Par Marc DAVO
Le président Trump vient d’effectuer une tournée fructueuse dans la péninsule arabique du 13 au 15 mai 2025, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis, trois pays riches en ressources pétrolières et gazières et donc dotés de capacité financière considérable. Sur le plan économique le succès de ces visites est incontestable, même si certains chiffres annoncés paraissent approximatifs.
Avec l’Arabie saoudite, le gros des contrats porte sur les armements ; on évoque le montant de 142 Mds$. Avec le Qatar le chiffre publié est de 1200 Mds$, notamment des commandes d’achat de Boeing et un cadeau de l’Emir à la présidence américaine, un luxueux avion présidentiel. Les Emirats arabes unis ont conclu des contrats dans le domaine de l’intelligence artificielle. A noter que Donald Trump se trouvait sur un terrain favorable. Les dirigeants des pays visités, notamment le Prince héritier saoudien, Mohammed ben Salman, l’apprécient manifestement.
>>> Certains aspects géopolitiques sont restés peu commentés
Cette tournée régionale, en dépit des apparences, n’était pas seulement un voyage de style VRP américain, fût-ce présidentiel, dans la région. En effet, le tapage médiatique et le brouhaha des commentateurs ont quasiment relégué sciemment au second plan l’aspect politique et géopolitique de la tournée du président américain.
A l’ombre des accords d’Abraham de 2020 qui prévoient la normalisation des relations entre l’Etat d’Israël et un certain nombre de pays arabes, Donald Trump s’efforce, dès sa prise de fonction, d’établir un modèle de relations apaisées aux Proche et Moyen orients qui privilégie, à première vue, le commerce et le développement économique sous l’égide des Etats-Unis. Ceux-ci ont promis aux dirigeants des pays visités de les aider à se développer. La démographie de l’Arabie saoudite (plus de 34 M d’habitants dont la moitié a moins de 25 ans) met en difficulté le budget de l’Etat d’absorber par le biais du recrutement dans la fonction publique, les tranches d’âge jeunes et relativement éduquées qui arrivent sur le marché du travail tous les ans. Le développement devient une nécessité pour la stabilité et la survie politique des régimes en place.
Par ailleurs, dans leur projet, les Américains prévoient une architecture des rapports de force où il ne devrait pas y avoir d’hégémonie d’un pays par rapport à l’autre. Dans cet esprit, il a fallu contourner, dès le début du voyage, Israël. Le gouvernement de Netanyahou se serait démené pour les convaincre de faire une halte à Tel Aviv avant ou à la fin de la tournée, mais il se serait heurté à un refus net. Cet itinéraire entièrement arabe ne signifie cependant pas la fin ou l’affaiblissement de l’alliance stratégique de Washington avec l’Etat d’Israël. Le poids du groupe de pression pro-israélien au Congrès américain reste déterminant dans la politique étrangère du pays. La libération d’un otage américano-israélien détenu par le Hamas, grâce à l’entremise du Qatar, vient à point nommé, montrant à l’opinion publique d’Israël l’importance que les Etats-Unis attachent à l’alliance américano-israélienne.
>>> Nouvelle configuration régionale en gestation sous l’égide de Washington
Un retour rapide aux années précédentes nous rappelle l’interventionnisme américain, notamment sous la présidence des Bush, dans le « Grand Moyen-Orient », -qui incluait la Turquie et l’Afghanistan- au nom du droit international, début 1990 (opération militaire pour rétablir la souveraineté du Koweït). Cet interventionnisme s’est également pratiqué contre une dictature en vue de la remplacer par un régime d’inspiration démocratique en Irak, en 2003. L’échec flagrant de cette politique, marqué notamment par la mainmise de l’Iran sur les shiites irakiens et l’émergence de DAESH, a conduit les présidents Obama et Biden à considérer la zone avec retenue. Les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN ont abandonné l’Afghanistan aux Talibans et se sont abstenus, au grand dam de François Hollande, de punir le régime Assad en Syrie qui avait utilisé des armes chimiques contre ses opposants.
La nouvelle configuration qui remplacerait celle des Néo-conservateurs de l’époque Bush a débuté avec l’initiative de la Turquie, lorsqu’à la suite du 7 octobre 2023, Israël appuyé par les Américains casse l’édifice militaro-politique bâti par les Iraniens au Liban et en Syrie particulièrement. En effet, Ankara donne le coup de grâce à Bachar el-Assad en soutenant fortement les opérations militaires de l’opposition. Le régime en place s’effondre rapidement sans que ses alliés russes et iraniens, très affaiblis, ne puissent le sauver (voir NH-hebdo N° 438).
