La semaine dernière, le secrétaire du Conseil de sécurité nationale de l’Arménie, Armen Grigorian, a déclaré avec une grande clarté ce que tout le monde savait, mais n’avait pas exprimé ouvertement, à savoir que sans le feu vert de Poutine, l’Azerbaïdjan n’aurait pas osé attaquer l’Artsakh et la guerre de 44 jours de 2020 n’aurait pas eu lieu. Il a aussi déclaré, dans la foulée, que la Russie avait tout simplement cédé l’Artsakh à l’Azerbaïdjan. Et compte tenu des réactions hostiles de la Russie et de l’Azerbaïdjan à l’occasion de la vente par la France d’une série de canon Caesar à l’Arménie, Armen Grigorian a précisé que la Russie n’avait livré que 10 % des armements que l’Arménie avait commandé aux Russes à hauteur de 400 millions de dollars, par conséquent pour assurer sa sécurité, il est normal que l’Arménie achète des armes à d’autres sources. Ces déclarations arméniennes hostiles à la Russie l’accusant profondément et directement, mettent à mal des relations historiques réputées « fraternelles ». La Russie, s’etant toujours présentée comme le principal défenseur de l’Arménie, le grand garant de sa sécurité depuis l’époque de l’Empire ottoman.
Pour beaucoup, la plus grande menace pour la sécurité de l’Arménie provient des attentes déraisonnables des Arméniens à l’égard de la Russie. Trois dates importantes suffisent à elles seules pour démontrer cette thèse : 1- Pendant la Première Guerre mondiale, la retraite de l’armée russe du front turc à l’occasion de la révolution bolchevique. 2 – Sous la première république, du fait de l’alliance russo-turque de 1920, la perte de la moitié du territoire de l’Arménie indépendante au profit de la Turquie, et la subordination administrative de l’Artsakh à l’Azerbaïdjan lors de l’établissement du régime soviétique. 3 – Et lors de la guerre de 2020, le laisser-faire des forces russes en Artsakh, puis en Arménie face aux attaques azéries.
Les hostilités entre Arméniens et Turcs ou Azéris sont bien réelles, claires et documentées, ponctuées de massacres d’Arméniens. Cependant, dans le cas de la Russie, les deux parties se targuent d’une amitié vieille de plusieurs siècles, qui en réalité peut toujours se résumer comme une relation entre une puissance impériale et son subordonné, même dans le cadre de l’Union soviétique. À la lumière de la guerre de 44 jours de 2020 et du nettoyage ethnique de l’Artsakh en septembre 2023, cette fausse amitié arméno-russe a cependant été révélée. La partie russe a dénoncé le penchant des autorités arméniennes envers l’Occident et ces dernières ont finalement eu le courage de déclarer ouvertement la duplicité du pouvoir russe. Tous ceux qui pensent que le changement d’attitude de la Russie à l’égard de l’Arménie est dû à la Révolution de velours, se trompent lourdement. Même Serj Sargsyan, à la fin de la guerre de 4 jours en 2016, avait déclaré dans l’avion présidentiel lors d’un entretien avec des journalistes que la Russie en tant qu’alliée de l’Arménie n’était pas à l’image de la Turquie en tant qu’alliée de l’Azerbaïdjan. À cette occasion, il avait précisé que la Russie fournissait à l’Arménie des armes des années 80. Depuis ce temps, les sentiments anti-russes se sont développés dans l’esprit du public arménien.
Les dirigeants politiques russes ne se sont pas retenus lorsqu’il s’est agi de se déclarer ouvertement et à plusieurs reprises en faveur du renversement du gouvernement arménien actuel. Et après la déclaration du secrétaire du Conseil de sécurité, Ara Abrahamian, le Président de l’Union des Arméniens de Russie, a déclaré que la principale menace pour la sécurité de l’Arménie était Pachinian et son gouvernement.
De l’autre côté, pour faire face à la menace russe et pour réduire son influence, le Département d’État américain s’efforce systématiquement de pousser l’Azerbaïdjan à signer le traité de paix avec l’Arménie avant la conférence de la COP 29 sur le climat à Bakou. Lors de la récente visite d’O’Brien, vice-ministre des Relations avec l’Europe et l’Eurasie du Département d’État, il est devenu clair que les États-Unis ont un plan stratégique d’ouverture de voies de communication qui passent par les pays de l’Asie centrale turcophones jusqu’à la Turquie et la Méditerranée en passant par l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Ce plan américain met à mal le plan russo-azéri qui consiste à forcer l’Arménie à céder le plus possible de ses territoires et un couloir sous contrôle russe. Et afin de contrer le plan américain et pour gagner du temps, l’Azerbaïdjan a annoncé des élections législatives anticipées qui auront lieu en septembre prochain. Après, viendront les élections présidentielles américaines qui risquent de bouleverser les plans du gouvernement américain actuel.
J. Tch.
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