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La nécessité de décoloniser l’Arménie

Entretien avec Garéguine Tchoukasezian, membre du Conseil du « Pôle National Démocratique

« Nor Haratch » – M. Tchoukasezian, vous êtes passé par nombreuses étapes de la lutte politique, telles que le « Pré-Parlement », le « Parlement Constituant », le mouvement « Sardarapat », le parti
« Sasna Tsrer » et l’actuel « Pôle National Démocratique ». Comment a évolué votre engagement au sein de la lutte politique ?

Garéguine Tchoukasezian – Mon activité politique a commencé en 1988 avec le mouvement Karabagh, lorsque j’ai pris part à diverses activités politiques. Puis, lorsque l’indépendance a été proclamée, nous étions tous impliqués dans différentes initiatives. Après 2007, diverses luttes civiles ont été lancées en Arménie, comme par exemple pour le Matenadaran. A l’époque, il y a eu des tentatives de numérisation des manuscrits, on essayait de s’accaparer nos droits au Matenadaran, mais nous nous sommes battus. Ce fut le premier mouvement civil.

L’année 2007 a été une période de transition non seulement à titre personnel, dans le cadre de mon activisme civique, mais aussi parce qu’à partir de cette année-là, la Russie et Vladimir Poutine ont lancé la « renaissance impériale » de la Russie, qui s’est manifestée de différentes manières, notamment par l’ouverture forcée d’écoles de langues étrangères en Arménie. Nous avons commencé à craindre que les pressions impériales ne reprennent. Au fil des ans, tout est devenu clair. Il y avait des aspirations impériales manifestes dans le discours de Munich de Poutine. Après cela, notre mouvement civil est entré dans une nouvelle phase avec le mouvement « Sardarapat », puis les mouvements « Pré-parlement » et « Parlement Constituant ».

Tout comme un examen des conséquences de la Seconde guerre mondiale a eu lieu après l’effondrement de l’Union soviétique et que l’architecture de sécurité en Europe a changé, nous avons eu le pressentiment que l’examen des résultats de la Première guerre mondiale avait repris avec le « Printemps arabe » au Moyen-Orient, qui ne pouvait pas de pas atteindre l’Arménie. Et nous pressentions aussi que les tendances impériales de la Russie entreraient certainement en conflit avec les évolutions de ce nouvel ordre mondial. Ce sont les changements dans l’architecture de sécurité dans la région qui nous ont forcés à réintégrer la politique. Tous ces mouvements que vous avez mentionnés avaient un axe commun : répondre aux problèmes de sécurité de l’Arménie pour les années à venir.

 

« NH » – Mais au début, votre lutte était plus localisée : c’était un combat contre Serge Sarkissian et Robert Kotcharian. A présent, vous avez une position plus géopolitique, plus pro-américaine et anti-russe.

G. Tch. – Je tiens à rappeler qu’à partir de la fameuse décision de Serge Sarkissian en 2013, l’orientation européenne de l’Arménie s’est soudain transformée en orientation eurasienne. Au moment des événements en Ukraine en 2014, notre mouvement a été le premier à parler de la nécessité de décoloniser l’Arménie, car même après l’effondrement de l’Union soviétique, le processus de décolonisation n’est pas allé à son terme dans de nombreux pays soviétiques, notamment l’Ukraine.

Les événements en Ukraine ont montré qu’une nouvelle phase de décolonisation commençait et ce n’était pas un mouvement anti-russe, mais un mouvement anti-impérial, qui ne pouvait que s’étendre à l’Arménie. Depuis la guerre d’avril 2016, il est évident que les changements d’ordre mondial qui sont fomentés ici sont de nature anti-arménienne et se font aux dépens des Arméniens. Nous avons essayé de l’empêcher et de gagner du temps avec la rébellion de 2016, afin que l’Arménie puisse se préparer à une guerre de cinquième génération. Il était évident que les armes les plus récentes seraient utilisées contre nous, notamment par la Turquie. Le régime de Serge Sarkissian a eu deux ans, tout comme celui de Nikol Pachinian, mais nous avons donc perdu quatre ans, comme lors des décennies précédentes, au lieu de nous préparer aux catastrophes qui se sont produites en 2020 et par la suite.

