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Mort de Louis Mermaz, la disparition d’un Juste

Mitterrand et Mermaz

Le 15 août, à quelques jours de son 93e anniversaire, à Limours dans le département de l’Essonne, s’est éteint Louis Mermaz qui n’était pas originaire de l’Isère mais dont le nom restera lié à jamais à ce département qu’il avait adopté et à la ville de Vienne dont il fût le maire pendant trente ans, de 1971 à 2001.

Sa disparition endeuille non seulement l’Isère dont il fut l’un des députés durant cinq mandatures de 1973 à 1988, mais également toute la France dont il fut un grand serviteur.

Un grand serviteur de la République

Outre ses mandats de député, de conseiller général, de maire et de sénateur, Louis Mermaz a également occupé de nombreuses responsabilités au sein du Parti socialiste. Il était entré en politique dans les années 50 à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance, où il avait rencontré François Mitterrand, auquel il restera fidèle durant toute sa carrière.

Souvent présenté comme un « Baron du  Mitterrandisme »,  il était  entré  pour la première fois dans un gouvernement en 1981, avec la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle. Il y avait reçu le portefeuille de ministre de l’Équipement et des Transports. Plus tard,  il occupa les postes  de ministre de l’Agriculture (1990-1992), puis de Porte-parole du gouvernement (1992-1993). Il fût également président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale qu’il présida de 1981 à 1986.

Homme de conviction et d’engagement, la personnalité de Louis Mermaz était empreinte d’une grande humanité, d’une éthique et d’une probité politique rares aujourd’hui.

Agrégé d’histoire, homme de culture, dans le cadre de sa politique municipale, il avait donné un nouvelle essor à cette ville de Vienne autrefois riche en industries diverses, dont le tissage et la chaussure, deux secteurs dans lesquels les survivants du Génocide avaient été nombreux à travailler.  Sa fibre sociale lui avait inspiré une ambitieuse politique de construction de logements sociaux, parfois décriée par ses adversaires politiques. Son intérêt pour la culture dans une ville riche en monuments des périodes gallo-romaine et médiévale, sa formation d’historien, l’avaient conduit à moderniser les différents musées de la ville. Mais homme d’ouverture, il avait également encouragé la création du célèbre festival « Jazz à Vienne ». Encore en 1981 …

Un authentique ami de l’Arménie et du peuple arménien

Dans la communauté arménienne de France et bien au-delà, dans toute la diaspora, Louis Mermaz était aussi connu comme un grand ami de l’Arménie et du peuple arménien.

Très proche de l’importante communauté locale dès son élection au poste de maire de Vienne en 1971, il a été sans cesse aux côtés des Arméniens dans leurs combats, au plan local comme au plan national et international. Parmi toutes ses nombreuses actions on retiendra :

1973 –  l’inauguration de la rue du 24 avril 1915 dans le quartier historique d’Estressin,

1982 –  l’élévation d’une stèle dédiée aux victimes du Génocide des Arméniens,

1985 –  Son soutien à la création de la Maison de la Culture Arménienne de Vienne,

1988 –  La mobilisation de Vienne  à la suite du tremblement de terre de Spitak,

1991 –  La célébration par la ville de Vienne de l’indépendance de l’Arménie,

1992 –  Le jumelage entre Vienne et la ville arménienne de Goris.

Les deux plus grandes expressions de son attachement au combat des Arméniens pour la reconnaissance du Génocide demeurent indubitablement l’inauguration de la rue du 24 avril 1915 et le discours du Président Mitterrand  qui, le premier, avait évoqué lors d’une visite à Vienne ce tragique moment de notre histoire récente.

1971 (Vienne). Commémoration du 81e anniversaire de la FRA : Hovhannès Ouzounian, Sissag Sislyan, Maurice Dolmadjian, Louis Mermaz, Satenig Francoz-Garabédian, Garo Hovsepian, Vrej Kalousdian.

En 1973, avec le soutien de son conseil municipal, Louis Mermaz avait dû résister à la fois aux fortes pressions « diplomatiques » turques et aux injonctions préfectorales  sur l’ordre du gouvernement de l’époque. Pour  la première fois peut-être en France, les plaques de cette rue de la Convention du quartier d’Estressin  devenue pour une partie «  rue du 24 Avril 1915 » portaient la mention « Génocide perpétré par les Turcs contre les Arméniens ».

