« Nor Haratch » – Son Éminence, vient d’avoir lieu la cérémonie de canonisation de Mgr Ignace, à laquelle vous étiez concélébrant. Quelles sont vos impressions à cette occasion ?
Catholicos-Patriarche Raphaël-Bedros Minassian – Humilité, gratitude pour cette grande grâce divine qu’Il a accordée, non pas à moi, mais à notre Église, à notre peuple, en reconnaissant toutes ces souffrances et ces massacres qui ont eu lieu au fil des ans, et surtout en 1915, dont il fut une victime exemplaire. Par conséquent, les impressions sont très profondes ; si je dois parler émotionnellement, ce sont des émotions assez profondes, car en ma personne – un humble serviteur de notre Église – j’ai pu représenter toute la nation arménienne devant ce Saint Autel, aux côtés du Souverain Pontife, le Pape Léon XIV. Par conséquent, mon souhait est que notre nouveau saint, ce saint arménien du XXe siècle, puisse réellement avoir son influence bienfaisante et pleine de grâce divine.

« NH » – Le processus de canonisation n’est pas le travail d’un jour, c’est un long travail. Par quelles étapes est-il passé, et en combien d’années est-il arrivé à son terme ?
C.-P. R.-B. M. – Certes, je ne peux pas m’attribuer tout le mérite de cette canonisation, car avant moi, trois ou quatre patriarches ont travaillé jusqu’à l’amener à la béatification. Après cela, le Patriarche Ghabroyan, Éminence, avant lui, Nersès, Éminence… par conséquent, j’ai en quelque sorte pu jouir du fruit de leur travail, cette grande cérémonie de canonisation arrivée à son terme. Cette procédure a duré de longues années, depuis les années cinquante, avec la collecte des témoignages. Des années ont passé, et imaginez qu’après 24 ans depuis la proclamation de la béatification en 2001, ce n’est qu’aujourd’hui, en 2025, qu’a eu lieu la canonisation. C’est donc le résultat d’un travail acharné et de la participation et du sacrifice de très nombreuses personnes que nous avons pu apprécier il y a quelques jours.
« NH » – Les Patriarches des Églises Maronite et Syriaque étaient présents, ainsi que le président du Liban. Comment expliquez-vous la participation et le soutien de ces Églises sœurs du Liban et des autorités du pays ? De quoi est-ce le résultat ?
C.-P. R.-B. M. – C’est une question qu’il faudrait leur poser. Quand on voit toutes ces communautés non-arméniennes, ces Églises, ces personnalités politiques… Aujourd’hui, le président du Liban n’était pas seul ; il était accompagné de 35 ministres et députés, de présidents d’organisations, qui se trouvaient tous ensemble sur cette place. Comme y étaient également le Cardinal d’Inde et les cardinaux en fonction dans tous les dicastères du Vatican. C’est-à-dire, en un mot, si le monde entier nous aime et nous honore, il serait souhaitable que nous nous aimions aussi les uns les autres avec cet amour, avec l’amour que les étrangers nous portent.
« NH » – Bien que le canonisé soit finalement un évêque arménien par son identité, il est tout autant libanais : ordonné à Bzommar, le Catholicossat catholique s’est établi à Bzommar…
C.-P. R.-B. M. – Quoi qu’il en soit, il faut admettre que les saints sont les saints de l’Église universelle. Les saints n’ont besoin ni de notre témoignage, ni de notre intervention, mais c’est nous qui avons besoin de leurs interventions, afin de pouvoir recevoir les grâces de Dieu par leur intermédiaire, bien que Dieu voie et accorde toutes les grâces. Notre vie quotidienne, notre souffle, notre être tout entier sont entre les mains de Dieu. Mais Dieu utilise aussi ses fidèles, qui ont porté toutes les difficultés de la vie, comme le Christ a porté la croix et est mort sur la croix ; nous aussi, nous prenons cette croix avec l’espérance avec laquelle Jésus est ressuscité. Telle est la leçon pour tous ces fidèles, ces croyants qui restent attachés à Dieu et comprennent le sens de la sainte communion. Nous recevons le Christ en corps et en sang en nous – il est en nous lorsque nous sommes en lui – et c’est avec cette idée que nous devons pouvoir planter cette graine, la graine des saints, dans le cœur de toutes nos églises et de tous nos fidèles.
« NH » – Étonnamment, cette canonisation coïncide avec une période où se succèdent génocide, épuration ethnique, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, dont sont également victimes le Liban et les Palestiniens. Et enfin, Maloyan lui-même fut victime d’un crime génocidaire…
C.-P. R.-B. M. – Dieu, comme toujours, nous donne des occasions, comme tous les miracles et apparitions qui ont eu lieu au cours des siècles. Il continue de nous donner des signes, des personnes, des êtres physiques qui témoignent, nous invitent à nous placer devant notre conscience et à revenir à l’amour de Dieu et aux dons de Dieu. Avec gratitude, en union avec Dieu, comme des fils légitimes, non comme des fils prodigues ; d’ailleurs, même le fils prodigue est retourné à la maison paternelle. Et tel est notre appel. Dieu nous donne ces exemples et ces personnalités exemplaires qui, par le témoignage de leur vie, ayant enduré toutes les difficultés, les souffrances, les privations, témoignent de Dieu, de son amour suprême et infini. Par conséquent, tel est l’appel, tel est le signe : face à tous ces crimes que vous avez énumérés, tous ces massacres, tous ces actes inhumains qui ont lieu sur cette terre, ces saints nous rappellent que l’heure du retour est arrivée. Et notre souhait est que cette cérémonie véritablement glorieuse que nous avons vécue soit pour nous une occasion de fortifier notre vie spirituelle et de revenir à l’amour de Dieu.
« NH » – L’un des phénomènes qui était également très important était la présence des autorités arméniennes et du Premier ministre arménien à cette cérémonie. Alors que nous savons qu’aujourd’hui, l’Église apostolique et l’État sont en conflit.
C.-P. R.-B. M. – C’est exact, c’est pourquoi j’ai répondu à l’une des questions précédentes en disant que « lorsque vous voyez combien les étrangers nous aiment, nous respectent et participent à nos joies ». Nous souhaiterions que nous aussi, nous nous aimions les uns les autres, nous nous aidions mutuellement et que nous puissions aplanir nos différends avec amour, et non avec rancune et animosité.
Entretien réalisé par
Jiraïr TCHOLAKIAN ■