Malheureusement, depuis la guerre de 2020, beaucoup de gens n’ont pas compris pourquoi les dirigeants du Kremlin avaient adopté une position aussi pro-turque et anti-arménienne. Mais la guerre d’Ukraine a clairement indiqué que la Russie se préparait déjà à une opération en Ukraine et qu’elle savait qu’elle allait se mettre à dos l’Occident, c’est-à-dire qu’elle n’aurait pas la possibilité de faire avec l’Occident ce qu’elle pouvait faire par voie terrestre pour contourner les sanctions via la Turquie. Ce virage vers la Turquie au niveau des sanctions et des infrastructures, des transports et de l’énergie montre que, comme il y a cent ans, les intérêts de l’Empire russe et de la Turquie coïncident et que l’Arménie en sera la victime. Aujourd’hui, il est évident que ces deux pays ont un intérêt commun à ouvrir un corridor dans le Sunik, et nous, en tant que nation, en tant que pays, sommes de nouveau pris au piège par l’alliance russo-turque.

 

« NH » – Quelle est la solution à tout cela ?

G. Tch. – Après 2020, c’était très difficile. La Russie et la Turquie ont « avalé » l’Arménie, y compris l’Artsakh, et nous nous retrouvons aujourd’hui pris en otage en tant que nation. Aujourd’hui, le cours de la guerre russo-ukrainienne, qui, je pense, était inattendu pour le régime de Poutine, a permis à l’Arménie de se dégager un peu de ces pressions, car le processus de « digestion » avait déjà commencé. L’Arménie, ses provinces, ses routes, ses infrastructures étaient déjà en train d’être « digérées ». A présent, l’attention s’est redirigée vers l’Ukraine et il y a maintenant une possibilité de changements internationaux en Arménie. Par rapport à 2020, les tendances de 2022 sont plus en notre faveur. La dernière agression de l’Azerbaïdjan a clairement été condamnée par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne et chacun de ces États exige que les Azerbaïdjanais retirent leurs troupes du territoire arménien. C’est là une situation complètement nouvelle : il n’y avait pas de telles demandes en 2020.

Ce sont là des opportunités, mais dans quelle mesure l’Arménie pourra-t-elle en profiter ? Actuellement, l’Arménie ne peut pas faire face seule à ces défis. Heureusement, nous sommes clairement informés que l’Occident est derrière nous. Beaucoup n’y croient pas et pensent que ce sont des mots vides de sens. Mais prenons l’exemple de Nancy Pelosi. Après son voyage à Taïwan, faisant fi des menaces de la Chine, le deuxième pays le plus puissant au monde, elle s’est rendue en Arménie et a déclaré que les États-Unis considèrent Taïwan, l’Ukraine et l’Arménie comme les pays où se joue la lutte entre la dictature et la démocratie. De cette manière, elle a clairement souligné l’importance de l’Arménie. Il faut aussi souligner la visite du chef de l’administration centrale en Arménie, un phénomène exceptionnel dans ces conditions mondiales tendues, mais aussi la nomination d’un envoyé spécial dans le cadre des négociations, qui occupait le poste de secrétaire général adjoint des Etats-Unis et dont l’activité est tout entière dirigée vers le Caucase du Sud. Cela signifie qu’indépendamment de nos relations amicales ou hostiles avec les États-Unis, l’Arménie a une très grande importance géopolitique.

 

« NH » – Mais malgré toutes les condamnations, nous voyons que l’Azerbaïdjan n’a toujours pas reculé d’un centimètre et qu’aucune aide matérielle n’a été envoyée à l’Arménie, qu’aucune sanction n’a été approuvée contre l’Azerbaïdjan, comme cela s’est produit dans le cas de l’Ukraine. D’autre part, la défense de l’Artsakh dépend aussi de la Russie. Dans ce contexte, quelle politique l’Arménie doit-elle adopter ? La diplomatie du gouvernement actuel coïncide-t-elle avec nos problématiques ?

G. Tch. – Compte tenu de la tension élevée dans le conflit ukrainien et du fait que les parties se considèrent non seulement comme des ennemis, mais expriment également ouvertement leur intention de mener des frappes nucléaires, il ne faut pas s’attendre à ce que les États-Unis ou l’Occident aident l’allié de leur ennemi. Ce qui se passe est déjà incroyable : ils se rapprochent d’un allié de la Russie et expriment leur solidarité, alors que l’Arménie n’a en aucun cas renoncé à son alliance avec la Russie.

Les trois millions d’Arméniens vivant en Russie se sont retrouvés pris en otages. Par exemple, 90 % de tous les conscrits de la ville de Tuapse, à la frontière de l’Ukraine, sont Arméniens. En d’autres termes, les soldats arméniens vivant en Russie seront envoyés au casse-pipe en Ukraine. N’oublions pas qu’il y avait 500 000 Arméniens en Ukraine, dont 15 000 à 20 000 ont participé à la guerre. En d’autres termes, les Arméniens de Russie sont dans une situation terrible, sans parler de la tragédie que traverse l’Arménie.

