Deux jours après la réunion d’urgence du 21 septembre du Conseil de Sécurité de l’ONU, Ararat Mirzoyan, ministre des Affaires étrangères d’Arménie s’exprimait cette fois à la 78e session de L’Assemblée générale de l’ONU :
Honorable Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi en premier lieu de féliciter M. Dennis Francis pour son accession à la présidence de la 78ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Je ne serai certainement ni le premier, ni le dernier des orateurs de cette prestigieuse instance à identifier les menaces mondiales pour les démocraties, les défis pour la sécurité, les violations des principes et des objectifs de la Charte des Nations Unies, y compris le non-recours à la force et la résolution pacifique des conflits. , comme principale source d’instabilité et de tension dans le monde.
Les développements dévastateurs de ces dernières années qui ont bouleversé le système de sécurité dans le monde, et notamment en Europe, ont considérablement porté atteinte au multilatéralisme. S’il y a quelques années nous envisagions le déclin du multilatéralisme, nous constatons aujourd’hui une érosion de ce principe même et de ses fondements comme le droit international, les droits de l’homme et la sécurité coopérative.
Il ne s’agit pas simplement d’un constat théorique, mais d’une réalité à laquelle le peuple arménien du Caucase du Sud est confronté depuis trois ans. Les agressions répétées de l’Azerbaïdjan contre le territoire souverain de la République d’Arménie et les offensives militaires contre la population du Haut-Karabakh perturbent considérablement la paix et la stabilité dans notre région, violent massivement les droits de l’homme et le droit humanitaire et représentent une menace existentielle pour les Arméniens.
Fermement convaincu et aspirant sincèrement à établir la paix et la stabilité dans notre région, mon gouvernement a déployé des efforts importants dûment enregistrés à cette fin. Hélas, nous n’avons pas de partenaire pour parler de paix, mais un pays qui déclare ouvertement que « le plus fort a raison » et utilise constamment la force pour perturber le processus de paix. Il y a à peine un an, le Premier ministre arménien a présenté la preuve de l’agression et de l’occupation des territoires souverains de la République d’Arménie par l’Azerbaïdjan voisin. Depuis lors, la situation s’est encore détériorée et je dois aujourd’hui évoquer un nouvel acte très récent d’offensive à grande échelle, cette fois contre la population autochtone du Haut-Karabakh, en violation flagrante du droit international et de la déclaration tripartite du 9 novembre 2020.
Cela s’est produit cette semaine et le moment choisi n’est pas fortuit. Cela témoigne d’un mépris ouvert et d’un défi de l’Azerbaïdjan à l’égard de la communauté internationale réunie ici à New York. Le message est clair : « vous pouvez discuter de paix, nous pouvons faire la guerre et vous ne pourrez rien y changer ». Les 120 000 personnes dont la seule aspiration est de vivre et de créer dans la paix et la dignité dans leur patrie ancestrale et qui souffrent déjà du blocus et du siège de plus de 9 mois par l’Azerbaïdjan ont été soumises à l’attaque militaire de dizaines de milliers de soldats. Au cours de cette attaque barbare, l’ensemble du territoire du Haut-Karabagh, Stepanakert et d’autres villes et agglomérations, a été soumis à des bombardements intenses et aveugles avec des armes lourdes telles que des roquettes, de l’artillerie, des drones de combat, des avions, y compris des armes à sous-munitions interdites.
Cette atroce offensive à grande échelle qui a déjà coûté la vie à des centaines de personnes, notamment des femmes et des enfants, a été cyniquement présentée comme une « opération antiterroriste localisée ». Selon des informations récentes, il y aurait plus de 200 morts et 400 blessés parmi la population civile, dont des femmes et des enfants. Ces faits sont également reconnus par le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères. Le sort de centaines de personnes est incertain.
Aujourd’hui, au moment où je vous parle, 30 % de la population du Haut-Karabakh est déplacée. La population entière du Haut-Karabakh reste sans aucun moyen de subsistance car seule une aide humanitaire limitée a pu entrer au Haut-Karabakh. Il n’y a ni nourriture, ni médicaments, ni abri, ni endroit où aller, séparés de leurs familles, terrorisés et craignant pour leur vie.
Mesdames et Messieurs,
La politique et les actions de l’Azerbaïdjan au cours des 10 derniers mois démontrent de toute évidence la nature planifiée et bien orchestrée de ces atrocités de masse. Le 12 décembre 2022, l’Azerbaïdjan a bloqué le corridor de Lachin – la seule route, la bouée de sauvetage reliant le Haut-Karabakh à l’Arménie et au monde extérieur, en violation flagrante de ses obligations en vertu du droit international humanitaire et de la Déclaration tripartite du 9 novembre 2020. Ce blocus a été encore renforcé par l’installation d’un poste de contrôle illégal depuis le 23 avril, ainsi que par l’arrêt complet de toute circulation – y compris pour l’aide humanitaire- à travers le corridor depuis le 15 juin.
