Samuel Babayan
par Marc DAVO
À la suite de mon article paru dans le numéro 431 de « Nor Haratch » (24 oct. 2024) dans lequel j’avais tenté de mettre en doute la crédibilité du projet de « Carrefour de la paix », je suis tombé par hasard sur une interview de Samuel Babayan. L’ancien chef des forces armées du Haut-Karabakh qui était curieusement l’invité de News.am TV – une plateforme d’information proche de l’opposition parlementaire et qui ne semblait pas dans le passé lui être très favorable – a également critiqué ce projet. En somme, ce carrefour tel qu’imaginé et présenté, susciterait des conflits et finalement provoquerait la guerre au lieu de la paix dans la sous-région sud-caucasienne. Un tel résultat est forcément dû à la persistance d’intérêts contradictoires et irréconciliables.
>>> Que veut l’Azerbaïdjan ?
Nous savons très bien que plusieurs pays sont intéressés par le passage que constitue la zone de Meghri située au sud de la région de Syunik à la frontière iranienne. L’Azerbaïdjan en est un. Samuel Babayan estime que le régime Aliev à Bakou a fondé sa stratégie sur la question des communications, d’une part vers l’est, l’Asie centrale et la Chine à travers la mer Caspienne et d’autre part, vers l’ouest, la Turquie et l’Europe. En somme, une configuration correspondant à la situation d’un pays de transit. C’est également le cas pour la Géorgie, lorsqu’elle avait le regard tournée vers l’Occident. Les récentes élections parlementaires (26 octobre) en donnant une majorité au parti « Rêve géorgien » de Idzina Ivanishvili, homme d’affaires pro-Krémlin, pourraient éventuellement aboutir à la révision de la précédente stratégie.
En conséquence, le gouvernement de Bakou ne pourra pas négliger le poids économique et politique que la voie passant par Meghri est censée peser sur la crédibilité du rôle qu’il s’assigne dans les nouvelles relations internationales en gestation.
>>> Que fait l’Arménie et que doit-elle faire?
Or, le gouvernement de Nikol Pachinian, de par ses tergiversations, « obstrue » (sic) ce passage, ce qui empêche la circulation des biens et que par conséquent le développement économique en pâtit. Erevan a trouvé un accord avec Téhéran sur le blocage de la solution Meghri et qui arrange les intérêts iraniens, puisque le transit entre l’Azerbaïdjan et le Nakhidjevan passe par le sud de l’Araxe en territoire iranien. L’Azerbaïdjan ne peut rester sans réagir d’une manière ou d’une autre, d’autant plus que la Russie aussi est intéressée par ce passage mais pour la surveiller, écartant de la sorte la présence occidentale.
La proposition du Premier ministre arménien de débloquer les voies de communication concerne toutes les voies (Sodk, Qazaq-Idjevan, Kapan, …) et est calquée sur la configuration prévalant pendant l’ère soviétique. Cela ne convient pas aux autorités de Bakou. Ce qui les intéresse, c’est la route passant par Meghri. Quant à leur désir d’instaurer un sovereign passage (route ayant un statut d’extra-territorialité), un modèle conforme au régime du passage de Kaliningrad (au sud de la Lituanie) pourrait convenir et avoir l’appui international contrecarrant les desiderata turco-azéro-russes.
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Samuel Babayan qui préside un parti politique « Miasnakan hayrenik » (Patrie unie) se présente comme un véritable leader politique qui propose des solutions concrètes. Sur la question concernant le carrefour, il précise que les relations arméno-azéries doivent être fondées sur quatre points, la question relative à la délimitation/démarcation de la frontière sur la base de la carte géographique de 1925/1926, la nécessité d’établir des relations diplomatiques, l’importance d’éviter les obstructions dans l’affaire de la route de Meghri et enfin un accord sur le non-recours à la force. La tentative par Erevan de signer un accord de paix sur les 16 points ayant fait le consentement des deux parties ne servira finalement pas à grand chose.
Fidèle à ses engagements passés, l’ancien héros du Haut-Karabakh n’oublie pas le triste sort de ses compatriotes qui ont été trompés par une classe dirigeante corrompue et vaniteuse et ont cru naïvement au soutien éternel de la Russie à leur cause. Il propose la création d’une ONG que créera la représentation artsakhiote avec un exécutif. Celui-ci tâchera de promouvoir la cause de la population du Haut-Karabakh auprès des instances juridiques et humanitaires internationales, puisque le gouvernement d’Erevan n’est pas favorable à la formule d’un gouvernement en exil en Arménie. Le comité présidé par Vardan Oskanian et d’autres associations artsakhiotes partout ailleurs feraient mieux de prendre langue avec cette organisation afin de ne pas disperser l’effort pour faire entendre la voie de cette population encore sous le choc après le nettoyage ethnique de septembre 2023 par le régime Aliev avec la complicité du Kremlin. ■
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