Mais il y a un autre aspect très important, c’est que le facteur arménien commence à prendre encore plus d’importance dans les dossiers internationaux. Avant, les Arméniens de Russie servaient de levier pour rattacher l’Arménie à l’Empire russe. La Russie, qui représentait une source de revenus, est désormais une source de drames, car il n’en revient que des cercueils. Tout cela montre que la politique du gouvernement arménien au cours des trente dernières années et la décision de l’élite de se reposer sur Moscou pour sa sécurité sont en train de faire faillite.

Par conséquent, une petite nation comme la nôtre doit avoir une partie de sa population rattachée à l’Occident et cette partie doit pouvoir exprimer clairement son opinion. Lorsque notre mouvement est qualifié d’« anti-russe », nous disons clairement que nous sommes une force anti-Kremlin, une force anti-Poutine, car nous sommes convaincus que ce régime menace à la fois l’Arménie, la Russie et le monde. Autrement, nous aurons toujours plus de victimes, comme en 2020, comme en septembre dernier, comme tous les jours en Ukraine.

 

« NH » – Si la Russie considère l’Arménie comme un allié, elle ne considère cependant pas les figures qui sont arrivées au pouvoir avec la révolution de Velours comme ses alliés. Tout comme l’opposition qui considère le gouvernement inféodé à Soros et à l’Occident. Mais malgré tout cela, au-delà des condamnations verbales, l’Occident n’a pas sanctionné fermement l’Azerbaïdjan pour ses agressions à la frontière…

G. Tch. – Permettez-moi de vous poser une question : pensez-vous que la force militaire de l’Arménie serait suffisante pour empêcher l’Azerbaïdjan de conquérir le territoire le reliant au Nakhitchevan ? La réalité est qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas résister militairement. La seule voix de retenue qui se fait entendre est celle de l’Occident. La Russie continue de répéter qu’elle ne sait pas où commencent les frontières et où elles se terminent, alors que les États-Unis appellent clairement l’Azerbaïdjan à retirer ses troupes. Il est on ne peut plus clair que la Russie n’est pas une force de retenue, car le 13 septembre, elle a retiré ses troupes des zones où l’Azerbaïdjan a attaqué.

 

« NH » – Mais les appels américains de retrait des troupes azéris n’ont donné aucun résultat et les affrontements frontaliers se poursuivent…

G. Tch. – En effet. Cela démontre que l’Azerbaïdjan et la Turquie sont pressés de faire ce qu’ils ne pourront pas faire plus tard. En réalité, en s’opposant à l’Occident, l’Azerbaïdjan commet une erreur stratégique qui lui coûtera cher. L’Azerbaïdjan n’est pas le genre de pays qui peut dicter sa loi aux États-Unis.

Une chose évidente dans la rhétorique du président de l’Azerbaïdjan est qu’il insiste pour que les États-Unis restent à leur place. Cela témoigne du fait qu’il y a une réaction nerveuse du côté turc, qu’ils ont le sentiment que l’Occident adopte enfin une politique claire, qui se manifeste par les visites de personnalités de haut rang dans la région – en Arménie et pas en Géorgie ou à Bakou – et par ses déclarations pro-arméniennes. Les déclarations américaines ne sont pas que des mots. Ces paroles ont une portée stratégique qui, si elles ne sont pas respectées, peuvent entraîner différents types de sanctions. Elles sont supportées par une puissance économique et militaire. On ne peut pas dire que tout sera résolu en un jour, mais si l’Azerbaïdjan n’a pas encore atteint le Nakhitchevan, c’est parce que l’Occident est la seule force de retenue.

 

« NH » – Comment évaluez-vous la diplomatie du gouvernement arménien aujourd’hui, sa volonté de négocier avec la Russie et l’Occident, compte tenu du contingent russe en Artsakh et de la présence militaire russe en Arménie ?

G. Tch. – Depuis 2020, nous avons perdu deux ans de plus. Le gouvernement actuel doit de toute urgence renforcer le secteur militaire. La Russie, quant à elle, n’a pas intérêt à armer l’armée arménienne. La Russie avait intérêt à stationner ses troupes sur ce point stratégique et géopolitique important, pas seulement en Artsakh, mais aussi dans le Sunik, ce qu’elle l’a fait. Mais cela n’avait rien à voir avec les intérêts arméniens. Au contraire, plus les Arméniens sont faibles, plus sa dépendance vis-à-vis des Russes est grande. Ainsi, le gouvernement actuel n’a rien fait pendant deux ans pour renforcer nos capacités d’autodéfense, et a conservé des attentes envers un pays qui a déjà prouvé en 2020 qu’il n’était pas notre allié, bien au contraire. Nous prétendons vouloir faire la paix avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, deux pays ivres de sang qui veulent mettre fin à la question arménienne, deux pays que personne au monde ne peut contrôler, et qui nous forcent à chaque fois à répondre à nos faux pas par le sang.

