Un exemple à suivre
J’avais déjeuné avec Christian Ter-Stepanian dans un restaurant en centre-ville à Erevan vers la fin du mois d’octobre dernier et nous avions convenu de nous revoir début novembre à Paris. Le rendez-vous n’eut pas lieu, car j’ai, à ma grande surprise, appris par une amie la nouvelle de son décès. Un sentiment de profond tristesse s’ensuivit.
Sa disparition est intervenue au moment où Nikol Pachinian se rendait à la conférence sur la démocratie organisée à Paris par le président Macron. D’ailleurs, le président de la République a présenté ses condoléances au Premier ministre arménien (information diffusée par certains médias).
Une messe a été dite le 12 novembre à l’église arménienne de Paris en présence de la famille Ter-Stepanian. L’église était comble. A propos! l’administration de l’église aurait pu faire un effort pour prévoir une sonorisation minimale correcte surtout que de nombreux diplomates étrangers, l’ambassadrice d’Arménie qui a prononcé un discours digne, Ara Toranian, co-président du CCAF, et plusieurs personnalités avaient fait le déplacement. La fille du défunt a, pour sa part, tenu des propos émouvants.
Un militant actif dévoué à la cause arménienne
Né en 1952, ce fils arménien de France a milité sincèrement dès son jeune âge tant dans la vie politique française que pour la cause arménienne. Avec un groupe d’amis, il est à l’origine de la création, au début des années 80, d’une association, « Solidarité franco-arménienne », qui avait comme objectif de faire connaître aux Français et plus largement aux publics européens la situation du peuple arménien et le préjudice historique qu’il avait subi du fait de la politique génocidaire des Jeunes Turcs en 1915. L’action militante continue de ce groupe eut son effet bénéfique sur l’opinion publique et dans des circonstances particulières de la décennie 80, le président Mitterrand reconnut publiquement le génocide des Arméniens et par la suite le Parlement européen, à son tour un peu plus tard, suivit l’exemple français.
Christian Ter-Stepanian a joué un rôle important dans la gestion de cette victoire politique et morale. Certes, y ont grandement participé les membres de l’association appuyés par d’autres Arméniens de France. L’attitude de sympathie d’un certain nombre d’intellectuels, de militants des Droits de l’Homme (Me Henri Leclerc, …), d’experts ou historiens (Jean-Pierre Mahé ou Yves Ternon, …) et d’homme politique comme Patrick Devedjian, dans une période de réveil national arménien, a contribué à l’obtention de résultats indéniables que les commémorations attristées et confinées dans les églises arméniennes ne pouvaient pas produire.
L’implosion de l’URSS, la naissance
de la IIIe République d’Arménie et sa diplomatie balbutiante
La biographie officielle de M. Ter-Stepanian, Représentant permanent auprès de l’UNESCO, publiée dans les médias, mentionne son engagement dès la proclamation de l’indépendance. Et, c’est vrai, il a dès le début été associé à la mise en place d’une administration des affaires étrangères ; Raffi Hovhanissian comme ministre. Sa connaissance de l’évolution des forces politiques en France et en Europe occidentale, son aptitude à négocier les questions les plus complexes ont apporté une plus-value inestimable à la diplomatie balbutiante de l’Etat nouvellement indépendant qui commençait à sortir des carcans de la léthargie stérilisante de l’Union soviétique écroulée. N’en déplaise à ceux de ses collègues du ministère peu efficaces dans le travail diplomatique, car nommés au hasard d’un appui familial ou partisan, comme c’était l’habitude, héritage resté de l’administration soviétique, Christian Ter-Stepanian, grâce à son savoir-faire, a pu tisser des liens professionnels très utiles avec les représentants d’autres Etats dans les instances régionales et internationales, parlementaires ou diplomatiques lorsqu’il était en poste en Europe occidentale.
A l’époque, au début des années 90, l’Arménie était affrontée à une situation politique, économique et sociale très difficile. L’apport professionnel d’un très petit nombre d’Arméniens de la diaspora a été crucial. Christian Ter-Stepanian dans la diplomatie, un autre diasporique issu de l’Université de Grenoble comme vice-ministre de l’Agriculture, etc. Que dire de l’engagement de Monté Melkonian (Etats-Unis) ou de Gilbert Minassian (France) et leur camarades, des volontaires issus des communautés arméniennes du Liban, d’Iran, … dans la lutte contre l’ennemi turco-tatare au Haut-Karabakh.
