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Droits de l’homme en Azerbaïdjan : le sort tragique des détenus arméniens, azéris et français

Le Centre européen pour le droit et la justice

(European Centre for Low & Justice – ECLJ)

 

Le Centre européen pour le droit et la justice (European Centre for Low & Justice – ECLJ) est une organisation internationale non gouvernementale qui se consacre à la promotion et à la protection des droits de l’homme en Europe et dans le monde. L’ECLJ bénéficie du statut consultatif spécial auprès des Nations unies/ECOSOC depuis 2007.

Dans son rapport de novembre 2024 sur la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, l’ECLJ dresse un constat accablant. Le rapport analyse, chapitre par chapitre, divers sujets : les modifications arbitraires de la Constitution, la répression contre l’opposition, le contrôle des élections, le nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh, la situation humanitaire des personnes déplacées, la préservation du patrimoine arménien, le droit au retour libre et sécurisé, la détention arbitraire des civils et des prisonniers de guerre arméniens, la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les prisons d’Azerbaïdjan, les prisonniers du Haut-Karabakh et prisonniers d’Arménie, les prisonniers politiques azerbaïdjanais, les représailles de l’Azerbaïdjan contre la France, le scandale de la COP29 en Azerbaïdjan et le silence de l’Union européenne, tenue par le gaz azéri.

Nous présentons ci-dessous essentiellement les chapitres relatifs aux prisonniers du Haut-Karabakh et d’Arménie, à la répression des journalistes azerbaïdjanais et aux persécutions des opposants au-delà des frontières, aux représailles contre la France et au scandale de la COP29.

 

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Prisonniers du Haut-Karabakh et prisonniers d’Arménie

Ruben Vardanian : un exemple emblématique des prisonniers du Haut-Karabakh

Lors de ses attaques contre les Arméniens du Haut-Karabakh en 2020 et 2023, l’Azerbaïdjan a enlevé un certain nombre de soldats, de civils et de dirigeants politiques arméniens. Parmi les 23 prisonniers, se trouvent différentes personnalités politiques associées à la République autonome d’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabakh), comme trois anciens présidents ; Araïk Haroutunian, Bako Sahakian et Arkady Ghoukassian, ainsi que d’anciens ministres, comme Ruben Vardanian (ministre d’État), David Babayan (Affaires étrangères), Levon Mnatsakanian (Défense) et Davit Manukian (Défense). En arrêtant l’élite dirigeante de la République d’Artsakh, l’Azerbaïdjan a laissé la population du territoire sans dirigeants et dans un désarroi total face à son avancée. Cette situation a aggravé la crise humanitaire dans la région, laissant la population arménienne vulnérable et sans protection politique.

L’arrestation de Ruben Vardanian, ancien ministre d’État d’Artsakh et philanthrope arménien, nominé pour le prix Nobel de la paix 2024 pour ses activités caritatives et humanitaires, est représentative de la répression dirigée contre les figures arméniennes après la reprise du Haut- Karabakh par l’Azerbaïdjan. Vardanian, capturé alors qu’il tentait de fuir vers l’Arménie en septembre 2023, a été placé en détention provisoire. Le 14 juin 2024, son avocat a déposé un appel urgent auprès de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la torture, alléguant des actes de torture et des traitements dégradants tels que l’interdiction de dormir, de boire de l’eau, ou de s’asseoir. Ce cas illustre l’usage de la torture comme outil de répression contre les prisonniers arméniens, qui font face à un environnement marqué par la haine et le racisme anti- arménien.

 

Prisonniers d’Arménie

Un rapport ad hoc de 2021 du Défenseur des droits de l’homme de la République d’Arménie a mis en lumière les atrocités subies par les prisonniers de guerre arméniens. Ils sont régulièrement battus, humiliés et privés de soins médicaux adéquats. Les conditions de détention sont préoccupantes :
ils « étaient maintenus menottés et n’étaient pas autorisés à se coucher ou à se lever, et étaient forcés de rester debout ou assis pendant des jours entiers. Pendant ce temps, il y avait des lits vides à côté d’eux ». La séparation entre les prisonniers civils et militaires est souvent ignorée, ce qui constitue une autre violation du droit international.

