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Une nation ayant subi un génocide pourrait-elle elle-même perpétrer un génocide ?

Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a déposé une plainte auprès de la Cour internationale de justice, accusant Israël de commettre un génocide à l’encontre des Palestiniens. Une cinquantaine de pays, dont la plupart appartiennent au continent africain, au Proche-Orient dont la Turquie, se sont joints à la protestation sud-africaine. Bien que la Turquie ait condamné Israël et que Erdogan ait qualifié Netanyahou de génocidaire, la Turquie a poursuivi ses relations commerciales avec Israël : les rapports publiés dans la presse à ce sujet montrent qu’à partir du 7 octobre jusqu’à la fin 2023, plus de 450 cargos en partance pour Israël auraient chargé dans des ports turcs.

Pourquoi cette initiative surprise de l’Afrique du Sud ? L’Europe et les Etats-Unis se sont prononcés contre, alors que la Russie et la Chine sont restées silencieuses. La République d’Arménie n’a pas pris position, même si ce procès intéresse naturellement les Arméniens et à plusieurs égards. Premièrement, la guerre contre l’Artsakh a été menée par l’Azerbaïdjan avec la participation notoire d’Israël, qui a vendu des armes et a formé des militaires, qui a aussi fourni des renseignements militaires, les deux pays étant des alliés stratégiques. Deuxièmement, le soutien d’Israël était flagrant dans la défense des positions de l’Azerbaïdjan auprès des instances internationales, empêchant ces dernières d’adopter des résolutions condamnant l’Azerbaïdjan. Compte tenu du « soft power » qu’Israël détient, son intervention a contribué de manière significative à ce que les crimes de guerre de l’Azerbaïdjan ne donnent lieu qu’à des condamnations verbales de la part de l’OTAN, des États-Unis et de l’Europe, sans mesures punitives, de même pour les jugements rendus par la Cour internationale de Justice et la Cour européenne des droits de l’homme en faveur des Arméniens d’Artsakh. Troisièmement, pour les Juifs victime de génocide au XXe siècle, l’accusation de crime de génocide contre l’Etat d’Israël est un coup moral et politique terrible pour la société israélienne. Cela bouleverserait aussi ses relations avec le reste du monde, son capital de sympathie s’en trouverait écorné et les alliances politiques dégradées. Certains dirigeants politiques occidentaux s’y opposent, affirmant qu’une nation soumise à un génocide ne peut pas commettre de génocide. Quelle que soit la valeur de cette affirmation, cette question pourrait-elle un jour surgir aussi face à l’Arménie ? L’Azerbaïdjan ne manque pas d’occasion de la soulever. Et pour finir : Jérusalem. La communauté arménienne, présente depuis des siècles à Jérusalem, se trouve discréditée par les extrémistes israéliens, et elle est même soumise à des attaques physiques de nature raciste. Les Arméniens craignent même la confiscation forcée des propriétés arméniennes.

Toutes ces questions interpellent les Arméniens. Cependant, la faiblesse de la République d’Arménie, les divisions des organisations arméniennes, celles (et) de l’Église en Diaspora, les empêchent de tenir une position claire pour la défense des droits de l’homme, de la justice internationale.

Le 8 mai, Michael Rubin, chercheur à l’American Enterprise Institute, rappelait, dans un article, trois erreurs diplomatiques majeures d’Israël, la première étant la collaboration d’Israël avec le régime sud-africain blanc qui pratiquait l’« apartheid » contre les noirs. L’accusation de génocide montre que l’Afrique du Sud n’a pas pardonné aux Israéliens leur politique de soutien au régime d’apartheid. Et les paroles de Nelson Mandela résonne toujours : Nous savons trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. La balle est dans le camp de la Cour internationale de justice qui doit se prononcer contre cette lourde accusation.

J. Tch.