Entretien avec le ministre de l’Administration territoriale et des Infrastructures de la République d’Artsakh, Hayk Khanoumian

Le 2 septembre, la Représentation de la République d’Artsakh en France et l’Association de Soutien à l’Artsakh ont organisé, en coopération avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, un concert de l’orchestre de chambre de la République d’Artsakh au Campus du Numérique à Charbonnières-les-Bains. En visite en France pour participer à l’événement, le ministre de l’Administration territoriale et des Infrastructures de la République d’Artsakh, Hayk Khanoumian, a répondu à nos questions sur l’actualité de l’Artsakh.

« Nor Haratch » – Depuis la guerre de 2020, l’Artsakh et l’Arménie sont régulièrement la cible d’attaques azéries, malgré la présence des soldats de la paix russes. En tant qu’Arménien résidant en Artsakh, comment vivez-vous cette réalité ? De quels moyens l’Artsakh dispose-t-il pour résister ?
Hayk Khanoumian – Depuis la guerre, l’Artsakh et l’Arménie se sont retrouvés dans une nouvelle situation caractérisée par le terrorisme de l’Azerbaïdjan envers la population locale. Nous avons vu comment les Azéris s’attaquent aux villages frontaliers avec des petites équipes d’artilleries, comment ils appellent régulièrement la population à quitter leur maison avec des haut-parleurs. L’Azerbaïdjan a clairement pour but d’utiliser le terrorisme pour vider l’Artsakh de sa population. Pour faire face à cela, nous devons tout faire pour renforcer nos villages, faire augmenter notre population et créer de nouveaux mécanismes de défense, car les anciens mécanismes se sont révélés inefficaces. Il est nécessaire de créer un nouveau système, en particulier pour la protection du territoire. Je pense que la défaite de 2020 était un problème de direction et de défense militaire, dû à l’utilisation de mauvaises méthodes. Cependant, on peut voir que dans différents conflits à travers le monde, même des petits pays quasiment dépourvus de ressources peuvent organiser efficacement leur défense s’ils utilisent de nouvelles méthodes. Nous sommes dans une situation compliquée et les défis sont nombreux, mais il y a des politiques, des militaires et des groupes d’activistes qui voient une issue à cette situation et qui travaillent à renforcer la défense du pays.

« NH » – Avant la guerre, vous faisiez partie de l’opposition au Parlement de la République d’Artsakh. Vous étiez sévèrement critiqué pour vos positions et vous avez même été tabassé par des agents du Service de sécurité nationale. Cependant, après la guerre de 2020, la situation a changé et vous êtes désormais membre du gouvernement en tant que ministre de l’Administration territoriale et des Infrastructures. Comment s’est produit ce changement d’attitude à votre égard ?
H. Kh. – Quand j’étais député au Parlement, je critiquais régulièrement le gouvernement de Bako Sahakian, en particulier sur les questions de la défense. J’ai souvent soulevé la question de l’acquisition de nouvelles armes, notamment anti-drones. Mais cette question n’a pas été prise au sérieux par les autorités de l’époque, car elles considéraient qu’elles organisent très bien la défense et que ses généraux étaient des « saints ». En 2020, j’étais aussi candidat aux élections présidentielles et après qu’Arayik Haroutiounian ait été élu, moi et mon parti [ndlr : Renaissance Nationale] ne pensions pas du tout faire partie du gouvernement. Pendant la guerre, nous nous sommes organisés en sous-unité militaire pour participer aux hostilités. Cinq membres de notre parti sont morts au combat. Après la guerre, nous avons encouragé les familles à rester en Artsakh et même à venir s’y installer. Et nous avons annoncé que nous n’avons aucune ambition politique et que notre seul objectif est de renforcer l’Artsakh par différentes manières. Nous avons donc logiquement accepté l’invitation de faire partie du gouvernement.
Si nous avions su que la guerre commencerait aussi tôt, nous aurions mené une politique beaucoup plus pratique, par exemple pour renforcer les villages de Hadrout, car la guerre a montré à quel point nous étions faibles dans cette province.

