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ARTSAKH OCCUPÉ – Bakou continue son travail de faussaire à Chouchi 

Quartiers arméniens de la ville de Chouchi détruits par les forces armées azéries en 1920 avec en arrière-plan la cathédrale profanée du Saint Sauveur-de-Tous

 

Comme l’établissent de manière très claire les photos satellite diffusées par l’organisation «Caucasus Heritage Watch» (https://caucasusheritage.cornell.edu/), le quartier de Méghrétsots [fondé par des habitants venus de Méghri] de la ville de Chouchi a été récemment bouleversé à la suite de travaux de construction réalisés par les Azéris dans la ville occupée de Chouchi. 

En effet, selon une photographie satellite prise le 3 novembre dernier, les Azerbaïdjanais auraient utilisé des équipements lourds et des engins de chantier pour remblayer tous les gravats des chantiers des alentours et les stocker sur les fondations de l’église de la Sainte Mère- de-Dieu dégagées lors de fouilles en 2017.

Fort heureusement, depuis 2021, des vues de satellites nous permettent de suivre les modifications apportées aux divers quartiers de la ville, dont celui-ci.

L’église de la Sainte Mère de Dieu de Méghrétsots

Cette église qui était l’un des quatre lieux de culte arméniens de la ville a été construite en 1838 grâce au mécénat de Mahdesi Hakhumyants qui n’avait pas d’enfant et souhaitait laisser en souvenir pour sa postérité ce sanctuaire (pour plus de détails sur l’église, consulter le site https://tinyurl.com/mtr85m8n). A l’origine, l’église possédait un clocher à trois étages en pierres de taille et un petit campanile situé au centre de la nef. Dans les années 1960, l’essentiel des parties maçonnées et le toit du sanctuaire ont été démolis par les autorités azerbaïdjanaises. Conformément à des pratiques très courantes à cette époque, le sanctuaire avait alors été transformé en cinéma de plein air. 

Méghrétsots avant sa destruction

L’«intérieur» de l’église ou plutôt ce qu’il en reste

 

Chouchi l’arménienne, la « Perle du Caucase »

C’est en 1840, pendant la période tsariste, que le bourg de Chouchi a reçu le statut de ville. Les habitants d’un grand nombre de villages arméniens situés dans les régions éloignées de l’Artsakh s’y sont alors rassemblés, se sont urbanisés  et y ont construits de belles maisons, des écoles, des églises, des imprimeries, des théâtres, des bibliothèques et d’autres bâtiments publics.  A la fin du 19e siècle, Chouchi était déjà la plus grande ville non seulement d’Artsakh, mais aussi de toute l’Arménie orientale. Elle devint rapidement un centre intellectuel et culturel important pour les populations de l’Arménie orientale rivalisant avec les villes de Kars, d’Alexandropol, d’Erevan, de Nakhitchevan et de Gandzak. Du point de vue démographique, Chouchi ne cédait alors le pas qu’à deux autres villes de Transcaucasie : Tiflis et Bakou. La ville et sa région ont durant tout le 19e siècle également constitué un lieu de villégiature très prisé de la bourgeoisie arménienne de Tiflis et de Bakou, d’autant que nombre de membres de cette élite caucasienne étaient précisément originaires de la région.

Mais la ville et sa région connaissent un sort tragique en 1920. En mars de cette année, la quasi-totalité sa population est anéantie ou dispersée  par l’armée turco-azérie islamique et la région toute entière est dévastée. Trois jours durant, la population arménienne de la ville est massacrée tandis que la tête de l’évêque du diocèse, Mgr. Vahan Ter Grigoryan, est promenée sur une pique dans toutes les rues de la ville. Le responsable de cette immense massacre est le gouverneur Khosrov Bey Sultanov, originaire de Berdzor (Latchine), nommé avec l’assentiment des Britanniques qui sont alors présents et influents dans la région. Depuis le 28 mai 2023, ce sinistre personnage possède une rue à son nom inaugurée par Ilham Aliev en personne. Dans un article récemment  publié à Bakou, deux de ses descendantes réclamaient par ailleurs la création d’un musée à Berdzor [Latchine].

Comment Chouchi s’est transformée en Choucha ?

C’est à partir des années 1960 que les autorités azerbaïdjanaises ont commencé à s’approprier les divers éléments du patrimoine culturel de la ville de Chouchi, modifiant artificiellement l’image de la ville et la transformant en une agglomération prétendument azerbaïdjanaise. A cette époque, plus de 90 % du bâti à Chouchi était abandonné et ruiné. 

Des 40 000 Arméniens qui vivaient dans la ville en 1920, il n’en restait plus que moins de 2 000. Détruite en 1920, la riche arménienne Chouchi est donc restée une « ville fantôme » durant toute la période soviétique. En 1931, après avoir séjourné dans la ville avec son épouse, dans un magnifique poème intitulé « Chouchi », le grand poète russe Osip Mandelstam décrivait la cité ruinée onze ans plus tôt. A cette époque, des centaines de monuments architecturaux arméniens sont à l’abandon à travers tout le Haut Karabakh. A Chouchi, la cathédrale du Saint Sauveur-de-Tous, appelée « Ghazanchetsots », est laissée à l’abandon et ouverte aux quatre vents. L’église Saint Jean-Baptiste, [Ganatch Jam- L’église verte] est transformée en hall de station thermale. Le monastère des moniales de Goussanats, l’église d’Akoulétsots [fondée par des Arméniens d’Akoulis] et l’église russe Saint Georges sont entièrement détruits.