Lors des affrontements militaires, les troupes russes stationnées en Artsakh et en Arménie n’ont pris aucune mesure, c’est-à-dire que nous n’avons aucune sécurité. S’il y a bien un acteur qui empêche le nettoyage ethnique en Artsakh, c’est l’Occident.

Je veux poser ici une question à nos compatriotes de la diaspora et de l’Arménie. Deux fois au XXe siècle, les Russes ont volontairement quitté l’Arménie, contre la volonté des Arméniens. Qu’est-ce qui les empêche de le faire une troisième fois ? Dans quelle situation allons-nous nous retrouver si nous n’entreprenons rien, ni pour organiser une autodéfense indépendante, ni pour faire appel aux partis qui considèrent la Turquie et l’Azerbaïdjan comme leurs adversaires et pour conclure des alliances directes avec ces pays ?

 

« NH » – Voulez-vous dire qu’aujourd’hui, le gouvernement arménien peut dire aux Russes de partir ?

G. Tch. – Le gouvernement actuel est un gouvernement vassal. L’indépendance est déterminée au niveau international de la manière suivante :
avez-vous la capacité de mener une politique étrangère de manière indépendante ? Avez-vous des frontières stables ? Avez-vous votre propre gouvernement qui peut déterminer ses propres intérêts ? Si ces trois facteurs-là sont présents, alors on a affaire à un Etat indépendant. Autrement, cela signifie que la décolonisation doit commencer, que le pays doit mener une lutte de libération nationale.

 

« NH » – Mais les problèmes auxquels le gouvernement a fait face après la guerre étaient des problèmes d’un autre niveau. Il y avait aussi la menace d’un coup d’État ou d’une guerre civile. C’était l’occasion pour les membres de l’ancien régime de retrouver leur pouvoir perdu. La tâche du gouvernement était de gérer tout cela…

G. Tch. – C’est exact, mais il y a avant tout un problème de diagnostic. Vous avez mentionné à juste titre les dangers qui existaient. Mais un médecin doit être en mesure de diagnostiquer le problème et de décider de la solution qu’il y apportera. On ne va nulle part simplement en mentionnant les dangers.

Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2018, le gouvernement avait un plan clair pour mettre en œuvre une phase de justice transitionnelle afin de neutraliser la menace interne. Mais comme il n’a pas mis ce plan en œuvre, il s’est naturellement détérioré. En fait, le gouvernement a adopté une position conformiste à la fois envers les anciennes forces dictatoriales internes, qui étaient des agents russes directs, et envers la Russie. Et en fait, au lieu de résoudre le problème, il n’a fait que le compliquer et deux ans plus tard, le pays s’est retrouvé dans une situation dangereuse. Au cours de ces deux années, il aurait été possible d’assurer la stabilité interne du pays, d’affaiblir politiquement la cinquième colonne de l’Arménie, car les pays qui passent de la dictature à la démocratie ne donnent pas la liberté d’expression à leurs anciens dictateurs. Ils limitent l’activité politique de ces personnes, que ce soit Kotcharian, Sarkissian ou tout nouveau venu qui sera leur porte-parole. En d’autres termes, il n’est pas possible de parler de démocratie sans parler de restrictions. C’est l’erreur que ce gouvernement a faite, de permettre à ces anciennes figures de rester en politique, de ne pas saisir leurs chaînes de télévision, de les laisser créer leurs partis politiques.

 

« NH » – Étant donné que l’ensemble du système gouvernemental de l’Arménie était corrompu, il était impossible de changer simplement en « coupant des têtes ». L’appareil d’État agissait contre les décisions du gouvernement. Compte tenu de tous ces phénomènes, n’est-il pas un peu naïf de penser que cette période transition aurait pu être plus simple ?

