L’Église apostolique arménienne est une structure supranationale qui englobe les fidèles et adeptes de l’Arménie et de la Diaspora. À cet égard, ses activités et ses messages portent une empreinte nationale plus forte que celle de l’État arménien, dont la juridiction se limite à la protection des intérêts des citoyens arméniens. Cette réalité est particulièrement soulignée ces derniers temps par l’État arménien, qui prend en considération la situation politique instable, voire explosive, de la région, et s’efforce de garantir, tout particulièrement, la sécurité et le développement économique du pays.
Cet état des choses met l’Église apostolique arménienne mal à l’aise, particulièrement quand il s’agit des intérêts russes. Le 3 mai, le Patriarche Cyrille Ier, de l’Église orthodoxe russe, a effectué une visite surprise à Bakou et a décoré Mehriban Alieva de l’Ordre de Sainte Olga, égale aux apôtres, de la médaille de première classe de l’Église orthodoxe russe, « en reconnaissance de sa contribution à la préservation des valeurs traditionnelles dans la société et à la promotion du dialogue interculturel et interreligieux ».
Si la conférence organisée par l’Azerbaïdjan à l’Université grégorienne catholique de Rome a suscité une grande vague de condamnation, cette visite du Patriarche Cyrille Ier a été accueillie en silence par le Saint-Siège d’Etchmiadzine, ainsi que par le Catholicossat de la Grande Maison de Cilicie. Seul le Patriarcat arménien de Jérusalem a publié un communiqué condamnant l’événement, où il note : « Nous condamnons fermement le patriarche Cyrille pour la décoration qu’il a décidé d’octroyer, et nous sommes convaincus que c’est un grand écart par rapport aux principes historiques de l’Église orthodoxe russe. Cette démarche du Patriarche est un témoignage de soutien à ceux qui procèdent à des actes de destruction culturelle et religieuse sur la scène internationale, et nous qualifions cela d’hostilité manifeste envers l’Église apostolique arménienne. »
Le phénomène a été qualifié comme un acte manifeste d’hostilité par l’un des quatre Sièges consacrés de l’Église arménienne et a été accueilli en silence par les deux catholicossats. Quelle en est la raison ? Quel lien l’Église orthodoxe russe a-t-elle avec le pouvoir des Aliev ? Pourquoi l’Église russe ne décore-t-elle pas un dignitaire religieux azerbaïdjanais comme, par exemple, le chef religieux de l’Azerbaïdjan, Allahchukur Pachazadé, mais honore la Première dame du pays, qui est également sa vice-présidente ? Que la signature du président Poutine soit ou non derrière cette initiative politique, il s’agit d’une victoire pour la diplomatie azerbaïdjanaise qui a réussi, malgré les garanties de sécurité données par la Russie aux Arméniens de l’Artsakh, malgré sa complicité dans le nettoyage ethnique perpétré par l’Azerbaïdjan, malgré également le manquement à ses responsabilités en tant qu’allié de l’Arménie lorsque celle-ci a été attaquée et que 200 km² ont été occupés par les troupes azéries. Malgré tout cet héritage criminel, le Patriarche de l’Église orthodoxe russe honore les dirigeants azéris, bafoue la dignité du peuple arménien, méprise le droit humain élémentaire, le droit international, et les principes moraux de l’église.
En mai, les occasions n’ont pas manqué pour que le Catholicos de tous les Arméniens dénonce cette injustice : lors de la célébration de la victoire de la Seconde Guerre mondiale du 9 mai, lors de la visite des participants à la conférence annuelle de l’Association européenne des juges (EAJ) au Saint-Siège d’Etchmiadzine le 9 mai, lors des funérailles du pape de Rome… Le chef de l’Église nationale, gardien des valeurs nationales, hésite à prendre une position claire pour condamner l’acte du «grand frère» russe, sans réaliser les dommages que cela cause à sa réputation morale auprès de la communauté internationale.
Condamner la propagande azerbaïdjanaise au Vatican, mais rester silencieux face à la démarche insultante du chef de l’Église russe envers les Arméniens, est une politique discriminatoire de deux poids, deux mesures.
Et si le silence poursuit l’objectif de protéger les intérêts nationaux des Arméniens de Russie, alors il est également nécessaire d’adopter une politique équilibrée afin de défendre des intérêts des Arméniens établis en Occident. Cela suppose également d’être prêt à mener une politique coordonnée avec l’État arménien.
J. Tch. ■
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