Le Proche-Orient stricto sensu est donc débarrassé du poids écrasant de la Russie et de l’Iran. Le terrain est propice à la mise en œuvre de la pax americana selon le principe de maintien de l’équilibre entre les principales puissances régionales au Proche et Moyen orients, à savoir l’Etat d’Israël, l’Arabie saoudite et la Turquie sans toutefois exclure l’Iran si les négociations sur le nucléaire aboutissent. Cette configuration exclut donc la présence d’une puissance régionale prédominante, l’hégémonie soft sera exercée par les Etats-Unis. A noter que l’Europe, dont deux puissances, la Grande-Bretagne et la France qui avaient dessiné la carte de la région, semble quasiment évincée, trop occupée de l’évolution de la guerre en Ukraine et de l’avenir de ses frontières orientales limitrophes de la Russie devenue de plus en plus agressive, menaçant la sécurité du continent.
>>> L’Arménie marche de l’empire poutinien ou marche du nouveau Grand Moyen-Orient ?
L’intégration actée de la Turquie dans les affaires de ce nouveau Moyen-Orient amène forcément avec elle le traitement de la question kurde, mais aussi du Sud-Caucase. Par ailleurs, la conclusion d’un accord avec la République islamique sur le nucléaire et l’acceptation par celle-ci d’une ligne conformiste vis-à-vis de l’omnipotence américaine, qui de facto ne réclamera plus l’anéantissement d’Israël, laissera le terrain sud-caucasien dans le point de mire de Téhéran. Dans ces conditions, le Sud-Caucase échappera à l’exclusivité turco-russe comme c’était le cas au début du XXe siècle (la Perse des Qadjar était faible et neutre). Une exclusivité qui a coûté très chère à l’Arménie avec la perte de Kars, du Nakhitchévan et plus tard du Haut-Karabakh, un ensemble de cadeaux territoriaux que Lénine a offert à Atatürk.
C’est là où les Arméniens ont l’obligation de jouer finement, autrement, leur pays en tant qu’Etat souverain disparaîtra une fois de plus. Il est clair que la Russie ayant mis quatre siècles pour conquérir le Caucase, n’abandonnera pas si facilement cet espace qu’elle considère comme son arrière-cour. Débarrassé de la guerre d’Ukraine qu’il forme de ses vœux, le Kremlin s’efforcera de mettre au pouvoir un gouvernement fantoche à Erevan. Récemment, des hommes (de main) ont été approchés, selon certaine information, à cette fin. Vladimir Poutine aurait désigné pour prendre en main la destinée de l’Arménie sous « protection » moscovite (certains citent le nom de Robert Kotcharian et d’Arthur Vanetsian, …). Des moyens importants seront mobilisés pour renverser le gouvernement actuel, d’une manière ou d’une autre. On peut supposer qu’une fois l’homme de main au pouvoir à Erevan, s’enclenchera le processus d’intégration de l’Arménie dans le néo-empire poutinien. L’Arménie aura, dans ces conditions, le statut d’une Biélorussie de Loukachenko au mieux, sinon celui du Tatarstan, évoqué jadis par l’un des otages prisonniers d’Ilham Aliev.
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Décidément, Donald Trump est prêt à tout pour contrer l’accession au premier rang mondial de la puissance chinoise. Il tente de détacher la Russie poutinienne de Pékin, d’intégrer la République islamique, sous certaines conditions, notamment sur la question du nucléaire iranien, dans un ensemble géostratégique en équilibre des puissances régionales au Moyen-Orient sous l’égide des Etats-Unis, …
Pour un commerce fructueux et générateur de ressources, il est essentiel d’apaiser les tensions en éliminant l’origine des conflits. Cette approche entraîne un effort pour réaliser des compromis tant à l’intérieur du pays qu’avec les voisins.
Il est donc impératif que le Sud-Caucase entre dans un processus de paix et de stabilité. Les Etats-Unis et pourquoi pas l’Union européenne devraient rétablir la balance des forces entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, condition sine qua non d’une stabilité pérenne. ■
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