Alors que les chrétiens du monde entier entraient dans la « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens », convoqués par le ministère des cultes du gouvernement de Bakou, les chefs religieux de l’Azerbaïdjan, le Cheikh-oul-Islam Allahchukur Pachazadé en tête, ont commémoré ce que les Azéris appellent le « Janvier noir » [Qara Yanvar], c’est-à-dire la répression qui a suivi le pogrom anti-arménien organisé à Bakou du 12 au 19 janvier 1990. Le gouvernement de Moscou avait alors laissé les mains libres aux autorités locales durant une semaine pour massacrer la population arménienne de Bakou – officiellement 90 morts et 700 blessés – provoquant l’exode de la totalité de la communauté arménienne de la capitale azerbaïdjanaise, soit plus de 200 000 personnes.
Deux commémorations dédiées à ces événements ont eu lieu à Bakou les 17 et 18 janvier, à l’invitation du Bureau des Musulmans du Caucase et du Centre international du multiculturalisme de Bakou. Comme à l’habitude, étaient présents le ban et l’arrière-ban des autorités religieuses musulmane, juive, catholique et orthodoxe russe du pays.
Lors de l’un de ces deux événements, l’évêque russe Alexy a évoqué le rôle du clergé orthodoxe au cours de l’intervention des troupes soviétiques. Il a en particulier cité l’archiprêtre Viktor Lukyanov, alors recteur de l’église de l’Archange Michel de Bakou, qui se serait singularisé par « ses actions au service du maintien de la paix », sans que l’on sache si celui-ci avait alors tenté de sauver des frères chrétiens arméniens poursuivis et martyrisés dans leurs appartements ou dans les rues de Bakou.
Le plus zélé des intervenants a sans doute été l’évêque catholique Wladimir Fekete, un Slovaque, qui a pris la parole le 18 janvier pour condamner l’entrée des troupes soviétiques qui étaient pourtant intervenues bien tardivement : «Même si 35 ans se sont écoulés depuis cette nuit sanglante, le souvenir brillant des martyrs du 20 janvier vit encore dans le cœur du peuple azerbaïdjanais. Les victimes de ces événements tragiques sont enterrées dans l’Allée des Martyrs, et il est très important pour moi qu’aujourd’hui l’Allée des Martyrs ne soit pas seulement un complexe mémorial, mais un centre moral vivant de la capitale. Ici viennent non seulement des témoins de cette époque, mais aussi de jeunes familles, des adolescents, des enfants. Cela signifie que les gens gardent cette histoire dans leur cœur et cultivent ainsi l’amour pour la Patrie ».
Reprenant le discours ultra-conservateur, pour ne pas dire plus, de Poutine, d’Erdogan, d’Aliev et de son propre premier ministre Robert Fico, un discours amplement repris et diffusé par l’Église orthodoxe russe et son patriarche, le prélat catholique poursuivait par ces mots « Malheureusement, dans un certain nombre de pays développés, les valeurs d’amour pour la patrie et de dévouement à son égard sont écartées de la conscience de la société. C’est une tendance très triste. Parce que tout commence par la famille. Les valeurs familiales et le patriotisme sont les deux faces d’une même médaille. Dieu merci, ces valeurs sont préservées en Azerbaïdjan et transmises aux générations futures. En même temps, en nous souvenant de la tragédie du 20 janvier, nous devons exprimer notre gratitude aux chefs religieux de l’Azerbaïdjan, en particulier au Cheikh-oul-Islam Allahchukur Pachazadé, qui n’ont ménagé aucun effort pour protéger le peuple contre de graves provocations à cette époque ». Ses propos figurent intégralement sur le site de l’Église catholique d’Azerbaïdjan où ils sont consultables : https://www.catholic.az/en/archives/3384
En la matière, on peut difficilement faire plus servile que ce bien sinistre « monsignore ».
On se souvient également que le cardinal Gallagher, Secrétaire pour les relations avec les États du Vatican, a été personnellement reçu par Ilham Aliev le 16 décembre 2024 après avoir béni deux jours plus tôt le terrain de la future église saint Jean-Paul II en partie financée par la Fondation Heydar Aliev. Une collaboration à l’odeur de soufre.
Dans ces circonstances, il n’est pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé du choix de la figure de Jean Paul II qui fut à son époque un défenseur des droits de l’homme et par conséquent un adversaire des régimes autoritaires et dictatoriaux.
À ce plérôme des religieux « canoniques et casher » représentants officiels de leurs institutions et de leurs chefs spirituels, s’était naturellement joint l’incontournable et inénarrable Robert Mobili, le chef de la prétendue « communauté chrétienne-albanienne des oudis d’Azerbaïdjan ».
Aucun de ces religieux œuvrant en Azerbaïdjan, aucun des hiérarques de leurs Églises et obédiences religieuses, n’a émis la moindre protestation contre les procès illégitimes organisés par le pouvoir aliévien contre les 23 otages arméniens de l’Artsakh qui débutaient à quelques centaines de mètres d’eux.
Pour l’année 2026, c’est l’Église arménienne qui proposera le thème de la « Semaine de prière pour l’unité des Chrétiens ». Il faudra alors beaucoup d’imagination à Mgr Fekete et à Mgr Alexy pour retrouver les voies de la conscience universelle.
Sahak SUKIASYAN
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