L’offensive idéologique du Premier ministre

Le message principal du Premier ministre Pachinian, lors de sa rencontre avec les dirigeants de la communauté arménienne à Paris, a été l’expression d’un tournant idéologique concernant la nouvelle stratégie de la politique étrangère et intérieure du gouvernement arménien. Ce même message avait été délivré lors de ses rencontres avec la communauté arménienne aux États-Unis et en Suisse, où il avait également fait l’objet de vives critiques. Sans reculer, le Premier ministre a réaffirmé l’importance cruciale du tournant idéologique vers l’ « Arménie réelle ».

Cependant, à Paris, la formulation du Premier ministre a pris un caractère beaucoup plus provocateur. Le Premier ministre a assimilé les idéologies de tous les partis politiques depuis la fondation de la Troisième République à celle de la Fédération Révolutionnaire Arménienne (FRA) : « Je suis arrivé à la conclusion que depuis le premier jour de la fondation de la Troisième République d’Arménie, il n’y avait, en réalité, qu’un seul parti en Arménie, la FRA, et que c’était, en réalité, l’idéologie de ce parti qui dominait ». Il est vrai que le principal parti qui s’oppose à la politique du gouvernement actuel reste la FRA. Ce parti, ayant abandonné ses valeurs idéologiques socialistes, s’est raccroché uniquement à une idéologie nationaliste. Une idéologie que les partis traditionnels de la Diaspora partageaient plus ou moins, et que tous les partis de la Troisième République d’Arménie avaient adoptée, y compris ceux pro-soviétiques et pro-russes. L’assimilation par le Premier ministre de l’idéologie de tous les partis à celle de la FRA est, sans aucun doute, blessante, en particulier pour les partis traditionnels qui, dans la Diaspora, se sont opposés à la politique de la FRA qui fut anti-soviétique jusqu’à l’avènement de la perestroïka. Mais, toujours est-il, qu’ils partageaient pleinement le nationalisme.

Il est à noter que dans son discours le Premier ministre a fait preuve d’autocritique, assimilant même l’idéologie de son parti, le « Contrat Civil », à celle de la FRA, il a déclaré : « Il y a eu le Mouvement Pan-national  arménien (MPA) – FRA, il y a eu le parti « Contrat Civil » – FRA, c’est-à-dire qu’en Arménie tous les partis en activité ont essentiellement fonctionné dans le cadre de l’idéologie de la Fédération Révolutionnaire Arménienne. Le MPA a cru qu’il était plus nationaliste que la FRA. Au parti « Contrat Civil » on a cru que nous étions plus nationalistes que la FRA. »

Le Premier ministre, face aux critiques et à ses détracteurs, ainsi qu’aux sceptiques de l’idéologie de l’« Arménie réelle » et du « Carrefour de la paix », lance une offensive politique dans les capitales et les villes les plus importantes où se trouve la Diaspora, afin de mettre en œuvre sa stratégie de défense de l’Etat d’Arménie, en la fondant sur la paix, sans laquelle il serait impossible de créer un État souverain. Sans cela, la sécurité de l’Arménie serait dépendante du soutien d’une quelconque puissance étrangère.

La question est de savoir à quel point cette idéologie est réaliste. Elle renonce fondamentalement à la lutte pour l’Artsakh, et pour le droit des Artsakhiotes au retour, refuse le combat pour la reconnaissance du Génocide, et se contente des 29 800 km² de superficie héritage arménien de l’époque soviétique. Naturellement, les Arméniens de l’Artsakh et de la Diaspora ne sont pas obligés de suivre la ligne idéologique du gouvernement arménien. En fin de compte, ceux-ci ont une autre histoire, leur propre but, leur propre lutte pour affirmer leur identité, et dans les conditions actuelles, tout cela ne coïncide pas avec la stratégie sécuritaire et existentielle du gouvernement arménien.

J. Tch.