Les passions se sont enflammées au sein de la vie politique, ecclésiastique et publique de l’Arménie, à l’occasion de l’arrestation de deux hauts dignitaires du clergé de l’Église apostolique arménienne. Depuis déjà deux ans, ces derniers prêchaient le renversement armé du pouvoir avec l’assentiment silencieux du Catholicos Karékine II. Lorsque les deux évêques – Bagrat Galstanian et Mikaël Ajapahian – fidèles à leurs convictions, passent de la parole aux actes en planifiant un coup d’État, transposant la lutte politique sur (un) le terrain de la lutte armée, (alors) ce ne sont alors plus les règles du jeu politique qui s’appliquent mais celles du droit pénal, tout en respectant bien sûr la présomption d’innocence.
Cette agitation politique extrême est exploitée par l’opposition. Cette dernière veut y voir une persécution politique du pouvoir en place contre l’Église apostolique arménienne. Pour le pouvoir, le problème n’est pas l’Église apostolique arménienne, mais le comportement de ses hauts dignitaires qui ont dévoyé leur mission apostolique, trahi leur serment, à commencer par Sa Sainteté.
La Constitution garantit la séparation de l’État et de l’Église. Cependant, un certain nombre de hauts dignitaires ecclésiastiques, non satisfaits de la gloire et de l’honneur réservés aux ecclésiastiques, ont voulu occuper le poste de Premier ministre et sont tombés dans le piège tendu par Robert Kotcharian, qui lors d’une conférence de presse le 17 février 2022, avait pour la première fois évoqué l’idée qu’un haut dignitaire ecclésiastique occupe le plus haut poste de l’État, comme la meilleure solution pour surmonter la crise de pouvoir créée après la guerre de 44 jours : «La meilleure option est un évêque respecté de l’Église apostolique arménienne. Précisément en ce moment critique, un tel candidat serait le meilleur.»
Bien que la Constitution ne permette pas à un ecclésiastique d’exercer de hautes fonctions publiques, pour Kotcharian, trouver une solution pour contourner la Constitution n’est pas un gros problème, comme l’avait exprimé Bagrat Galstanian, qui avait un obstacle encore plus grand qui était celui de sa citoyenneté canadienne, qui l’empêchait d’exercer la fonction de Premier ministre.
Et en effet, la première victime de cette déclaration de Kotcharian fut l’évêque Bagrat Galstanian, qui exprima son aspiration à accéder au poste de Premier ministre d’Arménie, dès le premier jour de la manifestation publique de son mouvement appelé «lutte sacrée», sur la place de la République. Enthousiasmé par le succès de la manifestation organisée sous sa direction, il a lancé au Premier ministre Pachinian un ultimatum, lui donnant une heure pour démissionner de son poste.
La diaspora n’est pas non plus restée à l’écart, aggravant davantage les tensions. Les sièges diocésains de l’Église apostolique arménienne, les diocèses, les communautés, les partisans du Saint-Siège et les comités diasporiques de la FRA se sont joints à la condamnation des autorités arméniennes.
Le travail pour renverser l’ordre constitutionnel et la perspective d’un coup d’État ne pouvaient laisser indifférentes les grandes puissances. La Russie en premier lieu, par la voix de Lavrov, a exprimé son inquiétude face aux persécutions menées par le pouvoir contre l’Église apostolique arménienne. Le président Macron, de son côté, a exprimé son soutien au renforcement de la démocratie par le Premier ministre Pachinian et à son travail en faveur de la paix dans la région. La ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne, Kaja Kallas, a également proposé son aide pour faire face à la guerre hybride en cours dans le monde.
Le véritable problème n’est pas la lutte politique, qui est nécessaire et utile pour un jeune État comme l’Arménie, où l’ordre constitutionnel n’a pas encore traversé de nombreuses épreuves et des dangers multiples pour créer un système souverain et stable. Les conflits d’intérêts, la dépendance vis-à-vis des forces extérieures, de leur influence sont si grands qu’il est difficile que les forces politiques locales puissent créer un consensus autour de l’intérêt national, sans passer par une lutte acharnée.
Autant la lutte politique est inévitable, autant l’impuissance de l’Église apostolique arménienne s’avère être la vraie tragédie – une institution ayant 1700 ans d’histoire, dont les hauts dignitaires ecclésiastiques, au lieu de s’occuper de rassembler les fidèles, au lieu de rester à la hauteur de la mission chrétienne, spirituelle, morale et salvifique de la nation, se sont intéressés à une carrière politique..
J. Tch. ■
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