Plusieurs arrêts de la CEDH ont condamné l’Azerbaïdjan pour son traitement des prisonniers arméniens civils. Il arrive que des civils arméniens, résidant à la frontière avec l’Azerbaïdjan, la traversent par inadvertance, en cherchant du bois de chauffage ou des champignons et en perdant leur orientation dans l’obscurité ou le brouillard. Ils se font alors arrêter par les forces azéries, et accuser de sabotage ou de terrorisme à travers des communiqués de presse. Aucune enquête pénale n’est diligentée, ni concernant les conditions de l’arrestation, ni celles de la détention. Certains décèdent de leur torture, en prison ou après leur libération, s’ils ne souffrent pas à vie d’un traumatisme mental et physique. Un prisonnier arménien a été décapité et son corps a été restitué dans un état de décomposition avancé, tandis qu’un autre a été retrouvé mort, pendu dans sa cellule.

Dans cette dernière affaire, la Cour a estimé que « M. Saribekian – qui a été placé en détention en bonne santé et est décédé alors qu’il était sous le contrôle exclusif des autorités azerbaïdjanaises – est décédé à la suite d’actes de violence perpétrés par d’autres personnes, notamment par le personnel du département de la police militaire de Bakou où il était détenu. Compte tenu des blessures subies par M. Saribekian avant son décès, telles que décrites dans le rapport médico-légal arménien, étayées par des preuves photographiques, et des informations mises à la disposition de la Cour concernant la configuration de sa cellule, la version selon laquelle il se serait pendu ne saurait être acceptée » et que « la responsabilité de l’État défendeur pour ce décès est engagée. »

Ces exemples montrent une tendance récurrente de la part des autorités azerbaïdjanaises à utiliser la détention des prisonniers de guerre et des civils arméniens comme un outil de répression et d’intimidation, en violation manifeste des conventions internationales.

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Répression des journalistes

Le chapitre du rapport consacré aux opposants azerbaïdjanais contient des éléments saisissants, dont nous présentons l’extrait suivant :

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L’Azerbaïdjan a également une longue tradition de répression des journalistes. Selon la Plateforme pour la sécurité des journalistes du Conseil d’Europe, le pays détient actuellement au moins 23 journalistes, souvent emprisonnés pour avoir dénoncé la corruption ou les abus du gouvernement.

 

Persécutions au-delà des frontières

En outre, les persécutions à l’encontre des dissidents azerbaïdjanais s’étendent souvent au-delà des frontières, révélant l’ampleur du contrôle et de l’intimidation exercés par le régime d’Aliev. Le cas de Mahammad Mirzali, un blogueur azerbaïdjanais réfugié en France, est particulièrement représentatif de cette répression extraterritoriale. Ce dernier, exilé depuis plusieurs années, a été la cible de cinq attaques violentes, allant des agressions physiques aux tentatives d’assassinat orchestrées par des acteurs liés, directement ou indirectement, au régime azerbaïdjanais. En mars 2021, par exemple, Mirzali a été poignardé à 16 reprises à Nantes, dans une attaque qui, selon lui, visait à le réduire au silence. Malgré ces tentatives, il continue de critiquer ouvertement le président Ilham Aliev et son gouvernement, à travers son blog et ses réseaux sociaux. Un autre réfugié politique azéri, Vidadi Isgandarli, a connu un sort bien pire, puisqu’il a été attaqué dans son appartement à Mulhouse, en France, le 29 septembre 2024, et a succombé à ses blessures à l’hôpital deux jours plus tard. Vidadi Isgandarli avait demandé une protection internationale auprès de la France en 2015 après avoir fait l’objet de persécutions dans son pays natal.

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Représailles de l’Azerbaïdjan contre la France

Les citoyens étrangers hors arméniens ne sont pas à l’abri des abus du système judiciaire azerbaïdjanais. Trois ressortissants français sont actuellement arbitrairement détenus à Bakou, où le président français Emmanuel Macron et la ministre française Agnès Pannier-Runacher ont renoncé à se rendre à la COP29 sur fond de tensions diplomatiques à leur paroxysme.

