De la nécessité de la création d’un troisième pôle

Plus de quatre ans se sont écoulés depuis la guerre de 44 jours, mais encore et quotidiennement, sur diverses plateformes officielles et officieuses, lors de débats entre politiciens et experts, les attaques virulentes polarisées et les accusations mutuelles ne manquent pas. Il y a aussi des procès en cours contre certains hauts gradés militaires accusés d’avoir manqué à leurs responsabilités lors de la guerre. Malgré le passage du temps, les blessures ne guérissent pas, la rancœur, une hostilité passionnelle qui parcourt le discours politique, ne montrent aucun signe d’apaisement. Les théories du complot et la circulation de fausses nouvelles sont devenues monnaie courante. Le sujet est si irritant, voire si tragique, que la formation d’un troisième pôle pour étudier les événements de façon équilibrée sur des bases documentaires objectives s’est avérée, jusqu’à présent, impossible.

Bien qu’une commission parlementaire d’enquête ait été créée en 2022 pour étudier les circonstances de la guerre de 44 jours, laquelle devait soumettre son rapport au Parlement en novembre 2024 après deux ans de travail, celui-ci n’a toujours pas été présenté au Parlement à ce jour. Il est également important de noter que les forces politiques d’opposition ont refusé de participer à cette Commission d’enquête, ce qui a transformé cette dernière en un organe d’investigation composé uniquement de membres parlementaires du parti au pouvoir, susceptible ainsi de dévaluer les conclusions du rapport.

Enfin, le Centre de recherches humanitaires d’Erevan a récemment publié un ouvrage consacré à la guerre de 44 jours, intitulé «44. Défaite/La guerre d’Artsakh de 2020 – faits et conséquences» par Vicken Cheterian, Mekertitch Karapetian, Achot Voskanian et Karen Haroutunian. Cette étude analytique et critique est basée sur environ trente-cinq entretiens – menés par V. Cheterian, professeur d’histoire et de relations internationales à Genève – avec des personnalités ayant occupé de hautes fonctions politiques et militaires ainsi que des experts et analystes.

Bien que ce livre ne soit naturellement pas la première tentative d’étude, comme le note Karen Harutiounian, co-auteur de «44. Défaite… » , il y a eu, jusqu’à présent, des dizaines de tentatives d’analyse de la seconde guerre du Karabagh pour comprendre les causes et les conséquences de la guerre de 44 jours. Parmi ces dernières, la diaspora arménienne connaît le rapport «Livre blanc : la guerre du Karabagh de 2020 et la future politique étrangère et de sécurité de l’Arménie», publié en 2021 par Jiraïr Libaridian, Taline Papazian et Robert Aydabirian.

«44. Défaite…» se distingue des autres publications car il est fondé sur 35 entretiens avec des personnalités politiques de tous les horizons d’Arménie et d’Artsakh, incluant tant le Premier ministre Pachinian que le président Serge Sarkissian. Kotcharian en est absent. Mais il y a aussi trois entretiens anonymes, de hauts responsables ayant refusé de révéler leur nom. Cette étude est importante en raison de la distance créée entre les universitaires analystes et les paroles qu’ils ont recueillies des acteurs directement impliqués dans la guerre. C’est une approche objective nécessaire pour le renouveau de l’armée arménienne et la construction du futur système de sécurité, loin des manipulations politiques.

Elle est également importante en termes d’informations non biaisées offertes au public, afin que les citoyens du pays soient éclairés afin de comprendre la catastrophe qui s’est produite et ainsi pouvoir être plus exigeants à l’avenir envers les dirigeants politiques du pays.

Avec la publication de cet ouvrage, nous ne pouvons certes pas considérer que tous les écueils et zones d’ombre de la guerre de 44 jours ont été complètement révélés, mais cette publication constitue une étape importante, et notamment concernant la coopération entre chercheurs de l’Arménie et de la Diaspora..

J. Tch.