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TURQUIE – Erdogan : « Alep et Damas auraient pu être des villes turques »

Le 13 décembre, lors d’une réunion de son parti dans la ville de Sakarya, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré : « Si, après la Première Guerre mondiale et la révision des frontières, les circonstances avaient été arrangées différemment, alors les villes que nous appelons aujourd’hui Alep, Hama, Idlib, Damas ou Raqqa auraient pu devenir des provinces de notre pays, comme Hatay, Antep ou Urfa aujourd’hui. »

Expliquant l’implication active d’Ankara dans les développements syriens, Erdogan a ajouté : « Nous ne pouvions pas rompre complètement les liens avec nos consanguins restés dans ces régions simplement parce que ces villes se trouvent aujourd’hui en dehors de nos frontières. » 

Au cours de la même réunion, Erdogan a également déclaré, sans aucun complexe et en faisant allusion à la chute du régime d’Assad : « Désormais, il ne reste plus que deux leaders dans la région : Poutine et moi. »

Parlons un peu des aspirations des Turcs…

Concernant les derniers événements en Syrie, on a souvent évoqué le « doigt de la Turquie » et les « groupes sous influence turque », mais il existe très peu de références tangibles aux véritables aspirations de ce pays. Pourquoi la Turquie « participe-t-elle » à ces développements ? Pourquoi parraine-t-elle – le mot est faible – certains groupes, voire en a-t-elle créé certains ?

Si l’on suit régulièrement la presse turque, il ne se passe pas une heure sans que l’actualité en ligne ne présente de nouvelles aspirations sur la Syrie. Bien sûr, elles sont toujours justifiées par des motifs « humanitaires », des intentions que l’on peut douter que les dirigeants turcs croient eux-mêmes.

Dès 2011, aux premiers jours de la guerre civile syrienne, la mentalité opportuniste du « pêcher en eaux troubles » a commencé à prévaloir dans les cercles nationalistes turcs, c’est-à-dire au sein de la majorité du pays. À cette époque, en parallèle aux premières émeutes en Syrie, les rêves de restauration des jours glorieux de l’Empire ottoman se sont ravivés un peu plus en Turquie. Aujourd’hui, si l’on en croit les publications de la presse pro-gouvernementale turque, la Syrie faisait partie de l’Empire ottoman et serait destinée à revenir sous le contrôle de la Turquie.

En 2015, l’armée turque avait déjà effectué une « tentative », ou plutôt un « exercice », d’invasion du territoire syrien. Selon le communiqué officiel, une petite armée composée de 39 canons, 57 véhicules blindés, 100 autres types de véhicules militaires et 572 soldats est entrée dans le nord de la Syrie pour déplacer la tombe de Suleiman Shah vers un endroit « plus sûr ». À quel point cette justification officielle était-elle convaincante ? Aujourd’hui encore, le retour du mausolée à son emplacement initial demeure un sujet de discorde, avec des calculs politiques opaques. Cet épisode n’est qu’un exemple parmi les innombrables incursions de la Turquie sur les terres syriennes, toujours justifiées par la « lutte contre les groupes terroristes kurdes » et leur « neutralisation ». Mais nul ne sait vraiment ce que fait l’armée turque lorsqu’elle pénètre sur le territoire syrien.

Depuis le début de la guerre civile en 2011, la propagande turque sur la domination syrienne s’est intensifiée, culminant avec l’offensive des rebelles du 26 novembre, qui a marqué un tournant. Seule l’opposition turque ne s’est pas jointe à cette propagande, bien au contraire. Mais est-ce par conviction ou simplement par opposition au gouvernement en place ?

Chaque événement, chaque détail, est utilisé pour « lier » symboliquement la Syrie à la Turquie :

Ainsi : 

– « Les troupes turkmènes entrées à Tel-Rifat chantaient des marches turques. »

– « Un drapeau turc a été déployé à la forteresse d’Alep. »

– « Nous avons nourri cinq millions de Syriens pendant 13 ans. C’est maintenant ou jamais. Ces terres sont notre droit. »

À cet égard, sont évoqués les noms de Nusaybin et Qamishli, rappelant que ces régions pourraient fournir la moitié des besoins annuels en pétrole de la Turquie. Mais une question s’impose : ces cinq millions de réfugiés ont-ils été accueillis par pur altruisme ou pour les milliards d’euros versés par l’Union européenne ? Pourtant, durant ces 13 années, les actes de racisme contre les réfugiés syriens n’ont cessé de se multiplier. Les discours anti-syriens sont omniprésents et font officiellement partie des discours politiques. Malgré cela, la Turquie continue de présenter ses actions comme « humanitaires »…

À ce propos, il y a un autre aspect dont on ne parle presque jamais. Un grand nombre de ces réfugiés syriens ont été « utilisés » à des fins électorales. Rapidement gratifiés de la nationalité turque, ils ont « exprimé leur gratitude » envers le pouvoir en place. D’ailleurs, cela soulève à présent une autre problématique qui risque d’émerger assez rapidement. Par le biais de ces Syriens devenus binationaux, qui commencent à rentrer dans leur pays, la Turquie augmente considérablement le nombre de « ressortissants turcs »
en Syrie. Cela pourrait lui servir, à l’avenir, de prétexte supplémentaire pour s’ingérer, voire envahir le territoire syrien, si nécessaire, car le nouveau régime syrien semble déjà acquis aux intérêts turcs.

« Qu’Alep devienne 82 » (La Turquie compte 81 provinces, la 82e serait donc Alep).

– « Alep est turque et musulmane jusqu’à la moelle. » (Devlet Bahçeli, leader du parti des Loups gris).

– « Les opposants sont entrés dans Deir ez-Zor. Ce n’est pas pour rien que les Kurdes protégeaient cet endroit comme la prunelle de leurs yeux, tant de richesses y dorment… » (Ces trois points en disent si long…).

La liste des déclarations provocantes est interminable.

Mais pouvait-on réellement s’attendre à un comportement différent de la part d’un pays dirigé par un président qui revendique presque ouvertement être un tyran ? À propos de la chute du régime Assad, désormais largement reconnu comme tel, Erdogan déclarait, comme évoqué ci-dessus : « Désormais, il ne reste plus que deux leaders dans la région : Poutine et moi. »

Un aveu qui en dit long sur l’opportunisme et l’expansionnisme ambiants.

*  *  *

Ainsi, chaque titre de la presse turque relatif à la Syrie mérite d’être analysé avec minutie et rigueur, car il révèle des indices sur les aspirations turques vis-à-vis de son voisin. Dernier exemple en date : cette dépêche :

« Attention ! Les Britanniques lorgnent sur le pétrole syrien. Ils auraient déjà payé un acompte de 50 millions de livres sterling à HTS (Hayat Tahrir al Sham). »

Pourquoi cette mise en garde ? Pourquoi cette « attention », comme s’il s’agissait d’une ressource nationale propre à la Turquie en péril ? 

Il convient également de noter que nombre de ces dépêches disparaissent rapidement du web après leur publication – comme celle mentionnée ci-dessus – sans doute en raison d’un manque de véracité ou de bien-fondé pour beaucoup d’entre elles. Cela ne constitue-t-il pas, là aussi, une preuve que tout ceci est orchestré dans un objectif de propagande tendant à l’usurpation ? ■