En septembre 2024, le citoyen français Théo Clerc a été condamné à trois ans de prison pour avoir réalisé un graffiti dans le métro de Bakou. Cette sentence disproportionnée a été dénoncée par le gouvernement français comme étant arbitraire et discriminatoire, d’autant plus que ses coaccusés étrangers, de nationalités australienne et néo-zélandaise, n’ont reçu que des amendessymboliques. Le gouvernement français a exprimé de vives préoccupations concernant les conditions de détention de Clerc, soulignant que ce dernier n’a pas bénéficié d’un procès équitable, et a appelé à plusieurs reprises à sa libération immédiate.

De plus, Anass Derraz, directeur Moyen-Orient de l’industriel de l’eau Saur, a été arrêté en juillet 2024 alors qu’il effectuait un déplacement à Bakou. Depuis, cet homme que certains médias présentent comme ancien associé d’Alexandre Benalla est en résidence surveillée sur place. Le troisième ressortissant détenu par les autorités azéries est lui, accusé d’ « espionnage ».
Le 4 décembre 2023, Martin Ryan, homme d’affaires français résidant à Bakou, a été arrêté par les services de sécurité de l’Azerbaïdjan (DTX). L’ambassade azérie à Paris a confirmé qu’il est « soupçonné d’avoir commis des actes d’espionnage », sur fond d’échanges téléphonique avec des agents de la DGSE. Trois semaines après l’interpellation de Martin Ryan, Bakou annonçait l’expulsion de deux diplomates français.

Les autorités azerbaïdjanaises utilisent le système judiciaire comme levier diplomatique contre la France, lui reprochant son soutien à l’Arménie. Ce soutien, critiqué par Bakou dans le contexte du conflit du Haut-Karabakh, a tendu les relations diplomatiques. Certains observateurs estiment que la condamnation de Théo Clerc pourrait être perçue comme un acte de représailles envers la France. En outre, depuis la création, en juillet 2023, d’un Groupe d’initiative de Bakou (GIB), l’Azerbaïdjan cible ouvertement les territoires ultramarins français, les considérant comme toujours sous « la férule coloniale » de la France et soutenant leur indépendance.

Par ailleurs, le correspondant spécial du journal La Croix, Thomas Guichard, s’est vu refuser l’entrée dans le pays à son arrivée à l’aéroport de Bakou en janvier 2024 sous prétexte d’un « problème technique lié à la puce de son passeport », selon les explications fournies par Thomas Hofnung, responsable de la rubrique internationale du journal. Cependant, M. Hofnung a estimé que ce motif semblait « totalement fallacieux », soulignant que le journaliste avait bien obtenu un visa et que ses documents étaient en règle.

La répétition de ces affaires a conduit le quai d’Orsay, début septembre 2024, à déconseiller à ses ressortissants de se rendre dans le pays, « sauf raison impérative », en raison d’un « risque d’arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable ». Les relations entre l’Azerbaïdjan et la France sont pratiquement rompues, et il est probable que l’Azerbaïdjan continue d’agir de cette manière, au moins jusqu’à ce que la France cesse de soutenir l’Arménie. Un pays comme l’Azerbaïdjan, membre d’organisations internationales telles que le Conseil de l’Europe, qui agit de cette manière à l’égard de ressortissants étrangers et de journalistes en tentant de censurer et de limiter toute critique contre la gestion du gouvernement d’Aliev, devrait inquiéter la communauté internationale.

Le scandale de la COP29 en Azerbaïdjan et le silence de l’Union européenne, tenue par le gaz azéri

L’ECLJ condamne l’organisation de la COP29 en Azerbaïdjan. En effet, choisir un pays avec un bilan dramatique et alarmant en matière de droits de l’homme et une dépendance aux énergies fossiles comme hôte de la conférence mondiale sur le climat est en contradiction avec les valeurs fondamentales que cette rencontre est censée promouvoir. La liberté d’expression, pilier essentiel des COP, est gravement restreinte en Azerbaïdjan. Les militants des droits de l’homme et écologistes locaux subissent l’intensification des représailles ou des restrictions pour leurs activités. Cela était d’autant plus prévisible que des répressions à l’encontre de la société civile avaient déjà eu lieu à l’occasion d’autres événements internationaux de premier plan organisés par l’Azerbaïdjan, dont l’Eurovision en 2012 et les Jeux européens en 2015. Enfin, se rendre à la COP29 en Azerbaïdjan, c’est passer sous silence sa responsabilité du nettoyage ethnique de 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh, et les tensions territoriales encore vives avec l’Arménie.

