Les Arméniens accueillent ce 24 avril 2024 dans la perplexité. La date de la commémoration a coïncidé avec d’une part le processus de démarcation des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à Tavush dans le Nord et d’autre part, le départ des forces russes de maintien de la paix d’Artsakh. Au sein de la population, les perceptions concernant le processus de démarcation, initié par le gouvernement, divergent. Les craintes des habitants de Tavush sont justifiées compte tenu de la méfiance envers la partie azérie et du discours anti-arménien, menaçant à l’égard de l’Arménie. Lors de la rencontre avec la population locale, le Premier ministre a également justifié l’impératif d’initier le processus de démarcation à partir de Tavush, en soulignant le danger imminent d’attaque du côté azéri, et aussi la nécessité de relever ce défi afin de poser les fondements du processus de paix.

De nombreux partenaires internationaux occidentaux de l’Arménie, ainsi que l’Iran, les Émirats arabes unis et le Qatar, ont salué cette première étape de la démarcation comme un début du processus de paix.

Dimitri Peskov, porte-parole du Président russe, faisant lui aussi allusion à ce processus, a rappelé comme conséquence, la fermeture des postes de contrôle des gardes-frontières russes qui y sont stationnés depuis la guerre de 2020. Parallèlement, les soldats russes affectés au maintien de la paix ont également commencé à quitter l’Artsakh, avant même la fin de leur mandat quinquennal prévu pour l’année 2025, suivant l’accord signé entre l’Azerbaïdjan, la Russie et l’Arménie en novembre 2020. Suite à ce retrait, les postes de contrôle de l’armée russe établies au Syunik seront également fermées.

La France, ayant rappelé son ambassadeur de Bakou pour consultation, n’a toujours pas réagi officiellement au processus de démarcation mis en route, sans doute en raison de la crise diplomatique avec l’Azerbaïdjan. Et la Géorgie a salué le démarrage du processus avec quatre jours de retard. La démarcation des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à Tavush, signée sous la menace azérie, représente une menace ouverte envers la Géorgie, qui a également des zones de démarcation non résolues avec l’Azerbaïdjan dans cette partie de la frontière.

La Géorgie, directement frontalière avec la Russie et candidate à l’adhésion à l’Union européenne, mène une politique très prudente et suscite une vague de protestation populaire qui s’exprime depuis quelques jours devant le Parlement.

Avec la perte de l’Artsakh, la position de la Russie en Arménie s’est affaiblie. La Russie dispose d’importants leviers économiques et humains pour influencer les processus politiques en Arménie. Elle a cependant perdu son levier capital : l’Artsakh. Même les analystes russes rendent compte de ce phénomène, comme l’a déclaré Evgeny Satanovski, président de l’Institut russe du Moyen-Orient : « L’histoire des trois cent cinquante dernières années de l’Empire russe, de l’Union soviétique et de la Fédération de Russie a pris fin dans le Caucase du Sud. La dérussification de la Transcaucasie est un fait et il est inutile de le contester. »

L’Arménie n’ayant pas de frontière directe avec la Russie, l’influence de cette dernière sur l’Arménie ne peut reposer que sur un partenariat stratégique sincère et sur la protection des intérêts économiques bilatéraux. Avec la perte de l’Artsakh, la confiance est tombée au plus bas, même les intérêts économiques et la pression des travailleurs émigrés arméniens et des citoyens russo-arméniens sont inopérante.

Le plan de paix adopté par le gouvernement arménien n’est pas sans danger. Il faut cependant admettre que la plus grande menace qui pèse sur l’Arménie reste l’émigration. Sous les régimes Kotcharian-Sarkissian, si les citoyens arméniens ont émigré à cause de l’injustice, de la pauvreté, de la corruption, de l’oppression et de la guerre avec l’Azerbaïdjan, ils émigrent encore aujourd’hui principalement à cause du danger de guerre avec l’Azerbaïdjan. Ce qui ne laisse pas de grandes marges de manœuvre au gouvernement face à la menace azérie.

J. Tch.