« NH » – Le génocide arménien et l’indépendance de l’Artsakh sont deux enjeux nationaux qui devraient unir le peuple arménien. Cependant, ils sont devenus un sujet de division. On a l’impression d’assister au concours de qui se montrera le plus patriote. Comme si discréditer les autres était une manière de faire preuve de patriotisme… Quelle est la raison de ce phénomène ?
H. Kh. – C’est la même chose partout dans le monde. En France aussi, le système politique est en pleine mutation. Les partis politiques traditionnels sont en difficulté, de nouveaux mouvements naissent et les « politiciens Facebook » ont plus de succès que les spécialistes qui ont beaucoup d’expérience. Dans ce monde qui change, la désinformation occupe une grande place. C’est comme s’il n’y avait plus d’autorité, de personnalités ou de partis. En un jour, quelqu’un peut être porté aux nues et être considéré comme un traître le lendemain. Dans ces conditions, la seule solution est le renforcement des institutions étatiques. Seul un État organisé pourra faire face aux défis du monde actuel. Nous avons vu comment une dictature plus organisée – l’Azerbaïdjan – a remporté la guerre. Elle a réussi à mobiliser de grandes ressources financières et humaines, à développer son économie, son armée, etc. Quant à nous, nous ne sommes pas une dictature, mais nous ne sommes pas non plus une démocratie stable. Notre problème, c’est que notre système politique, nos institutions, sont faibles. Par conséquent, notre priorité est de renforcer les institutions étatiques.

« NH » – La question du statut de l’Artsakh reste un point d’incertitude. Au moment du déploiement du contingent russe de la paix, Vladimir Poutine avait déclaré qu’il n’était pas nécessaire de parler du statut pour le moment. Quant à l’Occident, il soutient le contraire. Dans quelle mesure l’Arménie et l’Artsakh ont-ils les moyens d’influer sur cette situation ?
H. Kh. – Il faut comprendre que l’intégration de l’Artsakh dans l’Azerbaïdjan va nécessairement engendrer une épuration ethnique. Pour l’instant, la Russie ne tient pas à évoquer la question du statut. Quant à l’Occident, il propose différentes plateformes pour discuter de la question. La partie arménienne doit tout faire pour que l’Artsakh soit reconnu par la communauté internationale. C’est la seule manière de protéger l’Artsakh d’une épuration ethnique.

« NH » – Le milliardaire Rouben Vardanian a annoncé qu’il renonçait à sa nationalité russe et s’installait en Artsakh. Comment cette déclaration a-t-elle été accueillie par les Arméniens d’Artsakh ? Quels changements peut apporter une telle déclaration sur le plan politique ?
H. Kh. – Une décision aussi importante, venant d’un Arménien renommé comme Rouben Vardanian, ne peut qu’être saluée, au vu de son succès dans le monde des affaires et de ses multiples contributions au développement de l’Arménie. Je pense par exemple au UWC Dilijan College, au projet « Renaissance de Tatev », au Prix Aurora pour l’éveil de l’humanité, etc. L’installation en Artsakh d’une telle figure est d’une très grande importance et peut donner un nouvel espoir et un nouvel élan aux Arméniens d’Artsakh.

« NH » – Des affaires pénales ont été ouvertes contre deux des plus hauts commandants des forces armées d’Artsakh, Djalal Haroutiounian et Michael Arzoumanian. Que pensez-vous de cette initiative ?
H. Kh. – Les raisons de la défaite de 2020 doivent être examinées dans le moindre détail. Cependant, je pense qu’en ouvrant des affaires pénales ouvertes contre Djalal Haroutiounian et Michael Arzoumanian, le gouvernement ne va pas dans la bonne direction. Pour comprendre les raisons de la défaite, il faut mener un travail d’investigation beaucoup plus poussé, il faut analyser cette guerre minute après minute pour en tirer des leçons et ouvrir la voie à de futures victoires.

« NH » – Qu’avez-vous retiré de votre visite en France ?
H. Kh. – Nous avons eu l’occasion de rencontrer Laurent Wauqiez et d’examiner avec lui des questions de coopération autour de l’Artsakh. À Paris, nous avons rencontré le sénateur Bruno Retailleau, que j’avais déjà rencontré l’année dernière. Depuis notre rencontre, il a participé à la création au sein du Sénat d’un groupe d’information international sur le Haut-Karabakh qui joue un rôle important pour informer les sénateurs de la situation. Nous avons également eu des entretiens avec des sénateurs pour discuter de projets d’aide à l’Artsakh. Je pense que les rencontres avec les représentants locaux et des régions en France doivent être plus régulières et qu’un travail permanent doit être mené dans cette direction.

Propos recueillis par
Jiraïr TCHOLAKIAN