Le blocus du Haut-Karabagh qui a duré pendant plus de neuf mois a provoqué une grave pénurie de nourriture, de fournitures médicales, de carburant et d’autres biens essentiels, épuisant pratiquement les ressources nécessaires à la survie de la population. Ce blocus s’est accompagné d’une interruption délibérée de l’approvisionnement en électricité et en gaz naturel, aggravant plus encore la situation et débouchant sur une véritable crise humanitaire.
Je voudrais rappeler que le 22 février 2023, la Cour internationale de Justice a pris une mesure provisoire selon laquelle « l’Azerbaïdjan prendra toutes les mesures pour assurer la libre circulation des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchin dans les deux sens ». Cette ordonnance a ensuite été reconfirmée par l’ordonnance de la Cour du 6 juillet.
Un certain nombre d’États partenaires et d’organisations internationales, notamment les rapporteurs spéciaux de l’ONU, le Comité international de la Croix-Rouge, « Human Rights Watch », « Freedom House », « Amnesty International » et « Transparency International », n’ont cessé d’alerter face à la détérioration de la situation sur le terrain. En outre, le 16 août, lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies, à la demande de l’Arménie, la majorité des États membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont exprimé une position claire sur la nécessité de débloquer le couloir de Latchin et de mettre un terme aux souffrances de la population du Haut-Karabakh et de garantir leurs droits humains fondamentaux. Alors qu’en réponse à ces appels clairs, l’Azerbaïdjan a aggravé ses actions inhumaines en lançant cette attaque militaire contre la population du Haut-Karabakh.
Le 21 septembre 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est à nouveau réuni pour discuter de la situation dévastatrice au Haut-Karabakh. La majorité des membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont exprimé leur position concernant la nécessité impérative de cesser les hostilités par l’Azerbaïdjan, d’ouvrir le couloir de Latchin, d’assurer l’accès humanitaire international et de garantir les droits et la sécurité de la population du Haut-Karabagh.
Mesdames et Messieurs,
La chronologie des développements véritablement dévastateurs dans notre région prouve que les problèmes ne peuvent pas être résolus par de simples déclarations et des appels généraux. L’Arménie a averti à plusieurs reprises la communauté internationale de la nécessité d’une action concrète et pratique, notamment l’envoi d’une mission inter-institutions d’évaluation des besoins et d’établissement des faits au Haut-Karabakh. Mais la communauté internationale, les Nations Unies, n’ont pas réussi à venir en aide aux populations au cours des 9 derniers mois et 285 jours.
Le recours à la famine comme méthode de guerre, en privant les populations de leurs moyens de subsistance, l’obstruction et le refus de l’accès humanitaire aux agences de l’ONU qui entravent les activités humanitaires du CICR, constituent des signes avant-coureurs d’autres atrocités criminelles à venir. Un certain nombre d’organisations internationales de défense des droits de l’homme, d’avocats, de spécialistes du génocide et d’experts indépendants réputés, dont l’ancien procureur de la CPI et l’ancien conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU pour la prévention du génocide, ont déjà caractérisé la situation sur le terrain au Haut-Karabakh comme un risque de génocide.
Hier encore, la conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la prévention des génocides, Mme Alice Wairimu Nderitu, a souligné, et je cite : « L’action militaire ne peut que contribuer à aggraver une situation déjà tendue et à mettre en danger la population civile de la région, de violence, y compris le risque de génocide et les atrocités criminelles qui y sont liées. Tous les efforts doivent être déployés pour prévenir la violence et maintenir la paix », fin de citation.
Permettez-moi d’attirer votre attention sur le fait qu’après l’échec de la prévention du génocide du Rwanda, les Nations Unies ont réussi à créer des mécanismes de prévention, faisant ainsi du « plus jamais ça » un engagement significatif. Mais aujourd’hui, nous sommes au bord d’un nouvel échec.
La population du Haut-Karabakh, prise au piège d’un blocus inhumain et des hostilités infligées par l’Azerbaïdjan et menacée dans son existence même, espère toujours que la prévention ne restera pas un élément de langage, mais deviendra une ligne d’action.
Les affirmations selon lesquelles « l’ONU n’est pas présente sur le terrain et n’a donc pas la capacité de vérifier la situation » ne peuvent justifier l’inaction. Les Nations Unies sont un organisme universel qui devrait se tenir aux côtés des victimes d’atrocités massives partout dans le monde, quel que soit le statut du territoire, au lieu de faire des déclarations inadaptées.
