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Entretien avec Daniel Kurkdjian, Président du Conseil Français-Arméniens, sur les relations Diaspora-Arménie

Du 17 au 20 septembre 2024, le Bureau du Haut-Commissaire aux affaires de la diaspora accueillera le deuxième Sommet arménien mondial à Erevan. Les défis et problèmes actuels de l’Arménie et de la diaspora, les opportunités de développement durable, les questions les plus importantes du présent et de l’avenir seront discutés sur une plate-forme unifiée dans le cadre de différents formats : de la sécurité nationale à la haute technologie, en passant par l’économie, la science, le rapatriement et la vitalité des communautés de la diaspora. Le Sommet accueillera environ 1 000 représentants de la diaspora et de l’Arménie.

Ci-joint un entretien avec M. Daniel Kurkdjian, le Président de Conseil Français-Arménien, au sujet des défis que confronte l’Arménie, en interne et sur le plan international, ainsi que les relations bilatérales Arménie-Diaspora, Arménie – communauté arménienne en France…

*  *  *

« Nor Haratch » – Bientôt sera tenu le Sommet mondial arménien, quelles sont vos attentes ? 

Daniel Kurkdjian – Il s’agit d’une très bonne initiative qui démontre que l’Arménie cherche à renforcer ses liens avec la Diaspora. 

On pourrait formuler deux recommandations pour en améliorer l’efficacité et la consistance. 

Tout d’abord il serait utile de publier les actes du Sommet incluant une feuille de route qui pourrait ainsi être suivie d’un Sommet à l’autre.

Ensuite pour les futurs Sommets il conviendrait de davantage impliquer la diaspora dans la préparation des thématiques. A titre d’exemple lors du Sommet de 2022, l’idée d’un Congrès Mondial avait été lancée. Il ne faudrait pas que cette idée soit perdue de vue.

On peut rappeler que la délégation française était la plus nombreuse lors du Sommet de 2022. On en avait profité pour organiser une réunion sur place de façon inopinée.

Avec une délégation dépassant la centaine de participants il est prévu de réitérer cette expérience. Des visio-conférences ont d’ailleurs été organisées afin de préparer les sujets de discussions et d’échange avec le Haut-Commissaire lors d’une réunion spécifique consacrée à la délégation française. 

 

« NH » – Le Premier ministre Pachinian a mis en avant le concept de l’Arménie réelle contre celui de l’Arménie historique, la défense des valeurs de l’État face aux valeurs de la nation. Partagez-vous la vision du Premier ministre ? Votre vision est-elle en accord avec celle du gouvernement arménien ?

D.K. – Il ne peut y avoir d’Arménie Historique que parce qu’à un moment de son passé il y a eu une Arménie réelle, c’est-à-dire une Arménie dont les dirigeants pouvaient imprimer librement leur politique.

Depuis l’indépendance de 1991, cette possibilité a été à nouveau conquise par l’Arménie. L’Arménie et ses dirigeants se situent aujourd’hui au cœur d’un maelström d’une realpolitik dont elle est le plus petit acteur en taille et en ressources. Les actions entreprises par le gouvernement en place sont contraintes par les exigences de ses voisins. Après 4 années de guerre effective ou larvée qui a abouti à la perte de l’Artsakh, on peut admettre que l’objectif principal soit d’assurer la paix à sa population en cherchant à constituer un corps de nouvelles alliances. L’Histoire, et pas uniquement celle de l’Arménie, n’est pas linéaire ; elle regorge d’exemples où pour parvenir à ses fins il a fallu prendre des décisions qui ont pu être considérées sur le coup par certains comme étant un pas en arrière. 

 

« NH » – À la veille du Sommet mondial arménien, quelle appréciation portez-vous sur la situation politique intérieure de l’Arménie ?

D.K. – Il y a 3 façons de répondre à cette question :

• le constat

• le commentaire critique

• l’action

Le Conseil Français Arméniens, comme tout un chacun, est en mesure de faire le constat, l’analyse, mais s’interdit tout commentaire critique et encore moins l’action dans la politique intérieure arménienne.

Nous ne voulons pas rentrer dans la catégorie des donneurs de leçons bien installés dans leur confort occidental.

Dès lors que l’Arménie s’est dotée d’un gouvernement démocratiquement  élu et réélu, il est de notre devoir  en Diaspora d’être solidaire avec elle, notamment lorsqu’elle doit faire faire à l’adversité de la plupart de ses voisins .

