Il a quelques jours, le site de l’Église orthodoxe russe en Azerbaïdjan et les médias du pays publiaient une nouvelle au premier abord anodine, mais très intéressante dans le contexte de tension que l’on a pu récemment observer entre ce pays et la Russie.
On apprenait par ces médias que le 6 mars, accompagnée de ses filles Leyla et Arzou, Mehriban Alieva, l’épouse d’Ilham Aliev qui cumule également les fonctions de Vice-présidente de la République d’Azerbaïdjan et de présidente de la Fondation Heydar Aliev, s’était rendue à Gandja, l’historique Gandzak arménienne, aujourd’hui deuxième ville du pays (1). Là, elles ont visité l’église orthodoxe russe saint Alexandre Nevsky où elles ont été reçues par l’archiprêtre Bartholomée Sotnikov, le recteur de la paroisse. A cette occasion, après avoir présenté un bref historique du sanctuaire, le religieux a indiqué à ses visiteuses que le sanctuaire avait été édifié « grâce aux dons des communautés orthodoxe et musulmane locales ». Sans doute aussi celle des Arméniens, mais qui se souvient encore d’eux en cette ville où ils ont représenté une part importante de la population jusqu’à la fin du XXe siècle ?
On peut légitimement s’interroger sur les motivations de ce déplacement de Mehriban Aliev et de ses filles à Gandja et de leur visite à l’église russe de la ville, une visite qui va sans doute au-delà d’une simple escapade touristique habituelle.
On peut, par exemple, imaginer que la « Première dame du pays » a ainsi voulu manifester à des « fins domestiques », à destination d’une hypothétique « opinion publique » azerbaïdjanaise, l’attention du pouvoir envers cette ville que l’on ne cesse en Azerbaïdjan de présenter comme une « ville martyr » de la « Guerre des 44 jours » victime de la « barbarie des Arméniens » (2).
Le deuxième motif pourrait être un geste à l’égard de l’Église et de la communauté russe du pays, et par-delà, envers la Russie. Les liens du pouvoir poutinien et de l’Église orthodoxe russe et l’instrumentalisation par d’Aliev de la « chose religieuse » ayant permis cette initiative du deuxième personnage de l’État en Azerbaïdjan, madame Aliev aurait endossé la tenue de « gentil flic» pour contrebalancer l’image du « méchant flic » assuré il y a quelques mois par son présidentiel époux face à la Russie.
On se souvient qu’en décembre 2025, le ton était monté entre les deux pays à l’occasion de la destruction d’un avion azerbaïdjanais par la défense anti-aérienne russe (3). A cette occasion, I. Aliev avait ouvertement accusé la Russie de « chercher à enterrer le problème » (4). Il avait ensuite exigé de V. Poutine qu’il reconnaisse la responsabilité de son pays, des excuses officielle et des compensations matérielles pour la compagnie aérienne azérie et pour les familles des victimes. Moscou avait alors obtempéré en se soumettant à toutes ses demandes. Depuis ce premier accro dans les relations entre les deux pays, d’autres événements se sont rajoutés, en particulier celui de la fermeture de la « Maison de la Russie » à Bakou (5). Pour tout observateur avisé, il est évident qu’une telle décision prise en Arménie aurait provoqué l’ire des Maria Zakaharova, Dimitri Paskov et Margarita Simonyan (6). Les autorités et les médias russes avaient alors fait profil bas et l’ambassadeur d’Azerbaïdjan avait été convoqué au Ministère des Affaires étrangères pour y recevoir une simple « note de protestation » du gouvernement russe. L’incident était considéré comme clos.
Il est fort dommage que le père Sotnikov, mais peut-être ne connait-il pas l’histoire de la ville et de la région, n’ait pas entretenu ses trois visiteuses de l’histoire des autres sanctuaires chrétiens, arméniens et russes, qui ont existé dans la cité de Gandzak jusqu’à la soviétisation de l’Azerbaïdjan en 1920.
Aujourd’hui, trois églises arméniennes – la ville en comptait six avant 1918- et une deuxième église russe sont soit à l’abandon, soit désacralisées et transformées en musée ou en salles de spectacle. Bien que bâties plusieurs siècles après la disparition de l’Église d’Albanie, les trois églises arméniennes encore debout sont désormais présentées comme des éléments du « patrimoine albanien » après que tous les éléments d’identification – inscriptions et décors spécifiquement arméniens – aient été méthodiquement effacés.
La visite de Madame Aliev s’inscrit donc entièrement dans le continuum d’une politique parfaitement orchestrée depuis le sommet de l’État de négationnisme et de révisionnisme. Une politique qu’il nous faut combattre pied à pied, dans les milieux académiques et religieux, en particulier chrétiens, qui sont régulièrement visés par les services de la propagande aliévienne, dont la prétendue « Communauté chrétienne des Oudis » n’est qu’une des officines.
Sahak SUKIASYAN ■
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(1) Nommée Elizavetpol de 1804 à 1918 et Kirovabad de 1935 à 1990. Durant le haut Moyen-Âge, la ville qui s’appelait Գանձակ [Gandzak] comptait une très importante population arménienne. Celle-ci a été soumise à de nombreux massacres au cours de l’histoire, à des vagues de conversion à l’islam par la contrainte. Au XXe siècle, les Arméniens de la ville et de la région ont été victimes d’importants massacres entre 1918 et 1920, et de pogroms en novembre 1988. Plus de 40 000 Arméniens avaient alors été contraints à l’exode comme la totalité de la population arménienne du pays, soit plus de 400 000 personnes.
(2) D’après les médias azéris, le 4 octobre 2020, l’armée arménienne aurait lancé un missile balistique sur Gandja, tuant un civil et en blessant 30 autres https://www.lagazetteaz.fr/news/international/9944.html
(3) L’avion assurant le vol 8243 d’Azerbaïdjan Airlines avait été abattu le 25 décembre par un missile provenant d’un système Pantsir-S1 importé de Syrie en Russie, faisant 38 morts.
(5) Le centre culturel officiel russe, équivalent plus ou moins à notre «Alliance française ». Il faut désormais ajouter à cette fermeture celle de Radio-free-Liberty et du bureau de la Croix rouge internationale dans ce pays.
(6) Une bonne partie de l’opinion publique arménienne et des acteurs politiques à Erevan ne comprennent pas la retenue du gouvernement arménien qui continue d’autoriser la diffusion des chaines russes très majoritairement et férocement hostiles à l’Arménie.
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