Par Marc DAVO
Récemment Le Figaro a publié un article intéressant, « La disparition du Haut-Karabagh, chronique d’une promesse française impossible » dans lequel la journaliste Elisabeth Pierson révèle le déroulement des événements en France autour de la situation de cette enclave arménienne placée sous l’autorité de l’Azerbaïdjan par Staline en 1921 sur instruction de Lénine (*).
Après la meurtrière guerre des 44 jours en 2020, déclenchée par les Azéris avec la participation directe des Turcs et des mercenaires islamistes de Syrie – ceux-ci transférés par l’armée turque vers l’Azerbaïdjan – l’Arménie, au bord du gouffre, a cru aux annonces de soutien faites en Occident, notamment en France. La poursuite des opérations d’empiétement azéries sur le territoire tant du réduit karabaghiote que d’Arménie incitées et soutenues par le maître du Kremlin, ont conduit la diplomatie européenne, démarchée par Paris, à réagir d’abord par des actions à caractère humanitaire, puis de nature politique et militaire.
La journaliste fait écho aux démarches des intellectuels et militants français en faveur des Arméniens durant le blocus azéri du Haut-Karabakh, décembre 2022-septembre 2023 et souligne le degré d’engagement du président Macron dans ce dossier. Elle rapporte les propos de Sylvain Tesson à propos de “l’indifférence” du Vatican par rapport aux souffrances et privations subies par tout un peuple durant des mois. Elle ne mentionne pas les dons financiers consistants du couple Aliev au trône pontifical.
En guise de justification objective de l’impuissance de la diplomatie française à faire bouger les choses dans cette partie du Caucase du sud, le silence des partenaires de la France et la complicité de certains pays membres de l’UE (Union européenne) comme l’Italie et bien entendu la Hongrie a été évoquée.
Là s’arrête les explications de l’article.
>>> L’histoire se répète on dirait
La lecture attentive de cet article fait penser aux efforts qu’un certain nombre de gouvernements ont déployé au cours de l’histoire contemporaine, pour secourir un peuple qui a subi le pire des malheurs. Ces efforts n’ont souvent pas abouti à renverser la marche vers le néant d’un pays secoué par l’agressivité d’Etats voraces, comme l’empire ottoman ou la Russie. Ce fut le cas à la fin de la première guerre mondiale lorsque la Russie fraichement bolchévique décide d’envahir le Sud-Caucase et de mettre fin à l’indépendance de la première République arménienne. Cette même Russie avait comploté avec les kémalistes d’un empire vaincu par l’Entente, en vue de dépecer l’Arménie de ses provinces occidentales (Kars, Surmalu, …). Ce fut le résultat de l’accord Lénine-Atatürk dit de Moscou en 1921.
Cent ans plus tard, les dirigeants de ces mêmes empires transformés en Républiques, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan s’accordent pour partager le Haut-Karabakh. Ce territoire montagneux et arménien depuis des siècles avait pu éviter, à maintes reprises, par exemple au cours de la période des grandes invasions centre-asiatiques, grâce à la dextérité du prince arménien Hassan-Jalalian du Karabakh, la destruction totale par les hordes mongoles.
Il est vrai que la France dans cette région traditionnellement sous la coupe de la puissance moscovite ne pouvait pas espérer toute seule être en mesure d’agir efficacement. L’analyste Hagop Badalian, qui ne manque pas de signaler, chaque fois, que la France agit par intérêt – comme si d’autres pays sont des bienfaiteurs désintéressés – affirme que Paris doit compter avec la Russie dans la sous-région … Cependant, les déclarations et promesses objectivement non-tenables auraient dû être évitées.
>>> Une élite bornée et incompétente
Si le gouvernement d’Erevan lorgne vers l’Occident sans toutefois prendre des mesures concrètes qui s’imposent, pour pouvoir espérer profiter de la convergence d’intérêts géopolitiques du bloc occidental, les gouvernements de Stepanakert avant la disparition du Haut-Karabakh ont fondé leur politique de sécurité sur le soutien supposé de Moscou et après la défaite de septembre 2020, sur la présence du contingent russe dépêché par le Kremlin. L’extrême russophilie des Karabaghiotes considérée comme un cas d’espèce a neutralisé les réflexes d’autodéfense dans un environnement très hostile. Cette inconscience du danger existentiel, alors que la machine de propagande azérie continuait de déverser son fiel anti-arménien partout, ne s’est même pas réveillée au lendemain de la défaite.
