FRA : du 24e au 35e Congrès, rien n’a changé…

Par Robert AYDABIRIAN

 

Délégué de la région France au 24e congrès de la Fédération Révolutionnaire Arménienne (août 1988), j’y ai observé avec effroi, lors des trois premiers jours, la danse de deux dirigeants (Hrayr Maroukhian et Edik Hovanissian) autour de la machine à fax (pas d’internet à l’époque). En trois jours, ils expédièrent vers les officines soviétiques plus d’une dizaine de messages d’allégeance à l’URSS de Gorbatchev. Le contenu de ces messages préparés par le Bureau mondial ne fut jamais vraiment débattu par les délégués. Ceux-ci, triés sur le volet lors des congrès régionaux, votaient à main levée, dans la foulée du camarade Hrayr, sans autres formes de procès.

C’est à l’issue de ces trois journées, à cause du reniement aux principes de base et à la condamnation simultanée du mouvement populaire en cours dans les rues d’Erevan, que le Parti entama sa période de déclin. “L’élimination” par exclusion de ses militants et intellectuels les plus lucides fut entamée, en commençant par ceux qui craignaient l’entrisme des services soviétiques dans la direction de la FRA. Sur le fond, la pensée officielle s’opposait au triptyque de “l’Arménie libre, indépendante et réunifiée”, en l’inversant. L’indépendance passait au troisième plan et la réunification (des terres ancestrales) au premier.

37 ans après, à la veille de l’ouverture du 35e congrès, prévu à Erevan, on réalise que rien ne change vraiment, ni sur la ligne pro-russe, malgré les réalités révélées en 2020, ni sur les procédures anti-démocratiques des Congrès. Les résolutions précédant les débats sont préparées voire publiées avant l’ouverture. Le 35e, annoncé pour février 2025, saura-t-il innover, s’émanciper ? On peut en douter, tout en souhaitant qu’il ait le courage de préciser que des relations normales avec la Russie ne pourront s’établir que si celle-ci accepte de reconnaître sa responsabilité dans la guerre des 44 jours au Karabagh. Et que c’est son inaction flagrante lors des 10 mois de blocus de 2023 qui a entrainé l’exode totale de sa population.

 

Principaux extraits de l’annonce du Buro du 18/1/2025

“Dans le contexte des développements géopolitiques actuels, les menaces sécuritaires qui pèsent sur l’Arménie deviennent de plus en plus immédiates et extrêmement dangereuses au quotidien.

Les déclarations et actions anti-arméniennes, militaristes et expansionnistes des dirigeants azerbaïdjanais prennent une tournure de plus en plus effrénée et deviennent des ultimatums…Les autorités arméniennes, à leur tour, en effrayant leur propre peuple avec la possibilité d’une guerre imminente – et de l’inévitable défaite de cette guerre – se sont lancées dans la justification et la satisfaction des exigences infinies de l’axe turco-azerbaïdjanais…

Il est urgent de changer radicalement la politique du gouvernement dans les domaines prioritaires suivants :

  1. a) Rassembler toutes les entités arméniennes autour de l’agenda de la préservation de l’identité arménienne et de l’État arménien…
  2. b) Afin d’assurer la participation nationale à la défense de la patrie, des réformes urgentes des forces armées et de l’appareil de défense et de sécurité sont nécessaires…
  3. c) Adopter une politique étrangère avec une approche qualitativement différente, visant à la formation d’une nouvelle structure de sécurité et à la restauration des positions diplomatiques. Cela implique l’établissement de relations stratégiques avec des pays et des alliances poursuivant des objectifs géopolitiques communs, dont les intérêts directs sont l’existence d’un État arménien viable.”

Et de conclure “qu’avec cette approche, le renforcement des relations dalliance stratégique avec la Russie, la conclusion dune alliance militaro-politique avec lIran, le développement de relations complémentaires avec dautres centres de pouvoir en dehors de la région et de lOccident doivent devenir des priorités.

