La consultation des sites « Sputnik» et « Azertac » n’est pas mon activité préférée, mais je m’y astreins de manière régulière pour y recueillir des informations qui pourraient nous concerner. C’est ainsi que le 13 mai, en parcourant la version arménienne du média russe « Sputnik », je prenais connaissance de la position du métropolite russe Léonide [Gorbachov] qui considère « dangereuses les déclarations critiques adressées à l’Église apostolique arménienne par les représentants du pouvoir en place en Arménie ». Selon lui, l’Église apostolique arménienne a toujours été « un élément de renforcement, une sorte de ciment, pour les Arméniens » (1). Toujours selon l’ecclésiastique « elle a traversé des phases complexes et il y a eu dans son histoire des périodes de renouveau et de stagnation spirituelle ». Ses propos suscitent chez le fidèle et le serviteur de cette Église que je suis quelques réflexions que je soumets aux lecteurs de « Nor Haratch ».
Concernant les « phases complexes » de son histoire, sans doute fait il allusion à au moins deux d’entre elles : la confiscation en 1903 des biens de l’Église arménienne sur ordre du tsar Nicolas II (2), et les terribles persécutions des années 1930 contre l’Église d’Arménie qui ont culminé en 1938 avec l’assassinat du Catholicos Khoren 1er. Dès le lendemain de cet assassinat, la cathédrale de Saint Etchmiadzine était fermée ; un événement sans précédent dans notre histoire, y compris durant l’occupation musulmane chiite persane.
Quant aux « périodes de stagnation spirituelle », on peut légitimement penser que l’imposition en 1836 d’un statut d’Église soumise au pouvoir impérial – le Bologénia- et la fermeture des écoles arméniennes, des associations culturelles, des journaux et des bibliothèques à plusieurs reprises à partir de 1885 n’y ont pas été totalement étrangères (3).
Reprenant sa métaphore sur les matériaux de construction, il dénonce le fait que les gouvernants actuels de l’Arménie « tentent d’extraire ce ciment [de l’édifice] pour le remplacer par de la gomme américaine » (4). Le hiérarque russe conclut son propos en souhaitant au peuple arménien « courage, sagesse et honneur ».
Je crois que tout le monde aura compris la clarté, le sens et la valeur de ce message.
On ne peut naturellement que se réjouir de l’intérêt de ce religieux pour notre Église que bien des religieux et des fidèles de son Église, vraisemblablement l’immense majorité, considèrent toujours comme une « Église monophysite », si ce n’est donc hérétique, au minimum « schismatique ».
Considérant cet arrière-fond, on est en droit de s’interroger sur les motifs de son intervention.
Le Métropolite Léonide estimerait-il que le fait qu’il ait été « administrateur des paroisses russes d’Arménie », puis « Primat d’Erevan et d’Arménie » (5), lui donne une légitimité pour s’exprimer sur les affaires intérieures de l’Arménie, du peuple arménien et de son Église ?
A-t-il été sollicité pour le faire, et si oui, et par qui ?
Dans tous les cas, et après avoir jeté un regard rétroactif sur son bref passage en Arménie, le moins que l’on puisse dire est que sa mission n’aura été marquée ni par une grande empathie envers les Arméniens, ni par une grande activité œcuménique.
En effet, à la différence de ses « confères » d’Azerbaïdjan engagés dès 1991 dans une politique active de collaboration avec le pouvoir aliévien, en 2020, il n’a dit mot des souffrances du peuple arménien, en particulier des Artsakhiotes, alors que dans le même temps, à Bakou, l’archimandrite Alexey Nikonorov, l’administrateur provisoire du diocèse orthodoxe russe local, bénissait Aliev et son pays du matin au soir et du soir au matin.
Mais en cela, il n’aura été que l’obéissant serviteur de son patriarche dont le monde entier connait et apprécie l’attachement aux principes chrétiens de paix et de justice. Ce même patriarche qui déclarait en 2021 « L’Empire ottoman n’a pas exterminé la minorité chrétienne » (6) et qui, de la même manière, n’a pas eu un mot de compassion pour les Arméniens d’Artsakh lors du terrible siège de neuf mois qu’ils ont enduré et surtout au moment de leur expulsion de leurs terres ancestrales.
Décidément, il est des moments où le silence est d’or …
Sans doute plus que tout autre, le moine, s’il est vraiment moine, connait l’importance et la valeur du silence.
Nous aurions aimé que le Métropolite Léonide et sa hiérarchie parlent lorsqu’il était utile de le faire.
Aujourd’hui, leur avis sur la situation en Arménie n’a pas lieu d’être et ne nous intéresse pas. D’ailleurs, au regard de la situation de leur propre pays et de celle de leurs « frères ukrainiens », peut-être devraient-ils plus se préoccuper de ce qui les intéresse directement plutôt que de ce qui se passe en Arménie.
Notre principe en la matière est « Chacun chez soi et les brebis du Seigneur seront bien gardées » !
Sahak SUKIASYAN
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(1) Inutile de préciser que nous ne l’avons pas attendu pour en être conscients.
(2) Le Catholicos Mgrditch 1er, un authentique et grand pasteur de l’Église d’Arménie (1892-1907), s’était alors élevé avec courage contre cette politique de russification.
(3) En 1897, l’arménophobe comte Galitzyne avait été nommé gouverneur de la Transcaucasie. Il a été l’auteur de toute la politique de répression anti-arménienne qui avait pour but d’asphyxier les structures arméniennes de l’empire russe et de « mettre au pas » politiquement les Arméniens.
(4) Les clichés ayant la vie dure, on peut penser qu’il fait allusion au célèbre « chewing gum » américain tant prisé par des générations de petits Soviétiques et symbole de « l’Amérique décadente ».
(5) En octobre 2021, violant les principes ecclésiologiques de notre Église, le Synode du Patriarcat de Moscou, a établi un diocèse en Arménie avec à sa tête l’archevêque Léonide comme «Primat d’Erevan et de l’Arménie ». Un peu comme s’il n’y avait pas déjà à Erevan de diocèse et d’archevêque légitime. Voir le site : https://orthodoxie.com/leglise-orthodoxe-russe-a-etabli-un-diocese-en-armenie/
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