Gérard Chaliand s’est éteint à Paris, ce mercredi 20 août, à l’âge de 91 ans. Avec sa disparition, la France et le monde perdent l’un des plus grands géopoliticiens de notre temps, un homme qui aura consacré sa vie à comprendre et à décrypter les conflits qui ont façonné notre époque.

Né à Etterbeek (région de Bruxelles) en 1934, fils d’un rescapé du génocide arménien, Gérard Chaliand portait en lui cette mémoire douloureuse qu’il qualifiait d’« amont nocturne de [sa] saga […] dont enfant on [lui] a transmis la tragédie et [qu’il a] voulu oublier ». Cette origine marquera profondément sa vision du monde et sa compréhension des mécanismes de violence et d’oppression.

Polémologue reconnu, Gérard Chaliand aura révolutionné le champ des études géopolitiques par son approche unique : celle de l’observateur-participant. Durant plus de vingt ans, il côtoie les combattants d’une quinzaine de maquis sur quatre continents, de la Guinée-Bissau portugaise aux côtés d’Amílcar Cabral au Nord-Viêt Nam, de la Colombie au Liban avec le Fatah, témoignant de l’intérieur des mouvements de décolonisation et des guérillas révolutionnaires.

Cette expérience exceptionnelle du terrain, cette capacité à « voir en chacun la beauté du monde », comme le soulignait récemment Sophie Mousset, ont nourri une œuvre prolifique de plus de quarante ouvrages. Ses analyses géopolitiques, ses atlas stratégiques et ses récits de voyage ont formé plusieurs générations d’étudiants et de décideurs.

Enseignant à l’ENA, au Collège interarmées de Défense, à Harvard, à Berkeley et dans de nombreuses universités étrangères, Gérard Chaliand n’a jamais cessé de transmettre sa passion pour la compréhension des rapports de force mondiaux. Sa connaissance intime des « damnés de la Terre » autant que des chefs d’État lui conférait une légitimité unique dans ses analyses.

Héritier d’une tragédie familiale, il aura également œuvré pour la mémoire du génocide arménien, co-signant avec Yves Ternon l’ouvrage de référence « 1915, le génocide des Arméniens », contribuant ainsi à la reconnaissance de cette page sombre de l’histoire.

Intellectuel engagé mais jamais dogmatique, observateur lucide des transformations du monde, Gérard Chaliand laisse derrière lui une œuvre considérable et l’exemple d’une vie consacrée à la vérité des faits et à la compréhension des hommes.

Ses proches et tous ceux qui ont eu le privilège de croiser sa route garderont le souvenir d’un homme d’une érudition rare, doublée d’une sensibilité et d’une gentillesse qui transparaissaient derrière l’expertise du géopoliticien. Il rejoint aujourd’hui la mémoire de ceux qui, comme lui, ont cherché à éclairer les zones d’ombre de notre monde.