La visite historique et le témoignage du Catholicos Vazken 1er 

Le 25 septembre 1957, pour la première fois depuis des décennies, un dignitaire de l’Église arménienne, le Catholicos Vazken 1er, se rend au Karabakh avec sa suite. Le dernier à l’avoir fait était Khrimian Hayrig en 1860. Après une halte à Stepanakert, le Catholicos Vazken se rend à Chouchi, puis à Gandzasar et à Amaras. Là, il rencontre des kolkhoziens travaillant dans l’antique monastère d’Amaras converti en séchoir à tabac. Un peu plus tard, dans une lettre, le Catholicos écrira « la vision de Chouchi était particulièrement triste ». 

Le Catholicos Vazken 1er à Gandzasar

De retour à Stepanakert, alors chef-lieu de la région, le Catholicos présente une liste d’églises arméniennes aux autorités azerbaïdjanaises en demandant leur réouverture. Il demande en particulier que Gandzasar, Amaras, une chapelle à Stepanakert (Non identifiée – NDLR), le sanctuaire de Tcholak dans la région de Kirovabad (Gandzag), les églises de Nukhi, de Zakatala et de Nakhitchevan soient restitués à l’Église arménienne. Le Catholicos demande également « qu’avec l’aide des autorités locales la cathédrale de Chouchi soit nettoyée de ses immondices, que l’on répare ses portes et ses fenêtres pour empêcher les troupeaux d’y pénétrer ». Un an plus tard, il adresse une plainte au Président du Conseil des affaires de l’Église arménienne auprès du gouvernement de la RSSA. Evoquant sa visite à Chouchi, le Catholicos Vazken 1er écrit : « Nous y avons été témoin avec amertume d’une scène indescriptible. En plus du dôme effondré, toutes les portes et fenêtres de l’église ont été détruites. Ce vénérable lieu de prière a tout simplement été transformé en étable. Avec mes compagnons j’ai pu voir deux vaches ruminant sur l’autel et tout le sol de l’église était jonché de déjections animales ».

Début de la colonisation de la ville : « Aliev-père » à l’œuvre

C’est en 1971 que sur un décret de Heydar Aliev, débute la démolition du centre historique de la ville de Chouchi pour laisser place à d’importants travaux visant à travestir l’aspect et le caractère arménien de la ville.

H. Aliev se tourne alors vers Khrouchtchev pour solliciter une subvention du gouvernement central pour la « restauration de la ville de Chouchi ». Ce que Moscou lui accorde. Mais au lieu de reconstruire la ville, Aliev fait venir des centaines de grues, de bulldozers pour détruire les bâtiments de valeur historique et architecturale qui auraient encore pu être restaurés. Les quartiers arméniens historiques de la ville de Chouchi qui occupaient les 2/3 du territoire de toute la ville, la forteresse, sont démolis et des « Khrouchtchevkas » – de mornes immeubles de 5 étages – sont construits à leur place afin de loger les Azerbaïdjanais amenés d’autres régions de la RSS d’Azerbaïdjan. Il s’agissait évidemment d’une politique planifiée visant à détruire le caractère arménien historique de la cité.

Le père Aliev à Chouchi

Mais même malgré ces opérations d’envergure, en 20 ans, Aliev ne réussit à installer à Chouchi que 10 000 Azerbaïdjanais, soit 4 fois moins que le nombre d’Arméniens qui vivaient dans cette ville avant les pogroms de 1920. Jusqu’au 9 mai 1992, date à laquelle l’Armée de défense d’Artsakh a libéré la cité, 80 % de la ville était donc demeurée en ruine et quasi déserte.

Si les médias azerbaïdjanais font aujourd’hui une large place aux opérations d’urbanisme et de grands travaux dans les territoires occupés, les images concernant notre patrimoine resté en captivité en Artsakh se font de plus en plus rares.

En 2020, lors de la « Guerre des 44 jours », enivrée par ses « succès militaires » et assurée de n’encourir aucune sanction, la soldatesque azérie n’hésitait pas à déverser sur les réseaux sociaux de nombreuses images de ses méfaits. C’est en particulier ainsi que nous avons pu être témoins en temps réel de la profanation, voire de la destruction, de sanctuaires et de cimetières arméniens. Il n’en n’est rien aujourd’hui. Il semblerait que les autorités militaires contrôlent désormais de très près la diffusion de telles images. Le censure est telle que nul à ce jour ne peut dire ce qui se trame autours des deux églises de Chouchi et de l’ensemble du patrimoine arménien de la région, alors que la réthorique d’Aliev atteint des sommets de violence et de vulgarité. 

Dans le même temps, grâce à la lâcheté et à la cécité de la « communauté internationale », l’Azerbaïdjan et la Turquie accèdent à des postes de responsabilité dans les instances supérieures de l’UNESCO tandis que l’Artsakh a été totalement vidé de sa population et que la totalité de nos sanctuaires, monuments et cimetières, demeurent sans gardiens ni protecteurs, à la merci des Azéris.

Rien qui puisse nous rassurer sur l’avenir de ce patrimoine désormais orphelin.

Sahak SUKIASYAN