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DÉCRYPTAGE – L’heure des comptes à rendre est arrivée

Chahramanian s’adressant aux manifestants venus exprimer leur inquiétudes devant
la Représentation de l’Artsakh à Erevan, le 19 octobre

Le combat continue

Par Marc DAVO

Samuel Chahramanian, le président symbolisant le récent mini-coup d’État de Stepanakert, a signé un certain nombre de décrets dont le licenciement des fonctionnaires et tout le petit personnel des services d’État à partir du 1er octobre. Cette mesure ne concerne pas les officiers supérieurs et la haute fonction d’État (principaux responsables du service de sécurité nationale, magistrats, parlementaires et ministres de son gouvernement, …).  À noter que beaucoup de fonctionnaires n’ont pas touché leur paye de septembre dernier. 

 

>>> Les Artsakhiotes demandent des comptes 

Le 19 octobre, quelques centaines d’Artsakhiotes, inquiets de leur avenir, se sont rassemblés devant la représentation du Haut-Karabakh à Erevan, pour réclamer leurs droits et aussi présenter leurs doléances. Depuis l’arrivée en Arménie de la direction déchue, tous les hauts responsables s’y réunissent à huis clos sans que l’on sache pourquoi et sans que quelqu’un ne fournisse une explication, au moins, à l’attention du public artsakhiote dont une partie notable reste encore dans une situation d’extrême fragilité. Un expert politique, David Stepanian, pose une question pertinente sur TV1 : « si les institutions sont dissoutes, alors que font ces gens-là tous les jours à la représentation du Haut-Karabakh, …? ».  

Parmi les manifestants, les personnes interrogées par les plateformes d’information réclamaient justice, maître-mot pour tout intervenant. D’autres rappelaient que les ex-dirigeants avaient pu accumuler des richesses et « avec l’argent public volé » avaient acheté d’importants biens meubles et immeubles à Erevan. Ils sont venus s’y installer confortablement, alors que certaines personnes dorment encore dans leur voiture stationnée sur les parkings. Le nom d’anciens présidents, Bako Sahakian ou Arkady Ghoukassian, est souvent prononcé. Interrogé par Noyan Tapan TV, le sociologue Karen Sarkissian donne raison aux manifestants qui demandent des comptes à ceux qui les ont dirigés pendant des années durant, sans se soucier a priori de leur bien-être. A part les pays à régime dictatorial, les dirigeants sont habituellement conduits à rendre compte de leur politique. A cet égard, le Haut-Karabakh ne doit pas faire exception.

 

>>> L’incapacité des dirigeants artsakhiotes à prendre des mesures adéquates

Dans cet hebdomadaire, j’ai, à plusieurs reprises, souligné l’incompétence et la vanité des dirigeants artsakhiotes. Outre l’erreur fatale d’organiser un mini coup d’Etat fin août/septembre 2023, fournissant une aubaine à Ilham Aliev pour intervenir manu militari, de même que leur obéissance aveugle aux directives du Kremlin évitant l’engagement dans les pourparlers directs avec les autorités de Bakou (refus de se rendre à Sofia à l’instigation de Moscou, …), le gouvernement de Stepanakert a commis également d’autres erreurs de gestion interne, cette fois-ci par sa propre faute.

En effet, le président Araïk Haroutunian procédait à de très fréquents changements de responsables gouvernementaux, à commencer par les ministres (par exemple 3 ministres de l’Education en l’espace de 3 ou 4 mois, …). La nouvelle ministre de l’Education et de la Culture a inauguré officiellement le Centre de la Francophonie à Stepanakert, en septembre 2021,  quelques semaines plus tard sa remplaçante est venue visiter le centre. Le ministre d’État  Artak Beglarian, juriste confirmé, a été remplacé à l’automne 2022, au bout de quelques mois de gestion par le milliardaire Ruben Vardanian (à l’instigation de l’ancien président Bako Sahakian, dit-on),  puis ce dernier a été démis de ses fonctions trois mois plus tard et remplacé par l’ancien procureur général Gourguen Nercissian, lui aussi destitué peu de temps après et remplacé par un apparatchik du service de sécurité, Samuel Chahramanian, … Un nouveau ministre d’État, en la personne du frère du président Araïk Haroutunian, démissionnaire, a été nommé quelques semaine après. Tout ce va-et-vient a perturbé sérieusement, voire paralysé le bon fonctionnement des services d’Etat. Les questions d’approvisionnement ou les mesures spécifiques pour faire face à des situations d’urgence, … ont été négligées.

 

>>> Il faut tourner la page du clan qui a dirigé le Haut-Karabakh pendant de longues années

Dans sa déclaration alambiquée du 19 octobre, le président choisi par 22 députés du parlement de Stepanakert, a laissé la foule en courroux sur sa faim. Dissolution des institutions d’État, pas dissolution, il a promis de tirer au clair ultérieurement tout ce qu’il a fait dans cette ténébreuse affaire de capitulation. En tout état de cause, cet apparatchik qui a offert le pays sur un plateau d’argent à l’agresseur azéri, qui a remis à l’ennemi tout l’armement des forces d’auto-défense, acheté avec l’argent des citoyens arméniens, etc. doit être traduit devant le tribunal. Il n’est pas apte à rester dans ses fonctions, a souligné devant les journalistes, Samuel Babayan, ancien commandant des forces d’auto-défense.

Il faut se débarrasser de la bande d’intrigants et de mafieux qui a régenté  des années durant le Haut-Karabakh.  Destituer Samuel Chahramanian et l’équipe qui l’entoure, son frère chef de cabinet, mais aussi Karen Sarkissian, ministre de l’Intérieur (proche de Robert Kotcharian), le chef de la Sûreté d’État et autres responsables est une nécessité de salubrité politique.

Il faut prendre des mesures préventives pour que certains Artsakhiotes manipulés et liés aux intérêts de la bande qui a gouverné 30 ans le pays ne soient pas instrumentalisés contre le gouvernement d’Erevan, au grand bénéfice de la “5e colonne” au service des intérêts moscovites. 

La diaspora et ses organisations caritatives, si elles sont sérieuses et soucieuses de la régularité des dépenses, comme l’a bien voulu affirmer Pierre Terzian, président du Fonds Hayastan de France (cf NH hebdo N° 367 du 5 août 2023), doivent doubler de vigilance dans l’utilisation des fonds affectés aux projets d’aide et de développement. Elle doit aider les jeunes générations à se former avec des méthodes modernes dans les universités occidentales.

*  *  *

En l’état actuel des choses, il est indispensable de créer un organisme chargé de toutes les affaires des Artsakhiotes. Sa partie purement diplomatique ou chargée de relations avec des gouvernements et institutions autres qu’arméniens doit comprendre des personnes compétentes et dévouées, notamment des professionnels au sein de la diaspora. 

Un aspect hautement important qui a été signalé par Edouard Antinian, commentateur politique et Aram Sarkissian, président du parti « La République », est de ne pas installer en Arménie même ce quasi gouverne-
ment en exil. Dans le cas contraire, Bakou n’hésitera pas à abonder auprès des pays étrangers qu’Erevan continue d’avoir des prétentions territoriales  et que cette posture constitue une menace contre l’intégrité de l’Azer-
baidjan. La proposition pertinente d’Aram Sarkissian pour le siège des activités de cet organe est Bruxelles, pour des raisons qu’on comprend aisément.