La politique d’équilibriste de l’Azerbaïdjan : un pays à la croisée des influences géopolitiques

L’Azerbaïdjan, pays du Caucase riche en hydrocarbures, dirigé d’une main de fer par le président Ilham Aliev depuis 2003, mène depuis plusieurs années une politique étrangère complexe et savamment orchestrée, jonglant entre différentes puissances aux intérêts parfois divergents.

Il entretient avec la Russie une relation historique complexe, héritée de la période soviétique. En février 2022, les deux pays ont signé une déclaration de coopération alliée à l’occasion du 30e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques, renforçant officiellement leurs liens.

Cependant, dans le même temps, l’Azerbaïdjan a développé une stratégie d’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Grâce à l’exploitation de ses ressources en mer Caspienne, il est devenu un fournisseur clé pour l’Europe. Cette position s’est considérablement renforcée avec l’invasion russe de l’Ukraine et les sanctions occidentales qui ont suivi, poussant l’Union européenne à diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz.

En mai 2025, l’Azerbaïdjan a refusé de participer aux célébrations du 80e anniversaire de la victoire soviétique contre l’Allemagne nazie à Moscou, un événement hautement symbolique pour la Russie. Un geste diplomatique qui illustre parfaitement cette politique d’équilibriste. Plutôt que d’assister aux célébrations à Moscou, Ilham Aliev a choisi de participer au sixième sommet de la Communauté politique européenne à Tirana, en Albanie, le 16 mai 2025. Ce choix est d’autant plus révélateur que l’Azerbaïdjan avait boycotté les précédentes réunions de cette instance. En octobre 2023, lors du sommet de Grenade en Espagne, Bakou avait notamment refusé d’y participer, invoquant une «atmosphère anti-azerbaïdjanaise» suite à son offensive militaire sur le Haut-Karabakh.

L’autre aspect de cette politique d’équilibriste se situe dans les relations que l’Azerbaïdjan entretient simultanément avec Israël et la Turquie, deux pays aux positions diamétralement opposées concernant le conflit israélo-palestinien, particulièrement dans le contexte de la guerre à Gaza.

Sur le plan énergétique, l’Azerbaïdjan fournit à Israël environ deux tiers de sa consommation de pétrole. En retour, Israël est devenu le principal fournisseur d’armement de Bakou : entre 2016 et 2020, environ 70% des importations militaires azerbaïdjanaises provenaient d’Israël. Cette coopération militaire s’est avérée cruciale lors de la guerre du Haut-Karabakh en 2020, où l’armée azerbaïdjanaise a utilisé des drones d’attaque israéliens contre les forces arméniennes. Par ailleurs, les deux pays partagent une méfiance commune envers l’Iran, voisin de l’Azerbaïdjan, qui considère ce dernier comme «une arrière-cour israélienne» à ses frontières.

D’autre part, l’Azerbaïdjan entretient des liens très étroits avec la Turquie, souvent résumés par l’expression «une nation, deux États». Cette alliance s’est particulièrement manifestée lors des conflits au Haut-Karabakh, où Ankara a fourni un soutien militaire et diplomatique décisif à Bakou.

Or, depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023, les relations turco-israéliennes se sont considérablement détériorées, culminant en novembre 2024 avec la rupture officielle des relations diplomatiques entre Ankara et Tel-Aviv, annoncée par le président Erdogan. Pourtant, malgré cette situation tendue, l’Azerbaïdjan continue de maintenir d’excellentes relations avec les deux pays, illustrant sa capacité à naviguer entre des alliés en conflit ouvert.

Cette capacité s’illustre aussi dans sa relation agressive vis-à-vis de l’Arménie, tension qu’il maintient malgré les pressions exercées par les Etats-Unis et l’Europe sur Bakou afin qu’il signe l’accord de paix avec l’Arménie. Reste à savoir combien de temps Bakou pourra maintenir cet équilibre délicat entre des partenaires aux intérêts de plus en plus divergents. Déjà, le gouvernement britannique paraît avoir imposé des sanctions à la société Coral Energy Group et à ses dirigeants, accusés de faciliter la vente de pétrole russe sous couverture azérie. Londres affirme que l’entreprise opère dans un secteur stratégique pour Moscou et soutient indirectement son effort de guerre contre l’Ukraine.

J. Tch.