L’institut de recherche « Achot Hovhanissian » (Johanissyan Institute, 19 Khanjyan street, Erevan) a organisé une série d’exposés, en rapport avec les travaux de recherche sur l’État, le 16 novembre dernier, dans la salle de réunion de l’Institut à Erevan. D’éminents professeurs d’université (Jirair Libaridian, Roger Markvic, …) et chercheurs, dont des jeunes arméniens (Ilina Chahnazarian, Achot Grigorian, …) ont présenté leurs approches et le résultat de leurs réflexions. L’auditoire suivait attentivement leur argumentation.
D’emblée, l’exposé de Jirair Libaridian, historien et ancien vice-ministre des Affaires étrangères de Levon Ter Petrossian, a attiré l’attention puisqu’il portait sur l’appréhension de l’Etat chez les Arméniens. L’intervenant a avancé la notion de légende qui a continué de prévaloir dans la pensée politique arménienne tout au long de l’histoire, aussi bien au temps des royaumes que des Républiques. Se considérant comme faisant partie de la civilisation chrétienne occidentale, les Arméniens ont donc vécu sous l’emprise de cette légende, celle de l’Occident chrétien qui viendrait aider un peuple, partie prenante de cette civilisation.
L’idée force de l’orateur est qu’à chaque crise où la menace est sérieuse, l’élite arménienne et les Arméniens en général fondent leur espoir sur des solutions venant d’Occident chrétien – la Russie est incluse sous ce vocable. Cependant, le constat est que ses promesses de soutien n’ont finalement pas été tenues. Les promesses de soutien sont nombreuses dans l’histoire du peuple arménien et l’historien-diplomate cite le traité de San-Stefano de mars 1878 et le congrès de Berlin de juillet 1878, où la Question arménienne est à l’ordre du jour.
Cette légende a pris forme de façon déconnectée des réalités. Elle a grevé les décisions les plus importantes touchant le sort de la population et de ses instances dirigeantes.
Les Occidentaux ont fait pression sur la Sublime porte pour introduire des Réformes, ce qui a provoqué une certaine réaction négative des autorités ottomanes. Les massacres des populations arméniennes sont la suite directe et « logique » de la réaction ottomane. Dans l’apparition de cette légende donc parle Libaridian, il faut rappeler le rôle instigateur des représentants occidentaux. En effet, c’est un Général russe qui a suggéré aux Arméniens de demander l’aide de la Russie, pour stipuler une clause concernant les Arméniens dans le traité concluant la conférence de San-Stefano.
Abordant à la période contemporaine, la création du Comité Karabagh, dit Libaridian, a été une tentative de se débarrasser de cette légende de l’Occident sauveur des Arméniens, mais elle s’est heurtée à l’opposition de la partie de l’élite restée encore attachée à cette légende.
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J. Libaridian critique le recours à ce qu’il appelle « la légende », c’est-à-dire l’espoir d’un soutien de l’Occident chrétien à la cause arménienne. Un recours à l’occident aux dépens d’une politique visant à prendre langue avec les voisins. Certes, ce qui est à récuser, c’est le recours machinal et la naïveté dans un soutien sans contrepartie de l’Occident. Cependant, on peut légitimement s’interroger sur la fiabilité de relations paisibles ou co-existentielles avec des voisins dont l’une des raisons d’être est l’asservissement, voire l’anéantissement du voisin arménien dont la culture lato sensu (histoire, langue, religion, manière de vivre, ….) est différente des leurs.
Il ne faut pas oublier qu’à l’heure actuelle en Arménie, certaines forces politiques obnubilées par le syndrome d’Israél Ory, croient toujours au « sauveteur russe ». Admettons! il ne faut pas croire à l’Occident qui viendrait sauver l’Arménie des griffes du loup gris ou de l’ours, prédateurs qui cherchent une aubaine pour dévorer l’Arménie. Cependant, force est de constater qu’entourée quasiment des dévoreurs voraces, l’Arménie toute seule n’est pas en mesure de se défendre. L’aide d’autrui est indispensable, quoi qu’on dise, tout en sachant que cette aide ne sera pas gratuite, sans contrepartie. Il convient, dans ces conditions, de jouer le jeu qui lui sera imposé dans l’attente de l’amélioration de la résiliance pour laquelle le pays tout entier, avec l’aide de la diaspora, doit obligatoirement se consacrer, s’il veut exister en tant qu’État souverain et non comme une province de l’empire poutinien ou comme un Tatarstan.
Il est indispensable d’encourager les centres d’études et de recherches arméniens qui pourraient mobiliser les esprits pour améliorer, renforcer le niveau de connaissance générale de par la diffusion de leurs travaux. L’esprit étriqué, le savoir-faire insuffisant, l’absence de motivation qui en résulte sont les moyens de réifier les masses en en faisant des instruments au service d’une politique anti-nationale.
Armand M. ■
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