La restitution des 4 Villages à l’Azerbaïdjan est évidemment très douloureuse, et ce d’autant plus qu’il n’est pas possible d’imposer la réciproque pour les quelques territoires arméniens inclus aujourd’hui à l’intérieur  des frontières azerbaïdjanaises..

Le constat est certes amer, mais il est évident que l’Arménie n’a pas les moyens militaires pour résister aux exigences de l’Azerbaïdjan. Il n’est pas anormal que l’opposition politique au premier ministre exprime son mécontentement, mais à vrai dire personne en Arménie ne peut être satisfait de cette situation. 

Il est malgré tout dommage que cette opposition ait été portée par un ecclésiastique, l’Église ayant vocation à réunir plutôt qu’à diviser.

Il est vraisemblable qu’une meilleure communication tant nationalement qu’en direction de la diaspora aiderait à mieux convaincre du prix à payer pour garantir la paix, ce qui est indubitablement l’objectif du gouvernement actuel.

A notre demande, le Haut-Commissaire à la diaspora a organisé une visio-conférence à destination de représentants de la diaspora française pour expliquer la position du gouvernement et a accepté le principe de renouveler l’expérience toutes les 6 semaines.

 

« NH » – Que pensez-vous sur la situation économique de l’Arménie ?

D.K. – Les données économiques sont plutôt encourageantes, grâce à la conjugaison d’évènements aussi différents que l’émigration récente des populations arméniennes du moyen Orient, l’installation de jeunes entrepreneurs russes et le développement des relations d’affaires avec l’étranger : Asie centrale, pays du Golfe, Etats-Unis, Europe, et bien sûr la France grâce notamment à l’action de la CCIFA.  

En 2022 déjà le revenu par tête en Arménie (5970$) était supérieur à celui de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan ! Il en était de même de la croissance du PIB (12,6%) et l’inflation (8,6%) y était moindre que dans ces deux autres pays de la région.

 

« NH » – Les rapports CCAF-Haut-Commissariat pour la Diaspora n’étaient pas bons, ils se sont détériorés lors de la visite du Premier ministre Nikol Pachinian à l’occasion de la panthéonisation de Missak Manouchian. Quel regard portez-vous sur l’évolution du CCAF ?

D.K. – Il a fallu 3 ans pour faire voter la réforme des statuts. Si cela a été aussi long c’est qu’il a fallu gérer les questions de poids électoral et d’influence des partis politiques arméniens issus de l’empire ottoman, car un siècle après l’exode de la plupart des représentants politiques de la communauté arménienne de Turquie c’est toujours autour d’eux que s’organise la vie de la diaspora.

Cette structuration politique perturbe le bon fonctionnement de la Diaspora, notamment en France, avec un contrôle antidémocratique du parti dachnak qui préempte toutes les positions clés de la diaspora depuis la tête du CCAF jusqu’aux média.

Mais la question de fond, à savoir quelle vision, quel projet n’a pas encore été traitée. Or c’est de cela dont la diaspora a le plus besoin, à savoir quelles actions nationales en matière culturelle, éducative, économique de Lobbying, de communication-media etc… et quels échanges et coopérations avec l’Arménie.

 

« NH » – Justement, parlons de la question du fond ; quel est votre vision de l’organisation de la diaspora arménienne ?

D.K. – Oui c’est tout à fait exact, et c’est d’ailleurs la ligne que nous continuons à suivre. Depuis sa création, le Conseil Français Arméniens a organisé plusieurs réunions et conférences publiques dans la plupart des villes de France où est implantée la diaspora : Paris, Lyon, Marseille, Nice, Grenoble, Toulouse, Vienne, Valence.

Nous avons abordé des thèmes d’actualité : 

• l’organisation et le rôle de la diaspora avec Alain Navarra, 

• la situation sécuritaire de l’Arménie avec Ardavan Amir Aslani et Alexandre del Valle, 

• les relations diaspora-Arménie avec Zareh Sinanyan le Haut-Commissaire à la Diaspora,    

• « 100 ans d’apartheid » présenté par son auteur Taner Akçam.

• La panthéonisation de Missak Manouchian avec Jean-Pierre Sakoun, le président du comité de panthéonisation.

Dans le domaine économique, le Conseil Français Arméniens travaille en étroite collaboration avec la Chambre de Commerce Franco-Arménienne, la CCIFA, qui a organisé une visite d’échanges avec une quarantaine d’entreprises françaises en Arménie en avril dernier.  

