La guerre en Ukraine a transformé la région du Caucase du Sud en une arène de rencontres diplomatiques multipolaires, de négociations et d’affrontements, où s’entremêlent les intérêts géopolitiques Occident-Russie, Iran-Occident, Turquie-Russie-Iran, et dans lesquels l’Arménie est inévitablement impliquée.
En dix jours, Erevan a accueilli successivement trois hauts responsables de la sécurité nationale des grandes puissances impliquées dans la région : le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien, Ali Shamkhani, le directeur de la CIA, William Burns, et le chef du service russe de renseignement extérieur (SVR), Sergueï Narychkine. Pour un petit pays comme l’Arménie, une telle effervescence démontre son importance stratégique, ainsi que l’extrême tension qui règne au sein du conflit d’intérêts entre les superpuissances.
Alors que l’Arménie s’apprête à se doter d’un ministère des Affaires intérieures – qui rassemblera trois structures de pouvoir, à savoir le ministère de la Sécurité nationale, la police et le ministère des Situations d’urgence, et qui disposera également d’un service de renseignement extérieur – ces visites ne sont pas de simples coïncidences, elles visent à signer des accords de collaboration.
De même, la réorganisation du ministère de la Défense, où le chef d’Etat-major des Armées deviendra du même coup le vice-ministre de la Défense, ouvre la voie à la création d’un nouveau système de défense, qui intéresse chacun de ces superpuissances.
La déclaration de Sergueï Narychkine, faisant allusion à la visite de William Burns à Erevan, est significative : « La Fédération de Russie a suffisamment de force et de ressources pour protéger ses alliés et ses amis dans les moments difficiles ». L’allusion à l’Artsakh est très claire, à l’heure où Armen Grigoryan, le secrétaire du Conseil de la Sécurité nationale d’Arménie a annoncé qu’à partir du mois de septembre les conscrits arméniens ne serviront plus en Artsakh. Pourtant, pendant la guerre des 44 jours, la Russie a attendu que l’Artsakh soit au bord de la capitulation pour imposer une déclaration tripartite aux deux parties, sous la supervision des troupes russes de maintien de la paix. Et les États-Unis de Trump n’ont rien fait pour empêcher les forces turco-azéries de faire la guerre.
De son côté, l’Azerbaïdjan ne manque aucune occasion de faire pression sur la Russie pour la forcer à obliger l’Arménie d’ouvrir un « corridor » dans le Sunik. À cet égard, il convient de noter les deux principales récriminations du président azerbaïdjanais à l’égard de l’Arménie et de l’Artsakh, la première étant que la Russie n’a pas respecté la condition de désarmer les Arméniens d’Artsakh, et la second étant qu’elle n’a pas empêché l’Arménie d’inscrire la question du statut de l’Artsakh à l’ordre du jour. Il est évident que la réunion des ministres des Affaires étrangères d’Arménie et d’Azerbaïdjan en Géorgie – une occasion de communication directe entre les diplomaties des deux pays organisée sous les auspices de l’Occident – est un message fort envoyé par l’Azerbaïdjan à la Russie.
Les réunions stratégiques dans la région ne se sont pas limitées à l’Arménie. A Bakou, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a signé avec Ilham Aliev un nouvel accord d’approvisionnement de gaz à l’Europe, qu’elle a formulé de la manière suivante : « Avec l’accord d’aujourd’hui, nous nous engageons à étendre le corridor gazier sud et à doubler l’approvisionnement en gaz de l’Azerbaïdjan vers l’UE. »
Quant à la réunion entre Raïssi, Poutine et Erdogan à Téhéran, elle vise à créer des voies alternatives et nouvelles de coopération entre la Russie et l’Iran pour se défaire des pressions et des sanctions de l’Occident.
La guerre russo-ukrainienne modifie fondamentalement les rapports de force dans le Caucase du Sud. Cependant, les forces politiques d’Arménie et de la diaspora n’ont pas manifesté un intérêt à la hauteur des enjeux stratégiques auxquels elles sont confrontées.
J. Tch.