Tous les grands États et les acteurs régionaux qui jouent un rôle important dans le Caucase du Sud sont intéressés par le développement de ses voies de communication : la Russie, les États-Unis et l’UE, ainsi que l’Iran, la Turquie, l’Inde et la Chine, et chacun de ces entités a ses propres intérêts. Chacun a ses préférences par rapport à ses intérêts stratégiques propres et ses lignes rouges, comme l’ouverture des voies de communication régionale, objectif principal de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre, ainsi que le projet « Carrefour de la paix » du gouvernement arménien, qui bénéficie du soutien des États occidentaux.
La Géorgie et l’Azerbaïdjan disposent déjà de leur propre réseau de transport terrestre dans la région, construit depuis les années 2010, alors que les autorités arméniennes étaient occupées à l’époque à construire des « châteaux » et à prononcer des discours patriotiques, délaissant entièrement la défense de la sécurité nationale du pays à l’allié, au grand frère russe. La construction de l’autoroute Nord-Sud a été déclarée prioritaire, mais aucune mesure pratique n’a été prise dans cette direction et les allocations budgétaires pour ce projet ont été spoliées par les uns et les autres. Pourtant, l’autoroute Nord-Sud était aussi nécessaire que l’air et l’eau pour le pays. Reliant l’Iran à la Géorgie, établissant une route de la mer Caspienne à la mer Noire, cette autoroute aurait libéré le pays du blocus turco-azéri, et permis son développement économique.
Ce n’est qu’après le choc de la guerre des Quatre jours en 2016 que la construction Nord-Sud a commencé à prendre vie. Et pendant la révolution de velours, certaines opérations frauduleuses et des malversations ont été révélées. La guerre de 44 jours en Artsakh a donné un nouvel élan à la construction de l’autoroute Nord-Sud. Le projet gouvernemental « Carrefour de la paix », qui prévoyait non seulement la construction de la route Nord-Sud, mais également celle d’Est-Ouest, revêtait une importance stratégique pour l’Arménie.
Le « Carrefour de la paix » croise les intérêts de l’Occident et de l’Iran, de l’Inde et à moindre mesure ceux de la Russie et de l’Azerbaïdjan. L’Occident – notamment les États-Unis – s’intéresse au projet Est-Ouest, qui reliera l’Asie centrale à la Turquie et à la Méditerranée. Par contre, l’Iran et l’Inde sont particulièrement intéressés par le projet Nord-Sud, qui reliera ces deux États à la Géorgie et l’océan Indien à la mer Noire. Dans ce contexte, la Russie et l’Azerbaïdjan ne sont intéressés par cette route qu’à condition qu’elle soit contrôlée par la Russie, c’est-à-dire que l’Arménie n’exerce pas sa souveraineté territoriale sur le tronçon qu’ils appellent le « Corridor de Zanguezour ».
La voie Nord-Sud, en tant que voie de transit, n’est qu’une voie alternative pour l’Iran et la Georgie, car une autre route opérationnelle existe déjà, celle reliant l’Iran, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.
La construction de l’autoroute à grande vitesse, traversant l’Arménie, et répondant aux normes internationales, a encore besoin d’au moins cinq à six ans jusqu’à son achèvement. Celle-ci, a quand même son importance, notamment pour l’Iran. Elle libérera ce dernier de la dépendance totale de l’Azerbaïdjan, et des rapports conflictuels avec Aliev.
Récemment, les visites de hauts responsables du Département d’État américain à Erevan se sont multipliées de manière inhabituelle. O’Brien, le chef des relations européennes et eurasiennes, a très clairement souligné la nécessité de construire la route Est-Ouest passant par l’Arménie, respectant la souveraineté de ce dernier.
L’intérêt croissant des États-Unis, de la Russie, de l’Iran pour les voies de communication passant par l’Arménie accroît l’importance stratégique de celle-ci, à condition qu’elle puisse résister aux menaces et aux attaques azéries incitées par les Russes et les Turcs.
J. Tch.
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