Par Vahram Atanessian
1in.am
L’Église demeure la structure la plus organisée de la République d’Arménie et Pachinian en a fait l’expérience. Il est également conscient des projets de cette structure et il sait qu’il existe une feuille de route très claire pour mener des actions contre lui, tant dans la rue que par le biais des élections.
Avec la bénédiction de Karékine II, des groupes de dix personnes se formeraient et s’organiseraient autour de « coordonnateurs » et avec une feuille de route clairement établie. Après avoir analysé les erreurs du mouvement de la « Lutte sainte » de l’archevêque Bagrat, les milieux religieux vont à nouveau engager une grande « bataille politique » et c’est la raison pour laquelle Pachinian prend des mesures préventives en utilisant, comme l’écrit sur son compte Facebook un député de l’Assemblée nationale de l’Artsakh, « son arme favorite, l’embrouille ».
Le 14 mars 2007, le président Robert Kotcharian avait signé et mis en application la « loi sur la République d’Arménie et la Sainte Église apostolique arménienne », qui définit le statut, les droits et le champ d’activités de l’Église. Selon ce texte, l’Église n’a pas le droit de s’occuper de politique, mais il lui confie des fonctions très importantes. Elle peut, par exemple, créer ou financer des écoles maternelles, élémentaires, secondaires et spécialisées, ainsi que des établissements d’enseignement secondaire professionnel et supérieur. Or, hormis les séminaires Georges IV et Vazken I er, l’Église a-t-elle fondé en Arménie d’autres établissements d’enseignement, ou au moins une école maternelle ? Pourquoi n’a-t-elle pas créé de nouveaux établissement d’enseignement supérieur ?
La loi autorise l’Église à avoir des aumôniers dans les unités militaires et les établissements pénitentiaires, y compris dans les maisons d’arrêt. L’Église apostolique arménienne a-t-elle des aumôniers dans les établissements pénitentiaires et les maisons d’arrêt ? S’investit-elle pour répondre aux besoins spirituels des personnes condamnées ? Ses prêtres visitent-ils les maisons d’arrêt ?
Dès lors, comment comprendre que des religieux s’engagent dans une grande « bataille politique », ou qu’avec la bénédiction du Catholicos de tous les Arméniens, des groupes se créent, pour, comme le laissent entendre les propos de ce député de l’Assemblée nationale d’Artsakh, préparer un renversement du gouvernement ?
En d’autres termes, le clergé aurait-il, sous la direction du Catholicos, déclaré une « Guerre sainte » au gouvernement arménien ?
Dans l’affirmative, il s’agirait d’une initiative absolument illégale, puisque selon la Constitution arménienne et la loi qui régit les relations entre l’État et l’Église, un membre du clergé de l’Église apostolique arménienne ne peut s’engager en politique.
Bien évidemment, personne ne peut interdire au Catholicos ou à un évêque de s’exprimer à travers un prêche, lors d’une célébration religieuse, ou même d’excommunier les autorités, mais lorsqu’il s’agit de former des groupes clandestins de dix personnes et de se préparer à une « grande bataille politique », on a affaire à une menace directe contre l’ordre constitutionnel du pays.
De quelles informations ce député de l’Assemblée nationale d’Artsakh dispose-t-il ? C’est une autre question. Mais il fait une « révélation » bien plus importante encore : le temps serait révolu où on laissait l’archevêque Bagrat « seul sur le champ de bataille », car il semblerait que Moscou ne soit plus enclin à calmer les choses». Karékine II organiserait-il des groupes pour mener cette « grande bataille » politique à la demande de Moscou ? La question vaut d’être posée.
Le journal russe « Nezavissimaïa Gazeta » a récemment couvert la confrontation entre l’Église et l’État en Arménie, et son spécialiste, Anton Evstratov, professeur associé à l’Université arméno-russe, a qualifié Karékine II de dernier « représentant de l’ancienne élite dirigeante que Pachinian tente de destituer ».
Les élites politiques arméniennes et l’opposition parlementaire devraient se sentir humiliées à l’idée qu’un expert étranger assimile le Catholicos de tous les Arméniens aux “anciennes autorités”. De plus, cette qualification constitue une véritable insulte à la Sainte Église apostolique arménienne, car elle identifie son patriarche comme une « figure laïque ».
Le plus tragique dans cette situation est qu’en poussant l’Église et son patriarche dans une «grande bataille» contre le gouvernement, l’opposition institutionnelle et extraparlementaire arméniennes déclarent de fait leur auto-dissolution.
Cela affaiblit la position de l’Arménie sur la scène internationale et nuit à son image, car c’est le signe que le parti au pouvoir n’a pas d’alternative politique et que la solution de rechange pour l’Arménie serait l’instauration d’une théocratie.
© 2025 Tous droits réservés