PARIS – Charjoum : La commémoration du génocide des Arméniens et l’hommage à la Résistance arménienne

La lutte mémorielle et politique menée par le mouvement Charjoum s’inscrit dans une volonté profonde de commémorer le génocide des Arméniens tout en honorant la résistance passée et présente du peuple arménien. Face aux menaces contemporaines qui pèsent sur l’Arménie après l’Artsakh, Charjoum a organisé une commémoration distincte le 19 avril 2025 au cimetière du Père-Lachaise à Paris, revendiquant une approche authentique et indépendante de la mémoire collective arménienne. Cette démarche témoigne d’une volonté de réappropriation de l’histoire arménienne par ses descendants, loin des récupérations politiques, tout en établissant un lien direct entre les souffrances historiques et les défis actuels auxquels fait face la nation arménienne. Sur la question spécifique du génocide des Arméniens, Charjoum revendique fermement la justice et se positionne pour un processus d’entière réparation. Cette position déterminée reflète la volonté du mouvement de ne pas se contenter de commémorations symboliques, mais d’œuvrer concrètement pour une reconnaissance pleine et des réparations effectives pour les crimes commis contre le peuple arménien.

L’approche de Charjoum concernant les commémorations du génocide des Arméniens se démarque volontairement des manifestations organisées par les institutions communautaires traditionnelles. Le mouvement critique ouvertement ce qu’il qualifie de « récupération politicienne » et d’« appauvrissement des revendications » dans les commémorations officielles.

Cette volonté de proposer une alternative s’est manifestée lors des commémorations précédentes, notamment en 2022, où Charjoum avait déjà organisé un recueillement au cimetière du Père-Lachaise tout en participant également aux marches « unitaires », malgré ce qu’ils ont décrit comme des « manœuvres pour nous évincer de ces rassemblements ». Cette double démarche illustre la position du mouvement : participer à l’effort collectif de mémoire tout en préservant son identité et ses revendications propres.

Pour le 110e anniversaire du génocide des Arméniens, Charjoum a organisé une cérémonie commémorative le samedi 19 avril 2025 à 14h au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Le choix de ce lieu n’est pas anodin puisqu’il abrite la statue du Général Antranik, figure emblématique de la Résistance arménienne, inhumé dans ce cimetière en 1927.

Après une minute de silence à la mémoire des Arméniens massacrés par les Turcs en 1915 et les quelque 5000 soldats arméniens tués par les Azéris avec l’aide des Turcs et des mercenaires, lors de la dernière guerre de 44 jours, l’un des fondateurs de Charjoum, Loris Toufanian, a pris la parole et a souligné : « …des masses arméniennes opprimées et aliénées de l’empire ottoman, a surgi le Général Antranik. C’est à la suite d’un génocide pourtant parfaitement orchestré, et qui devait réduire les Arméniens au silence, qu’a jailli Soghomon Tehlirian… malgré la vie d’exil en diaspora pour les rescapés du génocide, Kourken Yanikian a de nouveau posé la question arménienne… »

Puis il a continué : « …en dépit de la situation dramatique, nous trouverons le moyen de nous relever, comme nous nous sommes déjà relevés par le passé. Et pour que nous nous relevions, il nous faut repenser collectivement le peuple arménien, par et pour lui-même, ne pas attendre du pouvoir, quel qu’il soit, prendre notre destin entre nos mains, considérer qu’il n’y a pas d’ordre établi acceptable s’il consiste en la disparition des nôtres. Nous nous relèverons si nous sommes déterminés à rejeter ceux qui jouent le rôle d’anesthésiant du peuple arménien, pour briser sa capacité à se révolter. »

Et enfin il a conclu : « Aujourd’hui, nous rendons hommage à celles et ceux qui ne se soumettent pas, à celles et ceux qui n’acceptent pas le sort qui est réservé à l’Arménie, à celles et ceux qui ne s’adaptent pas… À tous les résistants et les résistantes, à tous les Missak et toutes les Mélinée Manouchian qui protègent le Syunik en ce moment. Nous rendons aussi hommage à tous les futurs Noubar Ozanyan et les prochains Monté Melkonian. »

Puis, alors qu’un interlude musical d’une jeune Arménienne qui jouait un air mélancolique de Komitas résonnait, les participants déposaient des œillets devant la statue d’Antranik avant d’aller se recueillir devant un autre héros arménien, Aram Basmadjian, un des membres du Commando VAN de l’ASALA ayant effectué la prise d’otages du 24 septembre 1981 au consulat général de Turquie à Paris.

La particularité de cette commémoration réside dans sa double dimension : elle vise à honorer la mémoire des victimes du Génocide tout en rendant hommage aux résistants d’hier et d’aujourd’hui.

Le choix de se recueillir devant la statue du Général Antranik revêt une importance symbolique notable. Considéré comme un héros de la Résistance arménienne, Antranik incarne « la mobilisation des volontaires et le sursaut populaire dans une période où le génocide des Arméniens n’en finissait plus ».
À travers cette figure, Charjoum honore la Résistance qui s’est organisée face à l’extermination systématique des Arméniens à partir de 1894, en 1915 et dans les années suivantes.

Pour Charjoum, la commémoration du génocide ne relève pas uniquement du devoir de mémoire envers le passé, mais s’inscrit dans une continuité avec les défis contemporains auxquels fait face le peuple arménien. Le mouvement établit un parallèle explicite entre les événements historiques et la situation actuelle en déclarant : « Aujourd’hui, la politique raciste et néo-ottomane de la Turquie et de l’Azerbaïdjan rappelle tristement cette période et démontre que le processus d’extermination des Arméniens n’est pas terminé. Ces deux États continuent de chasser les Arméniens de leur terre. »

Au-delà des commémorations, Charjoum s’engage activement dans des actions concrètes de soutien envers l’Arménie et l’Artsakh, comme la fourniture de matériel aux soldats volontaires engagés dans la défense du territoire arménien contre « l’invasion de l’armée azerbaïdjanaise dirigée par la Turquie ». Cette aide comprend notamment « des drones de reconnaissance et d’appui » ainsi que des paquetages composés « d’un sac de couchage, d’une trousse complète de 1er secours, d’une boussole, d’une lampe torche » et d’autres équipements essentiels.

Le mouvement a également organisé des initiatives humanitaires, comme le camp « Lumières d’Artsakh » destiné aux enfants touchés par la guerre, ou encore la distribution de colis alimentaires dans plusieurs villages d’Arménie. Ces actions témoignent de l’engagement concret de Charjoum au-delà des commémorations symboliques, incarnant ainsi la continuité entre mémoire, résistance et solidarité actives.

Par sa position indépendante et ses revendications sans concession, le mouvement Charjoum offre une voix alternative dans le paysage des organisations arméniennes, répondant aux attentes de ceux qui souhaitent une approche plus directe et moins institutionnalisée de la Cause arménienne.

Schanth Vosgueritchian

Photos : Bardig Kouyoumdjian