La crise qui secoue l’Église apostolique arménienne, et plus particulièrement le Saint-Siège d’Etchmiadzine, a connu un tournant décisif le 27 novembre. Ce jour-là, une dizaine d’évêques — parmi lesquels plusieurs primats de diocèses d’Arménie — ont brisé le silence en publiant une déclaration virulente. Le texte dénonce de graves irrégularités et divers dysfonctionnements au sein de l’institution et fustige nommément le chancelier du Saint-Siège, l’archevêque Arshak Khatchatrian, mis en cause pour sa conduite morale.
La réaction politique ne s’est pas fait attendre. Le jour même, le Premier ministre Nikol Pachinian a reçu les signataires, saluant leur « courage » et leur assurant son soutien total.
Loin de s’apaiser, la fronde s’est intensifiée les jours suivants. Le lendemain, ces mêmes évêques diffusaient un second texte aux allures de lettre de repentance et de purification. L’escalade a atteint son paroxysme le 30 novembre avec une troisième déclaration, bien plus sévère, exhortant cette fois le Catholicos à se retirer volontairement de sa charge.
Ce climat délétère a des conséquences immédiates sur le fonctionnement de l’Église. Le 28 novembre, la réunion du Conseil Suprême Spirituel, qui devait se tenir à Saint-Etchmiadzine, a dû être annulée. En cause : l’absence remarquée de plusieurs figures clés, toutes signataires de la fronde, notamment les archevêques Navasard Kdjoyan, Abraham Mkrtchian et Vazguen Mirzakhanian, ainsi que les évêques Vrtanes Abrahamian et Guevorg Saroyan.
En toile de fond de cette crise institutionnelle se trouve l’affaire des vidéos intimes impliquant le chancelier Arshak Khatchatrian, qui a connu un développement judiciaire. Le Comité d’enquête a confirmé l’authenticité des images diffusées sur les réseaux sociaux, montrant le prélat dans des situations compromettantes.
Face au verdict du Comité d’enquête, l’archevêque Arshak Khatchatrian a réagi. Interrogé par Factor TV sur une éventuelle violation de son vœu de célibat, il a jugé que la question « dépassait les bornes de la bienséance ».
« Vous vous immiscez directement dans le domaine de mes relations personnelles », a-t-il martelé. « Les relations qui se situent “en dessous de la ceinture” ne regardent personne d’autre. Lorsque les autorités ou quiconque agissent selon une logique située “en dessous de la ceinture”, cela signifie que leurs intérêts se limitent exclusivement à ce domaine. Or, cela ne relève absolument pas de la compétence des autorités ni des simples citoyens. »
C’est dans ce contexte que les deux archevêques emprisonnés, Mikayel Ajapahian et Bagrat Galstanian (dont le titre ecclésiastique est suspendu), ont publié une déclaration condamnant sévèrement le groupe d’évêques signataires des critiques envers le Saint-Siège et le Catholicos, les qualifiant de traîtres et réclamant leur destitution.
Ci-dessous la déclaration de Mikayel Ajapahian et de Bagrat Galstanian.

« Le scandale qui a suivi la publication du communiqué du 27 novembre (1), ainsi que les développements ultérieurs, nous contraignent à faire la déclaration suivante avec une profonde tristesse :
A- Dix des cinquante-sept membres e l’épiscopat de la juridiction du Saint-Siège ont officiellement annoncé qu’ils ne souhaitaient plus faire partie de notre fraternité. Nous les considérons donc comme des corps étrangers, avec lesquels, malheureusement, nous avons entretenu des liens fraternels durant vingt à quarante ans, liens que nous avons maintes fois concrétisés par nos actes et nos paroles. La décision vous en revient, ne nous en tenez pas rigueur.
B- Ce qui a eu lieu est une trahison maligne et séditieuse au plus haut point, conspiratrice et vile, répugnante, y compris pour les laïcs, et plus encore pour le haut clergé. Ils auraient pu agir ouvertement au sein des institutions ecclésiales, en y exprimant leur mécontentement et leurs revendications. Même après avoir adressé un ultimatum à Sa Sainteté le Patriarche, ils ont préféré agir secrètement et clandestinement, comme de simples conspirateurs.
C- Chacun d’entre eux , sous nos yeux et en notre présence, n’a jamais manqué l’occasion de flatter Sa Sainteté le Patriarche sous la protection paternelle duquel ils ont reçu les honneurs et les fonctions les plus élevés de l’Église, bien que totalement indignes de la position qu’ils occupent, comme en témoigne éloquemment leur comportement honteux. Si Sa Sainteté a commis une erreur, c’est bien celle-ci : celle de leur avoir fait confiance, d’avoir pris sur lui les nombreux et divers péchés qu’ils avaient commis, de les garder sous sa tutelle paternelle.