Dans le domaine culturel, nous travaillons en étroite collaboration avec le Musée Arménien de France à identifier une solution pour réinstaller ses collections dans un espace digne de sa qualité exceptionnelle.  

Comme vous pouvez le constater, notre objectif reste la promotion de l’Arménité en France et le soutien à l’Arménie.

 

« NH » – Le financement des institutions de la diaspora est-il adapté aux circonstances ?

D.K. – La principale faiblesse des organisations diasporiques à vocation nationale, est l’insuffisance de leur financement. 

Or qu’il s’agisse de l’organisation de réunions publiques et de conférences, de l’animation de groupes de réflexion, de l’animation d’un site web, etc… tout ce qui contribue à réaliser et diffuser l’objet social des associations nécessite des moyens financiers qui sans être colossaux, dépassent ce dont elles disposent à ce jour.

La diaspora possède l’outil de levée des fonds, à savoir le Fonds Arménien de France. Il ne devrait pas être compliqué de développer un argumentaire pour inciter les contributeurs à accroitre leurs dons afin de financier ces associations selon des modalités transparentes. Cela ne devrait en aucun cas venir pénaliser les efforts faits en direction de l’Arménie, et ce d’autant moins que le rétablissement de ses finances publiques rend moins crucial le recours aux aides de la diaspora.    

 

« NH » – La perspective d’une nouvelle majorité gouvernementale en France est-elle de nature à modifier les relations avec l’Arménie ?

D.K. – Les Affaires Étrangères et la Défense relèvent du domaine régalien. Par voie de conséquence les liens d’amitié et la politique pro-arménienne de la France ne devraient pas être bouleversés, pas plus que son soutien militaire sans qu’il faille exclure des ajustements à la marge. Si elles ont toujours été bonnes, on doit reconnaitre que les relations entre la France et l’Arménie se sont récemment améliorées et renforcées par des mesures concrètes telles des contrats d’assistance militaire et de fourniture d’armement. Entre deux pays dont les liens historiques sont fondés sur la proximité des valeurs, on peut raisonnablement tabler sur la poursuite du renforcement des relations. La diaspora devait d’ailleurs mieux s’organiser pour déployer un plan coordonné pour porter au plus haut niveau les bonnes relations avec l’Arménie, car tant la Turquie que l’Azerbaïdjan ont depuis plus années copieusement financé une politique active de lobbying. 

 

« NH » – Quel regard portez-vous sur les relations de l’Arménie avec la Russie et le rapprochement en cours avec l’Union Européenne et les Etats-Unis ?

D.K. – Une diplomatie astucieuse repose sur un équilibre avec tous ses voisins et ses partenaires. C’est bien ce que pratique la France mais aussi la Turquie, Israël etc…

Et donc le renforcement des liens avec la France, l’Europe et les Etats-Unis ne signifie pas qu’il faille claquer la porte à la  Russie, même si cette dernière n’a pas respecté ses engagements contractuels de soutien militaire à l’Arménie lorsque ses frontières ont été violées par l’Azerbaïdjan. 

Et d’ailleurs les pays environnants et les partenaires de l’Arménie ont des points de vue divergents sur nombre de sujets, ce qui ne les empêchent pas de gérer les risques et les oppositions afin d’assurer la paix à leurs populations. La Turquie entretient des relations avec l’Ukraine, sans que cela menace celles qu’elle a avec la Russie. Ces dernières ne sont pas davantage un obstacle à son maintien au sein de l’Otan. De même, les relations qu’entretient l’Azerbaïdjan avec l’Iran n’ont pas été bouleversées par l’installation de bases israéliennes sur son territoire.

 

« NH » – Et les relations avec ses voisins proches et Israël suite à la reconnaissance de l’État Palestinien par l’Arménie ?

D.K. – Les relations avec l’État d’Israël se sont compliquées avec la guerre des 44 jours, à savoir lorsque les soldats arméniens sont tombés sous les drones israéliens livrés à l’Azerbaïdjan.

Les intérêts stratégiques de l’Arménie et d’Israël divergent notamment à l’égard de l’Iran, mais aussi de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier  les difficultés que rencontre la communauté arménienne de Jérusalem avec les autorités locales qui peuvent la pousser  à privilégier une certaine proximité avec les palestiniens. Une fois passée la crise actuelle, il faudra certainement rebâtir une diplomatie apaisée entre l’Arménie et Israël sans laisser de côté la question historique de la reconnaissance du génocide par le Knesset.

Entretien réalisé par

Jiraïr Tcholakian