 

Premières analyses et réactions

Ce communiqué qui devrait en principe être validé par le Congrès mondial, est inquiétant : il appelle au ralliement à l’axe Moscou-Téhéran, à reprendre une posture anti-occidentale inopportune, encourage indirectement à la guerre civile, et pousse à l’émigration.

Cette posture peu diplomatique est une sorte d’imposture.

Elle se contredit elle-même car elle appelle à se soumettre à la fois au Kremlin et à renforcer l’armée dite nationale. Mais la Russie ne défendra jamais Erevan contre Bakou. Elle aspire à ouvrir le couloir est-ouest du Zanguezour en le plaçant, dans un premier temps, sous le contrôle des forces russes. Tout comme de construire un gazoduc nord-sud vers l’Iran via l’Azerbaïdjan.

  • Aram Sarkissian président du parti “République”, parti pro-occidental, devenu un temps premier ministre de Kotcharian, après l’assassinat de son frère Vazguen au Parlement en octobre 1999, a réagi ainsi : “Il y a bien sûr des inquiétudes concernant le document signé entre la Russie et l’Iran, mais il ne contient pas de composante d’assistance militaire mutuelle, et l’Iran ne va pas se battre en Ukraine contre l’Occident, pas plus que la Russie ne va se battre contre Israël. L’accord Russie-Iran n’aura aucun impact sur la région, j’en suis sûr. L’Occident a des intérêts très sérieux dans la région, et le corridor central qui passera par la route Azerbaïdjan-Arménie-Turquie, contournera la Russie et l’Iran. La plus grande menace pour l’Arménie est la Russie, et toute attente à son égard condamnerait l’Arménie au sort du Haut-Karabakh. Bako Sahakian, Arkady Ghoukassian et Ruben Vardanian ont choisi de s’appuyer sur la Russie, et le gouvernement russe les a emprisonnés et remis à l’Azerbaïdjan.”
  • Un militant dachnak modéré avertit : “Avec cette stratégie la FRA ne se donne pas les chances d’être une alternative crédible au régime actuel. L’option de l’alliance militaire avec la Russie et l’Iran n’est plus une garantie de sécurité, comme on l’a vu en Syrie et au Haut Karabagh. L’époque actuelle nécessite de la finesse et de l’agilité, ce n’est pas du tout ce qui est proposé.
  • Un de ses amis renchérit : “Comment peut-on être crédible quand on écrit qu’il faut renforcer les liens avec la Russie, sceller un pacte militaire avec l’Iran et continuer à coopérer stratégiquement avec l’Occident. C’est soit Moscou-Teheran, soit l’Occident mais les deux en même temps. C’est une supercherie et encore une fois une erreur grave. Son 35e congrès n’est pas encore commencé que cette déclaration vient de le clôturer.
  • Un militant d’organisation franco-arménienne d’entre-aide efficiente en Arménie “regrette l’absence d’autocritique (corruption, état de l’armée jusque l’arrivée de Nikol Pachinian…….). Charge contre le gouvernement actuel. Alliance avec les dictatures et des losers.

Motion de synthèse souhaitable

Comme on le voit, les circonstances exigent, plus que jamais, l’ouverture d’un grand débat entre Arméniens. Au sein de la FRA d’abord pour rétablir la confiance, et les échanges entre celle-ci et les forces actives de la diaspora et d’Arménie. En se concertant sur le Politique, nous arriverons, peut-être, à mieux organiser nos institutions, stimuler l’indispensable esprit citoyen et accroître qualité du militantisme comme le réclamait l’historienne et militante, Anahide Ter Minassian.

La question arménienne est complexe et mouvante. Il revient aux pouvoirs exécutifs et législatifs actuels et futurs de baliser finement les trajectoires. Partir de données et de scénarios multiples permettrait de contourner les ouragans et les tempêtes.

Et comme le navigateur solitaire du Vendée Globe de traverser le monde, aller plus vite, tout en ménageant son bateau et en réparant sa coque et son mât sans ralentir la cadence. Faire en sorte que notre embarcation “l’État arménien souverain” soit repensé depuis sa conception jusqu’à son pilotage opérationnel.

Robert AYDABIRIAN