Le chancelier allemand Olaf Scholz, le président français Emmanuel Macron, le président russe Vladimir Poutine, le premier ministre canadien Justin Trudeau et le président des États-Unis Joe Biden font partie des leaders qui ont annulé leur voyage dans la capitale azerbaïdjanaise. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ne participe pas au sommet, sans pour autant condamner l’Azerbaïdjan, qu’elle avait qualifié de « partenaire fiable » en juillet 2022, dans le cadre d’un accord avec l’Azerbaïdjan visant à doubler « en quelques années » les importations européennes de gaz. Elle est représentée par le président du Conseil européen, Charles Michel, qui a, quant à lui, « félicité le Président Aliev pour l’organisation de la COP29 » lors d’une poignée de main chaleureuse.

En fermant les yeux, l’Union européenne donne priorité aux intérêts énergétiques et géopolitiques au détriment de la défense des droits fondamentaux, alors même qu’ils font partie des « Priorités de partenariat » avec l’Azerbaïdjan, dans le cadre du Partenariat oriental. Cette complicité tacite compromet les valeurs de l’UE et renforce l’impunité des abus en Azerbaïdjan. Dans un tel contexte, le Parlement européen a eu raison d’affirmer que « les violations des droits de l’homme actuellement perpétrées par l’Azerbaïdjan sont incompatibles avec son statut de pays hôte de la COP29 ».

Le Parlement européen demande la suspension de l’accord gazier de 2022, ainsi que de mettre un terme à la dépendance de l’UE à l’égard des exportations de gaz en provenance d’Azerbaïdjan. Il demande également des sanctions contre les responsables azerbaïdjanais qui ont commis de graves violations des droits de l’homme. Enfin, il « insiste pour que tout futur accord de partenariat entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan soit subordonné à la libération de tous les prisonniers politiques, à la mise en œuvre de réformes juridiques et à l’amélioration globale de la situation du pays en matière de droits de l’homme, ainsi qu’à la démonstration par l’Azerbaïdjan de sa volonté réelle d’entamer les négociations en vue d’ un accord de paix avec l’Arménie et de respecter les droits des Arméniens du Haut-Karabakh ».

En réponse, Ilham Aliev a ouvert la COP29 par une critique cinglante des pays occidentaux, les accusant d’acheter du gaz azéri tout en critiquant l’économie du pays, dépendante des combustibles fossiles. Ilham Aliev a aussi attaqué le Conseil de l’Europe qu’il a menacé de quitter, après avoir été épinglé pour des atteintes aux libertés fondamentales et suspendu de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en janvier 2024. Selon le président azéri, « le Parlement européen et le Conseil de l’Europe, ces deux institutions qui sont devenues les symboles de la corruption politique, partagent la responsabilité avec le gouvernement du président Macron pour le meurtre de gens innocents », faisant référence aux 13 personnes tuées lors des manifestations kanaks en Nouvelle-Calédonie. En termes de corruption, c’est pourtant bien l’Azerbaïdjan qui est tristement connu pour sa diplomatie du caviar qui lui a permis d’acheter des soutiens politiques dans les différentes institutions européennes.

 

Les recommandations de l’ECLJ

Demander la libération immédiate de tous les prisonniers arméniens, y compris les prisonniers de guerre et les responsables politiques du Haut-Karabakh.

Demander l’amélioration des conditions de détention dans les prisons azerbaïdjanaises, conformément aux normes internationales.

Procurer une transparence internationale et un appui humanitaire : Permettre un accès illimité aux observateurs internationaux, notamment aux représentants du Comité contre la torture de l’ONU, du Comité anti-torture du Conseil de l’Europe, ou du Comité international de la Croix-Rouge.

Demander l’application des décisions et recommandations de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil de l’Europe, et des différents organes de l’ONU.

Condamner la tenue de la COP29 en Azerbaïdjan en raison de la flagrante et constante violation des droits humains dans ce pays.

Sanctions ciblées : Imposer des sanctions contre les responsables de la détention des prisonniers lorsque des violations des droits de l’homme sont avérées. ■