Nous espérons que la communauté internationale – notamment l’ONU – fera preuve d’une forte volonté politique pour condamner la reprise des hostilités et le ciblage des localités et des infrastructures civiles et exigera le plein respect des obligations découlant du droit international humanitaire, y compris celles liées à la protection des civils, en particulier les femmes et les enfants, et les infrastructures civiles critiques․
La communauté internationale devrait déployer tous les efforts nécessaires au déploiement immédiat d’une mission inter-institutions de l’ONU au Haut-Karabakh dans le but de surveiller et d’évaluer la situation des droits de l’homme, humanitaire et sécuritaire sur le terrain. L’accès sans entrave des agences des Nations Unies et d’autres organisations internationales au Haut-Karabakh, conformément aux principes humanitaires, est un impératif. À cet égard, nous soulignons également la nécessité d’assurer la pleine coopération de bonne foi des parties avec le Comité international de la Croix-Rouge pour faire face aux conséquences de l’attaque militaire, y compris l’évacuation et l’identification des corps, la recherche et le sauvetage du personnel porté disparu et des civils, la libération des prisonniers de guerre, l’acheminement sûr et sans entrave de l’aide humanitaire dans le strict respect du droit international humanitaire.
Enfin, l’Azerbaïdjan doit respecter ses obligations juridiquement contraignantes et garantir la liberté de circulation des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchin, conformément aux ordonnances de la CIJ.
Nous sommes fermement convaincus que des mécanismes adaptés doivent être mis en place pour garantir le retour des personnes déplacées lors de la récente attaque militaire, ainsi que des personnes et des réfugiés déplacés à la suite de la guerre de 2020 dans leurs foyers sur le territoire du Haut-Karabakh et régions adjacentes sous la surveillance et le contrôle des agences compétentes des Nations Unies, comme cela était prévu dans la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020.
Un mécanisme international durable et viable pour empêcher le nettoyage ethnique de la population autochtone du Haut-Karabakh et pour assurer le dialogue entre les représentants du Haut-Karabakh et Bakou afin de résoudre les questions liées aux droits et à la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh est la solution impérative. En outre, il convient de garantir l’exclusion des actions punitives contre les représentants et le personnel politiques et militaires du Haut-Karabakh.
Nous pensons également que la communauté internationale doit exiger le retrait de toutes les forces militaires et policières azerbaïdjanaises de toutes les localités du Haut-Karabakh pour éviter toute panique, provocation et escalade mettant en danger la population civile et créer la possibilité pour une force de maintien de la paix mandatée par les Nations Unies de maintenir la stabilité et la sécurité au Haut-Karabakh.
Mesdames et Messieurs,
La politique de nettoyage ethnique contre le Haut-Karabakh n’est qu’une partie d’un plan plus vaste encore. Nous entrevoyons clairement une intention d’impliquer la République d’Arménie dans des actions militaires, élargissant ainsi le théâtre des hostilités sur notre territoire souverain.
Le refus de l’Azerbaïdjan de s’engager véritablement et de manière constructive dans le processus de paix avec l’Arménie, notamment de reconnaître l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, de retirer ses forces armées des territoires arméniens occupés, de délimiter les frontières interétatiques arméno-azerbaïdjanaises sur la base des dernières les cartes disponibles de 1975 correspondant à la déclaration d’Almaty de 1991, de créer une zone démilitarisée le long de la frontière interétatique, illustrent clairement les intentions évoquées.
De la même manière, l’Azerbaïdjan a un agenda secret concernant le « déblocage » des axes de transports régionaux et les flux économiques. En tant que pays privé d’accès à la mer, l’Arménie a un intérêt vital à la mise en œuvre de l’accord sur le déblocage de toutes les communications régionales sur la base de la souveraineté, de la juridiction nationale, de l’égalité et de la réciprocité. L’Arménie est un défenseur de longue date d’une connectivité de transport inclusive et équitable en vue de promouvoir le commerce, la coopération et les contacts entre les peuples, tandis que nos voisins continuent d’imposer à l’Arménie le blocus qui dure depuis trois décennies, dans le cadre de son programme de politique affirmée de coercition économique de mon pays.
La logique dite du « corridor » promue par Bakou et ses soutiens déclarés et cachés et vise à porter atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Arménie et à justifier ses revendications territoriales. Le récit qu’ils ont généré ainsi que le recours à la force par l’Azerbaïdjan à la fois contre la République d’Arménie et contre le peuple du Haut-Karabakh montrent qu’imposer par la force à l’Arménie un couloir extraterritorial, un couloir qui traversera le territoire de l’Arménie, mais qui serait hors de notre contrôle, peut-être la prochaine cible. Cela est inacceptable pour nous et devrait l’être pour la communauté internationale.
Monsieur le Président,
Malgré tous les défis qu’elle doit relever, l’Arménie continue de s’engager dans les négociations pour parvenir à la normalisation des relations et à l’établissement d’une paix durable dans la région et soutient les efforts des partenaires internationaux à cette fin. Le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté à l’intérieur des frontières internationalement reconnues, la lutte contre les causes sous-jacentes du conflit, à savoir les droits et la sécurité de la population du Haut-Karabakh, sont le fondement d’une paix durable.
Pour terminer, permettez-moi de dire que le peuple arménien défendra fermement sa souveraineté, son indépendance et sa démocratie et qu’il surmontera la guerre hybride déclenchée contre nous.
Je vous remercie.
New-York le 23 septembre 2023
Traduction non-officielle, Sahak Sukiasyan
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