D- Au moins six de ces êtres habités par les esprits maléfiques (2) avaient participé au Concile national de l’Église de 1999 et avaient ouvertement voté pour le patriarche actuel, ce qu’ils ont fièrement proclamé pendant 26 ans, sans oublier de se moquer de religieux qui, tout en ne participant pas à l’élection, avaient exprimé des opinions positives envers d’autres candidats.
E- Les quatre autres évêques, depuis leurs études jusqu’à leur sacerdoce et leur épiscopat, ont bénéficié de la protection du patriarche, protection grâce à laquelle ils ont été promus par ce même patriarche et ont reçu la consécration et l’ordination épiscopales. Cela en dit long sur leur véritable nature.
F- Il est possible, voire peut-être même nécessaire, d’être en désaccord avec Sa Sainteté le Patriarche à propos de tout, ce qu’ils n’ont jamais fait au cours des 26 dernières années et qui, au contraire, s’est insidieusement glissé dans leur esprit, alors que nous l’avons fait à maintes reprises, nous exposant ainsi aux réprimandes et au mécontentement du Patriarche. Aujourd’hui, après 26 ans de flatteries incessantes, ils rampent devant des dirigeants sans honneur et traîtres (3). Sauver leurs peaux et défendre de vagues « principes » aux côtés de la personne la plus dépourvue de principes du pays, revient à se tirer une balle dans le pied. Comme l’affirme la sagesse populaire, en vérité, « qui se ressemble s’assemble », le traître retrouve les siens, le judas rejoint les Nikolaïtes (4).
Ceux qui sont habités par les esprits maléfiques ont créé une situation sans précédent au sein de l’Église arménienne, y compris au cours des deux derniers siècles.
Une réponse et une réaction tout aussi exceptionnelle s’imposent…
Nous demandons et proposons à Sa Sainteté le Patriarche :
1. De destituer les dirigeants rebelles et schismatiques qui méritent d’ores et déjà leur peine du fait de leur conduite.
2. De nommer immédiatement de nouveaux primats dans les diocèses concernés.
3. De convoquer un synode d’évêques, en assurant la participation de nous trois (5), ou en le convoquant après notre libération.
4. À la suite du synode des évêques, il sera possible de convoquer le Concile national de l’Église.
Nous lançons un appel aux prêtres des diocèses concernés : vous êtes tenus de ne plus obéir à vos primats schismatiques, de déclarer sans tarder votre fidélité au Catholicos et à suivre les instructions de Sa Sainteté.
Enfin, nous voulons exprimer l’espoir que ceux qui sont habités par les esprits maléfiques emprunteront le chemin de Pierre et, avec versant d’amères larmes, tenteront de conserver l’état ecclésiastique en se repentant, tandis que le sort de Judas attend les autres.
Prêtres et fidèles, demeurez fidèles à notre Sainte Église et fidèles au patriarche oint de Dieu.
C’est un temps d’épreuve pour nous tous.
Le démon rugit pour tous nous dévorer: « Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres; car s’ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous, mais cela est arrivé afin qu’il fût manifeste que tous ne sont pas des nôtres » [1 Jean 2:12].
Ayez du zèle, et non de la paresse. Soyez fervents d’esprit. Servez le Seigneur [Romains 12:11-13, 21].
PS : Dieu ne fasse qu’un jour nous ne découvrions que ces êtres habitées par les esprits maléfiques ont aussi joué un rôle dans notre emprisonnement et celui de Mgr. Mkrtich, comme il nous est permis de le penser.
Archevêque Mikayel Ajapahian
Archevêque Bagrat Galstanian
30 novembre 2025 » ■
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(1) Texte dans lequel un groupe d’archevêques et d’évêques demandait la démission de l’archevêque Archak, chancelier du catholicossat et du catholicos Karékine II.
(2) En arménien « Tev » : Diable, démons, esprits maléfiques.
(3) Le Premier ministre et les autorités de la République d’Arménie.
(4) Sobriquet fabriqué à partir du prénom du Premier ministre utilisé par les oppositions, leurs partisans et leur presse pour désigner tout arménien défendant les positions des autorités actuelles.
(5) Les archevêques Mikayel Ajapahian, Bagrat Galstanian et l’évêque Mkrtitch Prochian.