Il y a 107 ans, la Première Guerre mondiale prenait fin. Cette année encore, on se souvient des soldats ou simples civils tués ou disparus au cours de cette guerre, et un hommage leur est rendu dans toutes les villes de France. Leurs noms sont gravés sur les monuments aux morts et les stèles commémoratives. La cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Paris possède elle aussi une telle stèle, installée en 1921 et dédiée aux volontaires arméniens morts pour la France. On y trouve 62 noms. Je voudrais transmettre des informations sur certains d’entre eux, des informations qui n’ont pas été évoquées jusqu’à ce jour, ou seulement partiellement.

A – Tigrane Timaksian – Le fusillé
Le 20 juin 1915, à Prouilly (Marne-51), des soldats de l’armée française doivent partir pour le front. 44 légionnaires – russes, arméniens, italiens et autres – opposant un refus à l’ordre donné, se rebellent et refusent de l’exécuter. Quelle était leur exigence ? Ils voulaient intégrer un régiment français, car au sein du régiment de la Légion, ils subissaient un traitement discriminatoire. Quant aux Arméniens, ils avaient une seconde raison : selon une décision du Sénat français (pas encore transformée en loi), les soldats de l’armée française ne pouvaient combattre contre les pays dont ils avaient aussi la nationalité. C’était le cas des soldats arméniens, pour la plupart sujets de l’Empire ottoman.
Le commandement de l’armée française intervient immédiatement, car il ne faut pas que ce mouvement s’étende à d’autres fronts. On tente de convaincre les rebelles, et l’on réussit à faire réintégrer leurs régiments à 17 légionnaires. Mais les 27 autres, parmi lesquels 8 Arméniens, persistent dans leur refus.
Le 21 juin 1915, à Pévy (51), le Conseil de guerre spécial se réunit. En deux heures de séance et par une décision expéditive, considérant 9 soldats comme les meneurs de cette rébellion, il les condamne à la peine de mort, et les autres aux travaux forcés. Les condamnés à mort, sans exception, avaient toujours été au front, et avaient notamment participé aux premiers combats acharnés du Chemin des Dames (02) en janvier 1915.
Les soldats arméniens condamnés étaient :
• À la peine de mort : Tigrane Timaksian – né en 1878, Mouch ou Van
• Aux travaux forcés :
◦ Hmayak Pembedjian – né en 1891, Van – 10 ans*
◦ Arménag Elmassian – né en 1888, Plovdiv – 10 ans*
◦ Garabed Gulbenkian – né en 1884, Césarée – 5 ans*
◦ Agop Saraïdarian – né en 1887, Constantinople – 5 ans*
◦ Grégoire Yadjian – né en 1891, Brousse – 10 ans
◦ Agop Khédidjian – né en 1886, Constantinople – 10 ans
◦ Joseph Kotchikian – né en 1889, Constantinople – 10 ans
Le soldat Victor Méric, témoin des événements et futur journaliste, écrit :
« Tigrane Timaksian, ingénieur de profession, ne croyait pas que des officiers français puissent permettre un tel crime ».
Le lendemain, 22 juin, à 15 heures, dans une clairière du bois de Cuvie, ces 9 soldats (7 Russes, 1 Polonais, 1 Arménien) sont fusillés, pour l’exemple, en présence de leurs commandants. Les derniers mots de T. Timaksian furent : « Non, non ! Vive la France tout de même ». Les fusillés furent enterrés sur place, mais au fil du temps, leurs tombes ont disparu.
Quant aux soldats arméniens condamnés aux travaux forcés, ils furent graciés quelque temps plus tard et retournèrent à l’armée. Quatre d’entre eux (marqués d’un *) tombèrent sur différents fronts.
Jean-Hugues La Palissade Crétin, adjoint au maire de Pévy, s’est intéressé à ce sujet et, par décision municipale, un monument commémoratif a été érigé en mémoire des fusillés. L’inauguration a eu lieu le 11 novembre 2024, en présence de personnalités. La municipalité projette également de transformer en petit musée le lieu où ces soldats furent condamnés à mort.

Enfin, pour information, il est à noter que bien que Tigrane Timaksian ne soit pas officiellement considéré comme « Mort pour la France », son nom se trouve néanmoins sur le monument commémoratif à l’entrée principale du cimetière du Père Lachaise, aux côtés de milliers d’autres.

B – Agop Kirazian : Un autre nom, une autre histoire.
Dans les colonnes de « Nor Haratch » du 16 octobre 2014, j’avais évoqué l’état de la pierre tombale d’un volontaire arménien. Agop Kirazian, né en 1886 à Rodosto, s’engage comme légionnaire dans l’armée française en 1914. Il combat sur divers fronts et tombe malheureusement le 6 juillet 1916 à Belloy-en-Santerre (80). Il est inhumé à la Nécropole nationale de Lihons (80). Cependant, sa dépouille fut inhumée comme celle d’un musulman, avec une stèle spécifique. Lors de ma visite, j’avais exprimé mon étonnement et mon mécontentement dans le registre de la nécropole. Plusieurs années après ma demande adressée aux responsables des lieux pour obtenir le changement de cette pierre tombale, Agop Kirazian a désormais une croix portant son nom.


À la mémoire des martyrs arméniens.
Hrant NORSEN ■