En janvier 1984, Louis Mermaz avait souhaité présenter ses vœux à la communauté viennoise à l’occasion de la fête de la Nativité. Dans le cadre de cette manifestation, pour la première fois depuis son élection en tant que maire, il s’adressait à ses membres par ces mots « Je tenais à vous honorer et vous remercier de votre contribution à la vie économique, sociale, culturelle de Vienne, également dans la région et en France ». Le Président Mitterrand qui s’était rendu dans la matinée à Bourgoin Jallieu, commune du nord du département, avait été « l’invité surprise » de cette cérémonie des vœux. Dans son discours, Louis Mermaz avait alors déclaré « Dès 1914-1918, vous étiez de ceux qui combattaient pour la liberté … Vous êtes Français, vous faites partie du pays de la chair des libertés ».

 

Prenant à son tour la parole, en faisant allusion à l’un de ses discours qui avait précédé son élection à la Présidence de la République, François Mitterrand déclarait « Il y a chez nous une grande communauté arménienne reçue fraternellement dans notre pays, à qui elle a fourni citoyens et soldats … La communauté arménienne représente l’une des richesses de la France, je continue de le penser …. La France est l’un des pays au monde où vous devez vous sentir chez vous. Sentez-vous parmi nous ! Vous avez une façon d’être, de préserver une culture qui m’intéresse au plus haut point ». Il annonçait dans la foulée que le 40e anniversaire de la mort de Missak Manouchian, qu’il avait alors présenté comme un « Grand héros de la Résistance française », serait célébré cette année-là avec plus d’ampleur.

Cependant,  la « bombe » qui provoqua alors la surprise auprès des Arméniens et la fureur de la Turquie fut bien évidemment la célèbre phrase dans laquelle employant pour la première fois le mot « Génocide » il déclarait  « Il faut que cela s’inscrive dans la mémoire des hommes, il n’est pas possible d’effacer sa trace ».

Mais au-delà de la dimension mémorielle de son discours de 1984, on retiendra cette phrase quasi prophétique alors que l’indépendance de l’Arménie était loin d’être à l’ordre du jour de la communauté internationale « Qu’on sache cependant que ce peuple, riche de ressources, n’appartient pas au passé, mais au présent et qu’il compte pour l’avenir ».

Nul doute que Louis Mermaz aura, ici aussi, eu un rôle décisif dans cette prise de position du Président Mitterrand. Une position qui dynamitait du coup un honteux silence international.

C’est donc un véritable «  Juste » dont nous pleurons la mort aujourd’hui.

Dès sa première élection à Vienne, Louis Mermaz avait travaillé avec les représentants de la communauté arménienne, en particulier les responsables de la FRA et du CDCA qui étaient également pour lui des partenaires sur le plan politique. Mais il avait également des relations amicales et de collaboration avec les autres membres de la communauté qui ne partageaient pas ses convictions politiques. Et cela était également l’une de ses grandes qualités.

Fidèle à ses engagements et à ses amitiés, Louis Mermaz avait rejoint les membres de la Croix bleue des Arméniens de France auprès du grenadier planté au Jardin de ville de Vienne le 17 Mars dernier à l’occasion de la Journée des Femmes. Sur l’une de ses dernières photographies, on peut le voir en compagnie de Patrick Tchoboyan qui a été le premier directeur de la MCA de Vienne créée avec le soutien de Louis Mermaz.

Louis Mermaz et Annie Mermaz, son épouse, ont connu dans leur vie familiale deux terribles drames avec la perte de leurs fils, Frédéric et Pierre.

Les hasards de la vie font que sa mort survient quelques jours après le décès de l’une de ses plus proches collaboratrices et amie, Saténig Francoz-Garabédian, une des premières femmes conseillères municipales arméniennes, une « grande Dame » de la communauté de Vienne.

Nos condoléances les plus respectueuses et nos pensées vont à Mme Mermaz, à sa fille Laure, et à tous les membres de leur famille, ainsi qu’aux parents et proches de Saténig Francoz-Garabédian.

Selon la formule arménienne traditionnelle : Bénie soit la mémoire des Justes !

Sahak SUKIASYAN