Par Luciné CHAHVERDIAN
Hraparak, le 24 septembre 2024
La liturgie de re-consécration de la cathédrale[1] a visiblement perturbé les plans de l’archevêque Bagrat, le chef du mouvement « Combat sacré »[2] et semé doute et désespoir parmi ses partisans. Le fait est qu’immédiatement après la réunion de masse convoquée dimanche dernier[3] au complexe Garen Demirdjian d’Erevan, des actions devaient être déclenchées. Dans ce but, l’archevêque Bagrat avait demandé aux dirigeants du Parti Républicain d’Arménie et de la Fédération Révolutionnaire Dachnaktsoutioun de participer à cette réunion avec un minimum de 3 000 personnes pour chaque parti et de les mettre à sa disposition pendant quelques jours, en leur annonçant qu’elles ne rentreraient peut-être pas chez elles car « le job allait commencer ».
Selon nos informations, d’après le plan initial, après ce rassemblement, ils auraient dû se rendre à la Cour constitutionnelle, encercler le bâtiment de cette importante instance, bloquer l’entrée du bâtiment dans les jours suivants et empêcher les juges de la Cour suprême d’y entrer, perturbant ainsi l’examen de la constitutionnalité du règlement des commissions de démarcation de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui devait être examiné par la Cour constitutionnelle. L’archevêque avait alors déclaré « Ce mouvement ne fait que commencer, et si pour certains ce n’est qu’une simple affaire politique, pour moi c’est une question de vie ou de mort. Dans cette guerre des nerfs, celui qui est persévérant et patient, qui est prêt au sacrifice et à toutes les sortes de privations, vaincra, car c’est un combat pour la vérité, et personne ne pourrait m’ôter cette conviction ». Cependant, l’abandon du scénario initial vient indubitablement provoquer une certaine déception parmi les partisans de cette cause.
Selon certaines informations, la décision de l’archevêque de revoir ses plans et de reporter ses actions de quelques jours a été provoquée par une mise en garde du Saint-Siège d’Etchmiadzine, car quelques jours avant ce meeting, il avait reçu une réponse positive concernant la visite à Etchmiadzine des dirigeants politiques du pays. Le gouvernement en la personne de Nikol Pachinian avait donné son accord à sa participation à la cérémonie de re-consécration de la cathédrale.
Il est évident que l’Église avait décidé d’adopter une position de neutralité et, pour cette raison, elle avait adressé une invitation à la direction politique du pays afin qu’elle participe à la cérémonie de réouverture de la cathédrale. Elle attendait donc cette réponse avec une certaine fébrilité. Nikol Pachinian a probablement accepté d’assister aux cérémonies précisément dans le but d’empêcher la poursuite de la campagne de l’archevêque alors que c’est sur son ordre direct que la diffusion du message du Nouvel An de Sa Sainteté le Patriarche avait été empêchée en décembre dernier sur la chaîne de télévision publique. Ce premier événement avait été suivi par l’humiliation infligée au Catholicos alors qu’il se rendait au mémorial de Sardarapat[4].
Il s’avère donc que non seulement l’Église ne veut pas aller à l’affrontement et qu’elle s’est pour cela désolidarisée du combat de Bagrat, mais qu’elle tout fait pour que cette lutte échoue. De son côté, l’archevêque Bagrat lâche lui aussi du terrain. Dans le cas contraire, il n’aurait pas modifié ses plans et pris le risque de décevoir tous ses partisans. Ou bien, il aurait dû reporter de quelques jours le grand rassemblement qui a eu lieu au complexe Garen Démirdjian pour ne pas être confronté à un tel dilemme.
Une chose est évidente, non seulement les plans de l’archevêque ont été bouleversés, mais ces événements l’ont mis devant un choix cornélien : celui de participer, ou de ne pas participer, à la réouverture de la cathédrale à laquelle Nikol Pachinian, qui est selon ses propres mots « l’Antéchrist », devrait également participer. On ne comprendrait absolument pas qu’il se tienne à côté de Pachinian, dans un même carré, puis qu’après quelques jours, il tente à nouveau de réunir les gens en les appelant à se débarrasser de lui. Mais ne pas y aller, signifierait manquer à la réouverture de sa « propre maison » et approfondir ainsi ses contradictions avec l’Église.
Traduction et notes de Sahak SUKIASYAN
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[1] Après plusieurs années de travaux de restauration, la liturgie de re-consécration du sanctuaire est programmée pour le 29 septembre. Elle devrait réunir des dizaines de milliers de fidèles.
[2] Ce mouvement dirigé par le primat du diocèse du Tavouch, l’archevêque Bagrat Galsdanian, initialement fondé pour protester contre les opérations de délimitation et de démarcation de la frontière arméno-azerbaïdjanaise, s’est rapidement transformé en un mouvement d’opposition au gouvernement de N. Pachinian. Il est très largement soutenu par les forces partisanes de l’ancien régime. Le mouvement est intitulé « Սրբազան շարժում », que l’on peut traduire par « lutte/combat sacré». Cette appellation est très ambiguë. Elle peut signifier que ce combat est sacré d’un point de vue à la fois profane et religieux. Mais il peut également être interprété comme étant le « combat de l’archevêque » car en arménien, le terme « Սրբազան » désigne les membres de l’épiscopat. Dans tous les cas, même si ce hiérarque déclare avoir demandé et obtenu des instances religieuses un « gel » de ses fonctions ecclésiales, il a cultivé et largement profité de l’ambiguïté de la situation en laissant entendre que son initiative était approuvée et bénie par l’Église, si ce n’est par Dieu lui-même.
[3] Le 22 septembre, ce mouvement a rassemblé plusieurs milliers de partisans dans la grande salle du complexe sportif et culturel Garen Démirdjian de Dzidzernagapert à Erevan.
[4] Le 28 mai, alors qu’accompagné d’une délégation du Saint-Siège d’Etchmiadzine, il se rendait au mémorial de Sardarapat à l’occasion de l’anniversaire de cette bataille héroïque, le Catholicos avait dans un premier temps été empêché d’accéder à l’esplanade par un cordon de police. Après un début d’affrontement entre les forces de l’ordre et les membres de la délégation catholicossale, le patriarche avait finalement pu déposer une gerbe au mémorial et y présider une liturgie d’action de grâce.
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