La crise politique interne est venue s’ajouter au désastre humanitaire en Artsakh. Les profonds désaccords entre les différents fronts, qui, bien que parfois palpables, n’étaient pas si visibles jusqu’à présent, ont commencé à faire surface ces derniers jours.
Ainsi, Ruben Vardanian, ancien ministre d’État de la République d’Artsakh, a publié le 19 août une vidéo de Hakobavank (https://www.facebook.com/rubenvardanyanofficial/videos/1330791684458095) sur sa page Facebook, où il a porté un certain nombre d’accusations graves contre le président Araïk Haroutunian.
Ruben Vardanian, entre autres, disait dans cette vidéo : « Araïk Haroutunian, qui porte aujourd’hui la plus grande responsabilité de la situation créée, sera tôt ou tard obligé de répondre à toutes les questions qui lui seront posées.
Il y a six mois, lorsque j’ai quitté mon poste, j’ai dit : si le président est vraiment prêt à se battre, s’il est prêt à devenir un leader et un commandant en chef, nous devons tous le soutenir. Malheureusement, vous n’avez pu devenir ni leader ni commandant.
La parole n’a aucune valeur pour vous. Vous pensez qu’avec l’argent et le poste que vous occupez, vous pouvez régner sur tout, mais vous vous trompez lourdement.
Les mensonges et la haine des uns envers des autres ont été propagés de votre bouche.
Vous détruisez les institutions de l’État, vous brisez l’espoir et la foi, la foi des uns dans les autres, la foi dans les valeurs nationales. »
Vardanian a également déclaré qu’il y a quelques jours, Haroutunian avait promis de démissionner de son poste de président en présence d’un groupe de personnes, mais finalement il n’a pas tenu sa promesse.
Tigran Grigorian analyse de la meilleure des façons ces fermentations politiques en Artsakh dans son article publié sur le site CivilNet le 21 août.
Selon le journaliste ce message vidéo de Ruben Vardanian est le résultat d’impétueux développements politiques internes qui ont eu lieu récemment en Artsakh. Après que Vardanian ait été démis de ses fonctions de ministre d’État, il était actif politiquement en Artsakh. Au cours des derniers mois, il a réussi à fédérer les anciens présidents de l’Artsakh, les anciennes forces de haut rang sous leur influence, ainsi que les trois factions d’opposition de l’Assemblée nationale.
Grâce à ce large renforcement, ce front devient l’un des principaux acteurs de la vie politique intérieure de l’Artsakh. Un autre front important est le groupe de Samuel Babayan, la deuxième faction parlementaire.
Ces camps se battent activement pour le pouvoir ces derniers mois. En mai, ces deux fronts ont même fait preuve d’une vive activité dans la rue, organisant des meetings de masse presque simultanément, ce qui ne leur a toutefois pas apporté de dividendes politiques significatifs.
Araïk Haroutunian, dont le pouvoir est assez fragile après la fin de la guerre, est contraint de manœuvrer entre ces forces, faisant parfois des concessions, parfois essayant de faire preuve de force.
L’un des épisodes de la démonstration de force, à laquelle Ruben Vardanian a également fait allusion dans son message vidéo, a eu lieu la semaine dernière. Le 17 août, plusieurs miliciens, qui, selon diverses sources, étaient accompagnés des hommes d’Araïk Haroutunian, se sont rendus au bâtiment de l’Assemblée nationale, dans le but de présenter leurs problèmes aux députés et au président nouvellement élu de l’Assemblée nationale, Davit chkhanian. Mais vraisemblablement, cette réunion n’a pas eu lieu. À la place, c’est Araïk Haroutunian qui les a reçus et a tenu une réunion avec ce groupe de miliciens.
Il s’agit très probablement d’une démarche planifiée par Haroutunian, qui poursuivait l’objectif de discréditer l’Assemblée nationale, qui a été politiquement revitalisée par les efforts du camp de Ruben Vardanian, ainsi que de montrer à tous les acteurs qu’il a encore une certaine influence et bénéficie d’un certain soutien. Il est aussi probable que par la même occasion, Haroutunian a également tenté de repousser l’ordre du jour de sa démission au second plan.
Quoi qu’il en soit, cette instabilité politique interne, qui dure depuis des mois, est conditionnée non seulement par la lutte pour la prise du pouvoir – comme cela peut paraître à première vue – mais aussi par des approches différentes sur la sortie de la situation créée en Artsakh. Tous ces acteurs ont leur propre vision des solutions à la crise.
Samuel Babayan et son groupe, comme chacun le sait, sont favorables à l’ouverture de toutes les routes et à l’établissement de liens commerciaux et économiques avec l’Azerbaïdjan directement, sans intermédiaire (c’est une toute autre question de savoir quelle sera la position de Bakou face à un tel processus).
Araïk Haroutunian et son gouvernement sont favorables à des négociations avec Bakou à l’aide d’intermédiaires, mais non sur le sol de l’Azerbaïdjan. Dans un avenir proche, les autorités de l’Artsakh seront probablement contraintes d’accepter une solution à la crise humanitaire, qui inclura également l’utilisation de la route d’Akna (Aghdam).
Il est probable que les organisations internationales assurent par cette voie le transport de l’aide humanitaire non-azerbaïdjanaise vers l’Artsakh, et que certains transports se fassent aussi via le couloir de Berdzor.
Comme l’a montré le débat du Conseil de sécurité de l’ONU du 16 août, tous les principaux acteurs sont favorables à cette approche, et il sera difficile pour Stepanakert d’abandonner cette option et d’espérer des pressions supplémentaires sur Bakou. L’acceptation de cette proposition pourrait devenir une nouvelle raison de l’intensification des tensions politiques internes.
L’opinion de Ruben Vardanian et de son entourage concernant les négociations Bakou-Stepanakert est qu’elles devraient se dérouler dans un format international. Cependant, sur la question de la sortie de la crise humanitaire, ce camp ne parle pas de solutions claires. Il existe de nombreuses déclarations sur la nécessité de la lutte, mais là non plus pas un seul mot sur la feuille de route, ni sur les mécanismes et les moyens qui permettraient de mener cette lutte.
Dans les semaines à venir, cela dépendra des rapports de force entre ces trois principaux acteurs, pour voir quelles approches prévaudront en Artsakh. Dans le contexte d’une crise humanitaire qui s’aggrave, les évolutions politiques peuvent également prendre une tournure imprévisible.
© 2022 Tous droits réservés