G. Tch. – L’affirmation selon laquelle il était impossible de se préparer à la guerre en deux ans, qu’il était impossible de faire des changements dans l’armée, qu’il était impossible d’assainir le système politique, cela fait trente ans que nous les entendons. Je tiens à rappeler que pendant la période de transition du système soviétique au système démocratique, nous traversions des situations de crise. Nous n’avions aucune expérience de démocratie, c’était la guerre. Pendant trente années, nous avons accumulé les problèmes. Il aurait dû y avoir une meilleure transition après l’effondrement du soviétisme, et l’Occident en est en partie responsable. Face à la menace d’une nouvelle guerre mondiale, ce ne sont pas seulement les traditions de la dictature russe qui sont à blâmer, mais aussi l’Occident, qui a adopté une politique erronée envers les anciens pays soviétiques et a ainsi permis la dictature à se reconstituer sous de nouvelles formes, tant en Russie que dans les anciens pays soviétiques.

 

« NH » – Au lendemain de la guerre, il y avait encore la loi martiale, les manifestations étaient interdites, mais les partisans de l’ancien régime organisaient des manifestations. Certains d’entre eux étaient arrêtés, mais aussitôt relâchés par la justice. Là aussi, on retrouve des marques de la corruption systémique de l’appareil judiciare…

G. Tch. – Mais comment se fait-il qu’un État à ce niveau de déliquescence, qui n’a pas été capable d’arrêter les figures de l’ancien régime, a cependant arrêté à nouveau Varoujan Avetissian et ses camarades ? En d’autres termes, le danger pour les Russes en Arménie est représenté par les forces démocratiques et nationales comme Varoujan Avetissian et ses camarades. Quant aux forces qui ne sont pas dangereuses pour eux, le gouvernement actuel n’y touche pas. En d’autres termes, pour le gouvernement actuel, il vaut mieux épargner Kotcharian et Sarkissian, mais lorsqu’il s’agit de forces tierces qui exigent que le peuple passe à l’autodéfense, crée une armée nationale et appelle à établir relations plus étroites avec l’Occident, il les considère comme dangereuses et jette ses membres en prison. Il ne s’agit pas là d’une question d’incompétence, mais d’orientation politique.

 

« NH » – Mais c’est pourtant le gouvernement né de la révolution de Velours qui a libéré Varoujan Avetissian…

G. Tch. – Mais pour cela, il a fallu se battre. J’ai moi-même fait une grève de la faim pendant trente jours pour que nos camarades soient libérés. Aujourd’hui encore, ces personnes sont en prison, à l’inverse des vrais criminels qui ont plongé le pays, l’armée et l’économie dans cette situation, et qui sont libres de mener leurs activités politiques.

 

« NH » – En d’autres termes, vous dites que le gouvernement actuel est la marionnette de la Russie…

G. Tch. – Le gouvernement actuel diffère des précédents dans le sens où il fait la girouette. Mais ce que nous voulons, c’est un gouvernement qui soit aux commandes, qui sait dans quelle direction il va. Notre gouvernement actuel sait-il seulement où il va ? Peut-il dire au peuple s’il va devoir faire des sacrifices ? Ou bien ne sommes-nous qu’un bateau ballotté par les vagues ? Il serait fataliste qu’il nous dise que nous ne sommes qu’un bateau incapable de naviguer sur cette mer déchaînée.

 

« NH » – Par exemple, si les
2 000 soldats du contingent russe devaient se retirer, que resterait de l’Artsakh ?

G. Tch. – Et s’ils se retirent demain, que restera-t-il de l’Arménie en général ? Par conséquent, il faut se préparer à une situation d’urgence, le peuple doit se préparer à l’autodéfense. Je veux parler ici de la gestion des urgences, de la démocratie, de tout ce dont nous parlons dans le programme du « Pôle National Démocratique ».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, des milliers d’Arméniens se sont retrouvés en territoire allemand et un grand nombre ont été faits prisonniers. Sans les efforts de Dro et de Njdeh, ces Arméniens n’auraient pas pu être sauvés. Ces grandes figures organisaient le sauvetage des Arméniens dans les territoires allemands. Quand le monde est miné par de telles divisions, il faut avoir la sagesse d’avoir des gens dans les deux camps. Notre problème, c’est une question de sagesse nationale, car si nous supportons tous le même camp et que nous disons que le danger vient de la Russie, si la Russie est vaincue, nous perdrons tout. Si des centaines d’Arméniens sont fait prisonniers en Ukraine, pouvez-vous imaginer comment ils seront traités ?

Notre tâche est de montrer que le peuple arménien n’est pas l’ennemi de l’Occident, que ce n’est pas notre guerre, que c’est la guerre impériale de la Russie, et nous devons pouvoir nous débarrasser du fardeau de cette alliance qui met en danger l’ensemble du peuple arménien. Lorsque le pays se trouve en état d’urgence, les forces politiques internes doivent mettre de côté leur idéologie politique et évoluer en fonction de la logique de la situation.

Propos recueillis par

Jiraïr TCHOLAKIAN

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