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ARTSAKH OCCUPÉ – Mise à mort en direct d’une démocratie

« Les turcs ont passé là, tout est ruine et deuil »

En découvrant ce matin sur un média azéri les images de la destruction du bâtiment du Parlement de la République d’Artsakh à Stepanakert(1), ce vers du poème « l’Enfant » de Victor Hugo(2) s’est rappelé à ma mémoire. 

V. Hugo y parle « des Turcs ». Je serais personnellement tenté de parler « du Turc », celui qui est arrivé au 11e siècle depuis ses steppes d’Asie centrale, qui a provoqué la disparition de dizaines de peuples autochtones et d’antiques et  riches civilisations sur le territoire qu’il occupe actuellement et qu’il voudrait étendre encore en avalant le dernier morceau de terre arménienne pour rejoindre son mythique berceau du « Touran ». 

La destruction du Parlement de Stepanakert vient confirmer cet adage populaire qui affirme que « l’on meurt toujours en étant celui que nous étions à notre naissance ». Il en est des peuples comme des individus. L’Azerbaïdjan moderne, lointain avatar des tribus Seldjoukides qui ont envahi la région au Moyen-Âge, le prouve chaque jour par une nouvelle action destructrice.

Sous les yeux d’un monde indifférent – « Est » et » Ouest » confondus(3) – et avec sa complicité évidente, par la menace d’une extermination totale – j’évite sciemment le terme de « Génocide » aujourd’hui si déprécié – Aliev a contraint à l’exil  les 150 000  Arméniens du Haut-Karabakh et commencé à coloniser à grand train leurs terres ancestrales en détruisant toute trace de leur existence. Le dernier exemple est celui du bâtiment du Parlement de Stepanakert qui vient d’être détruit jusqu’aux fondations. 

Le symbole est évidemment double. Cet élégant bâtiment cumulait deux tares aux yeux du Khan de Bakou : il était arménien et, peut-être pire encore, il était le haut-lieu de la démocratie artsakhiote. 

Les autorités azerbaïdjanaises ont déclaré qu’elles détruisaient ce bâtiment, comme d’autres à l’avenir, en raison du « caractère illégal de leur construction durant les années de l’occupation arménienne ». « Vaste chantier ! », si j’ose dire, car « l’occupation arménienne » est vielle de plusieurs millénaires dans la majeure partie des territoires qu’occupent aujourd’hui les Azerbaïdjanais.

Au moment même où la presse de Bakou annonce l’installation à Stepanakert de« réfugiés » azéris du Haut Karabakh »(4) les autorités azerbaïdjanaises pousseront elles leur sens de la « légalité » jusqu’à détruire la totalité du parc immobilier de la capitale de l’Artsakh et tout ce qui a été bâti par les Arméniens – y compris à Bakou – durant les nombreux siècles pendant lesquels il n’y avait ni Azéris, ni Azerbaïdjan, dans la région ?

Nulle réaction à ce jour d’aucun pays. Nulle sanction concrète pour ce dictateur et pour Erdogan, son frère aîné et protecteur, qui constituent, ensemble, le poumon économique de la Russie(5) grâce aux exportations de ses matières premières énergétiques, avec la bénédiction de l’Union européenne et de Mme Von Der Leyen. 

Rappelons également que le contingent russe dit « de la paix », malgré sa faillite, voire sa complicité,  a été maintenu en Artsakh pour y « assurer la protection des Arméniens » qui s’y trouvent encore, soit moins de 30 personnes, et « garantir la préservation du patrimoine culturel et religieux » et des biens des populations forcées à l’exil (6).

Il ne faut malheureusement rien attendre de qui que ce soit, et comme l’enfant grec de Chios du poème de Victor Hugo « ne – plus – demander que de la poudre et des balles (7)».

Le peuple azerbaïdjanais qui est actuellement bâillonné par un régime de terreur finira peut-être un jour par renverser son dictateur et oppresseur. 

En 1908, paraissait en arménien à Bakou la pièce « Hernani » de Victor Hugo (8).

Au-delà de l’intrigue qui y est développée, cette œuvre qui a provoqué un grand débat dans la société française au moment de sa publication et de la première représentation, symbolise également le combat contre les pouvoirs absolutistes (9).

J’ignore si cet ouvrage existe en langue azérie. Dans le cas contraire, j’espère que le peuple azerbaïdjanais pourra le découvrir en s’en « emparant », dans le sens positif du terme cette fois, comme d’une pièce de son « héritage national » qui englobe également tout l’apport des Arméniens, dont cette édition de 1908 du Grand Hugo (10).

Je n’ai aucun doute que le Parlement de l’Artsakh sera reconstruit par nos enfants à l’emplacement même de celui qui vient d’être rasé. Après tout, la France a vécu durant près d’un demi- siècle dans l’attente de la libération de l’Alsace-Lorraine.  Entre temps, comme tous les despotes, Aliev sera retourné aux poubelles de l’histoire. 

Que ces 35 ans d’expérience démocratique que le peuple arménien a vécu en Artsakh soit source d’inspiration et d’espérance pour tous les peuples d’Azerbaïdjan, dont les Azéris.

Patience et opiniâtreté ! Comme l’affirme l’adage populaire arménien,  « tout finira bien ».

Sahak SUKIASYAN

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(1)  https://www.facebook.com/watch/?v=310572712039080

(2) Dans son ouvrage « Les Orientales » publié en 1828, V. Hugo évoque le massacre de la population grecque de l’ile de Chios par les tucs en 1822.

(3) Sans oublier les grandes  « autorités spirituelles et morales » que sont les représentants des  Églises catholique, orthodoxe et protestante.

(4) L’agence azérie « APA » titrait le 5 mars : « Des préparatifs sont en cours pour le retour des déplacés internes dans la ville de Karkidjahan à Khankendi ».

(5) Dans une langue plus « diplomatique », on parle de  « hub énergétique ».

(6) Qui va d’ailleurs assurer au plan international la défense des droits des Arméniens d’Artsakh en demandant, par exemple, des compensations pour les biens particuliers et communautaires de ces « ressortissants de souche  arménienne » de l’Azerbaïdjan spoliés du fait de l’épuration ethnique réalisée ?

(7) Le 11 décembre 2023,  l’écrivain Sylvain Tesson reprenait ce vers de V. Hugo lors d’un concert caritatif de soutien aux Arméniens de l’Artsakh à la mairie du 5e arrondissement de Paris.

(8) էռնանի ՝ Դրամա, 5 գործողութեամբ . Յակոբ  Տէր-Գէորգեան, [թարգմ.] Բագու 1908,  « Բագուի հայոց հրատ. ընկերութիւն, »

(9) Bakou est alors une ville de l’Empire russe qui n’était pas non plus un modèle d’ouverture politique et culturelle.

(10) Pour information, la même année, « l’Association éditrice des Arméniens » de Bakou publiait également le conte « David Copperfield » de Charles Dikens.

 

PS : pour éviter une recherche trop fastidieuse, sans doute faudrait-il regarder si un exemplaire de cet ouvrage ne figure pas sur les étagères de la bibliothèque de la cathédrale arménienne Saint Grégoire l’Illuminateur de Bakou confisquée par les autorités azerbaïdjanaises.