L’élite locale porte une énorme responsabilité dans ce qui s’est passé. Une fois débarrassé du souci sécuritaire, pensant qu’Erevan et Moscou répondront toujours présents, elle s’est employée de piller les deniers de l’Etat, de détourner l’aide venue de la diaspora, quoi que disent d’éminents responsables d’associations de bienfaisance. Dans une conversation en aparté, un ami installé depuis longtemps au Haut-Karabakh et en contact avec l’administration locale a témoigné de l’incompétence ahurissante des élites locales au pouvoir ou dans l’opposition.
L’isolement séculier du territoire durant l’ère soviétique, mais aussi le manque d’intérêt de cette élite pour un développement social et culturel hors du carcan du “modèle culturel” russo-soviétique, ont obstrué la perspective d’une ouverture d’esprit. Malheureusement, l’arrogance et la vanité sont venues renforcer cette carapace obscurantiste.
>>> Pour la défense des intérêts des Artsakhiotes
C’est en ce sens que l’ouverture en 2021 du Centre de la Francophonie à Stepanakert pouvait constituer une fenêtre, un appel d’air pour le développement socio-culturel au profit de la jeune génération. Les activités envisagées dans le cadre de la Fondation Paul Eluard allaient mettre en contact les locaux avec la culture et le savoir-faire européens, ce qui ne devait pas trop plaire à certaine catégorie de personnes formées aux standards soviétiques. Celles-ci voyaient avec méfiance une telle entreprise. Des manœuvres de déstabilisation furent tentées et l’expérience aboutit rapidement à l’échec. Les initiateurs de ce projet devraient, à mon avis, nous faire part de leur analyse.
Sur un autre plan tout à fait différent, pour défendre les intérêts de la population du Haut-Karabakh, Vardan Oskanian, ancien ministre des Affaires étrangères de Robert Kotcharian, a créé un comité de soutien (voir NH-hebdo N° 396 du 22 février, p. 6) et lors de ses apparitions récentes a évoqué le principe d’Uti possidetis sur la base duquel le gouvernement arménien peut et d’après l’ancien ministre, doit réclamer la restitution du statut d’autonomie de la région du Haut-Karabakh, si l’Arménie remet certains territoires situés dans la région arménienne du Tavush (en gros près des villages Baghanis et Voskepar). Voskanian estime que les deux sujets (remise desdits territoires jadis azéris au temps de l’URSS et le statut d’autonomie) hérités de l’époque soviétique, ont une même valeur ou se trouvent au même niveau diplomatique. Il appuie ses dires en avançant les exemples de pays africains ou latino-américains (Colombie). L’auteur de cet article a aussitôt contacté un juriste international pour confirmation. Gérard Guerguerian a néanmoins précisé que le principe d’Uti possidetis s’appliquait pour les frontières et non pour les délimitations administratives internes qui relèvent du droit interne des Etats. Ledit principe a été restreint à la décolonisation, plusieurs arrêts de la Cour l’ont confirmé. L’URSS ne s’est jamais reconnue comme un empire colonial. Compte tenu de ces précisions, il convient de voir les avis d’experts qui s’exprimeront à l’avenir.
Si M. Oskanian réclame le retour à la RANK (Région autonome du Nagorno-Karabakh) pour défendre les intérêts des Artsakhiotes, Samuel Babayan, commandant en chef des forces d’autodéfense durant la première guerre du Haut-Karabakh, lui, vise la création à l’issue de négociations avec Bakou, d’une République autonome, à l’instar de la République autonome du Nakhitchevan (le Nakhitchevan a un statut de protectorat sous la responsabilité de l’Azerbaïdjan par les traités). Dans un documentaire accessible sur les réseaux sociaux, Karen Demirdjian, dirigeant communiste, avait évoqué à l’époque sa proposition de placer le Haut-Karabakh, comme une République autonome, dans le cadre de la RSS d’Azerbaïdjan, en contrepartie, de placer le Nakhitchevan avec le même type de statut sous la responsabilité de la RSS d’Arménie, mais Moscou n’avait pas accepté.
En tout état de cause, se livrer entièrement à la merci d’une puissance, en l’occurrence la Russie, comme l’ont fait Robert Kotcharian et Serge Sarkissian est une erreur. On voit les conséquences dramatiques d’une telle inconsistance. Se jeter dans les bras d’une autre, la Turquie ou l’Iran, c’en sera une autre. Le rapprochement avec l’Occident doit se faire prudemment. La rencontre prévue avec le Secrétaire d’Etat Blinken et la présidente de la Commission von der Layen à Bruxelles, le 5 avril prochain sera, dans cette perspective, cruciale pour l’Arménie. L’Arménie doit d’abord se renforcer, le ou les pays qui l’aideront en ce sens sont les bienvenus. Aide toi, le ciel t’aidera.
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(*) Un historien et homme politique artsakhiote qui a requis l’anonymat, souligne que c’est finalement Lenine qui a demandé au KavBuro, dirigé par Staline, d’offrir le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan.
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