Nouveaux acquis diplomatiques de l’Arménie moderne
Si dans le domaine des négociations sur la question du Haut-Karabagh, les gouvernements successifs arméniens ont lamentablement échoué, en dépit des affirmations à la limite de l’ubuesque de Vardan Oskanian, ministre des Affaires étrangères de Robert Kotcharian, qui a récemment qualifié de
« chefs-d’œuvre diplomatiques » les résultats des pourparlers avec l’Azerbaidjan lorsqu’il y participait. Cependant, après l’ère Kotcharian, l’Arménie a pu marquer un point dans sa recherche de rapprochement avec des organisations internationales.
On peut critiquer la diplomatie « soumise » à la volonté moscovite de Serge Sarkissian, mais sa prise de position favorable au rapprochement avec la France et l’espace francophone doit être considérée comme très positive dans l’intérêt de l’Arménie. Précisément dans ce domaine, le rôle de Christian Ter-Stepanian a été déterminant. Ses contacts et démarches continues ont permis à l’Arménie d’obtenir l’accord de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie) sur l’organisation de la conférence ministérielle à Erevan en 2015, puis lors de la conférence ministérielle de 2016 à Tananarive (Madagascar), l’accord des pays membres sur l’organisation du sommet de la francophone en 2018 à Erevan. Ce grand succès diplomatique a permis à l’Arménie, désormais membre à part entière de l’espace francophone d’avoir accédé à un forum où la moitié de l’Afrique connait maintenant l’Arménie, sa culture et ses difficultés liées au conflit du Haut-Karabakh.
L’erreur chronique des gouvernements d’Erevan
Les gouvernements arméniens ont longtemps négligé les ressources inestimables de la diaspora. Les membres de ces communautés diasporiques portent des valeurs universelles que le système soviétique s’est efforcé d’anéantir ou de remplacer par soi-disant d’autres valeurs. Le président Ter-Petrossian, jaloux de son pouvoir, a tout fait pour les éloigner. Robert Kotcharian, formaté intellectuellement selon la matrice soviétique, – il suffit de lire son livre dans lequel il prend pour référence Staline–, cherchait seulement l’argent de la Diaspora. Son successeur, pillait à tour de bras sans distinction : « donnez-nous votre argent et taisez-vous ! ». La révolution de velours a promis la lutte contre la corruption, mais avec le temps, des signes inquiétants ressurgissent (voir in NH hebdo N° 352 du 20 avril 2023, l’exemple de Hayk Karapetian, directeur de HayPost, expert et professionnel venu de la diaspora, évincé suite à des intrigues et de la complicité du vice-Premier ministre Mher Grigorian, dit-on dans certaine presse).
Malheureusement, l’administration arménienne et notamment ses services diplomatiques fonctionnent encore comme un pur produit du système soviétique. Certains parlent des pratiques du népotisme ou de l’insuffisance du professionnalisme, alors que la diplomatie est un domaine hautement sensible et requiert une compétence accrue d’autant plus que face à l’Arménie, un appareil diplomatique turc hautement qualifié a des compétences accumulées pendant des siècles.
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Christian Ter-Stepanian, nourrie de valeurs humanistes que tout au long de sa vie en France ont formé et façonné sa pensée et son attitude, a trouvé sa voie pour atteindre et réaliser une mission qu’il estimait être la sienne. Doté de ces valeurs, loin de la recherche d’intérêts personnels et de la vanité, ce qui le distingue de nombreux autres activistes, l’ont propulsé dans le vif de l’action politique en faveur des idéaux qu’il chérissait. C’est cette motivation qui lui ont permis de continuer son combat en dépit des difficultés et des échecs dont il ne portait pas la responsabilité. Un tel dépassement de soi doit être un référent pour un militant et au-delà pour une personne qui s’engage dans un combat pour la construction d’un Etat moderne respectueux de la Justice au service de l’intérêt général.
Armand M.
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