’apporter un ton « positif » aux circonstances de l’attaque ?), il a mentionné que le secrétaire général de l’ONU appelle toutes les parties intéressées à suivre strictement le cessez-le-feu établi suite à la déclaration de novembre 2020 et continuer à remplir leurs obligations, notamment celles liées au droit international humanitaire et aux normes relatives aux droits de l’homme.
– La France, qui était peut-être la seule à avoir une attitude pro-arménienne lors de la session, a également annoncé que « personne ne peut croire que l’action militaire contre l’Artsakh n’était pas préméditée ».
– Selon les Émirats arabes unis ce qui s’est passé est un indicateur de la fragilité de la paix dans la région.
– La Suisse a noté que même si les hostilités ont cessé (un autre point controversé), la situation reste extrêmement fragile.
– La Grande-Bretagne est préoccupée par les graves pressions auxquelles est soumise la population de l’Artsakh.
– Selon toute vraisemblance, la question prioritaire pour Pékin était le sort des soldats de maintien de la paix russes morts lors de l’attaque azerbaïdjanaise, et a exprimé ses condoléances à leurs familles, soulignant qu’il suivait en permanence l’évolution des événements en Artsakh.
– La question urgente qui semblait inquiéter le représentant de la Russie était l’élaboration d’une feuille de route pour la réintégration de la population de l’Artsakh dans l’ordre constitutionnel de l’Azerbaïdjan. Déjà, l’utilisation de l’appellation Khankendi au lieu de Stepanakert dans son discours était en soi un fait révélateur de son approche.
– Les États-Unis ont déclaré qu’ils étaient inquiets par la poursuite des opérations militaires de l’Azerbaïdjan en Artsakh. (Rappelons qu’à peine 3 ou 4 jours avant l’attaque azerbaïdjanaise, la représentante du Département d’État américain avait déclaré publiquement que son pays NE VA TOLÉRER AUCUNE ACTION contre la population de l’Artsakh. C’est probablement cette INTOLÉRANCE qui est à l’origine de son inquiétude). « La seule voie de règlement est de mettre fin à la violence et d’établir la paix », a déclaré l’ambassadeur américain à l’ONU.
– Le représentant de la Turquie, justifiant l’action de l’Azerbaïdjan, a déclaré qu’il ne restait à Bakou d’autre choix que de recourir à « l’opération antiterroriste » et a ajouté que maintenant elle est terminée et que les négociations vont se poursuivre. Il a également évoqué la nécessité de créer le « corridor de Zanguezour » et a affirmé qu’une opportunité d’établir la paix était à nouveau apparue dans la région, que « l’Arménie ne devrait pas gaspiller », et a exhorté, pour ne pas dire menacé : « Nous appelons l’Arménie et les autres parties intéressées à profiter de cette opportunité, à ne pas répéter les erreurs passées et récentes et à œuvrer pour la paix et la prospérité dans le Caucase du Sud. »
Lors de cette session, l’Arménie était représentée par le ministre des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan, qui a annoncé la nécessité de déployer des forces de maintien de la paix sous mandat des Nations Unies en Artsakh.
Mirzoyan a également affirmé que le Conseil de sécurité de l’ONU doit condamner l’Azerbaïdjan, mais aussi qu’elle a l’obligation de fournir une assistance à l’Artsakh, d’assurer le retour des personnes déplacées, de forcer Bakou à retirer ses soldats des zones d’habitations arméniennes pacifiques, à assurer la liberté de mouvement et à rétablir le gaz et l’approvisionnement en électricité.
Le ministre arménien a également souligné un point important, une mauvaise formulation qui induit dès le départ à l’erreur. Ainsi, il a déclaré qu’il est inexact d՛employer la formule « parties du conflit », puisqu’ « il n’y a pas de parties տu conflit, mais il y a des agresseurs et des victimes ». Dans le même temps, Mirzoyan a assuré que l’Arménie aspirait à parvenir à la paix avec l’Azerbaïdjan.
Lors de son discours, le ministre a présenté en détail la situation très inquiétante et tragique qui prévaut en Artsakh, notant que « les images reçues du Haut-Karabakh sont vraiment choquantes : des femmes, des enfants, des personnes âgées sans abri ayant besoin de nourriture, des mères qui recherchent désespérément leurs enfants, qui pleurent de peur, pensant que les Azerbaïdjanais pourraient arrêter leurs maris. Il est difficile de croire que tout cela se passe au 21e siècle. » Il a apporté des exemples et des faits tangibles pour conclure que dans ces conditions, la population de l’Artsakh ne court ni plus ni moins un danger existentiel.
Le problème est qu’à la veille de cette session, le Premier ministre Pachinian avait annoncé publiquement : « À l’heure actuelle, notre évaluation est qu’il n’y a aucune menace directe pour la population civile du Haut-Karabakh. » (Un discours qu’il a d’ailleurs répété le lendemain).
Ces propos du Premier ministre arménien ont tendu la perche au ministre des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan, Bayramov, qui s’en est servi à volonté pour qualifier les affirmations de Mirzoyan d’infondées et de mensongères.
Ainsi, niant en bloc toutes les accusations, il a affirmé que l’Azerbaïdjan, tout en menant une « opération antiterroriste » il s’est, soi-disant, conformé aux lois internationales, utilisait des armes à haute précision afin de ne pas mettre en danger la vie des civils.
« Ce que l’Arménie tente de présenter comme une attaque contre des civils est en réalité une opération antiterroriste locale », a déclaré Bayramov.
Selon lui, au cours de « l’opération », l’armée azerbaïdjanaise a capturé 90 postes de contrôle, détruit 20 chars, 40 unités d’artillerie, 30 mortiers, 6 systèmes de combat électromagnétiques et deux systèmes de défense aérienne.
« Aucun État souverain ne tolérerait une telle présence militaire illégale sur son territoire », a dit le ministre azerbaïdjanais.
Il a également ajouté que dans la déclaration conduisant au cessez-le-feu signée grâce à la médiation de la partie russe, il y a une disposition visant à « retirer les unités arméniennes d’Azerbaïdjan », ce qui prouvait en soi « la présence de soldats arméniens dans la région du Karabakh en Azerbaïdjan ».
Il a également rappelé que la première rencontre entre les représentants des Arméniens du Haut-Karabakh et de l’Azerbaïdjan a déjà eu lieu à Yevlakh et a assuré que « tous les droits des Arméniens seront garantis ».
Ajoutons qu’en réaction aux dénégations en bloc de Bayramov et aussi à ses calomnies dirigées contre l’Arménie qui selon lui saperait le processus de paix, Mirzoyan a quitté la salle.
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