Par Vahram Atanesyan
ancien ministre des Affaires étrangères de la République d’Artsakh
Le président russe Vladimir Poutine vient d’adresser un appel aux chefs de gouvernements des pays de la Communauté des Etats Indépendants les exhortant à lutter contre « les distorsions de l’histoire » et « la glorification du fascisme ». Vladimir Poutine a rappelé à cette occasion la « Grande Guerre Patriotique », la « lutte commune des peuples soviétiques contre le fascisme » et a exhorté les pays de la CEI à participer à la journée du « Régiment immortel » [Бессмертный полк], qui honore chaque 9 mai les combattants de la Seconde Guerre mondiale.
Le Premier ministre azéri Assadov était lui aussi présent à cette session du Conseil des chefs de gouvernements des pays de la CEI. Il a prononcé à cette occasion un discours présentant une nouvelle fois son pays comme « multiethnique », « multiculturel » et « tolérant », un pays où tous les citoyens sont protégés par la constitution et la loi, leurs « droits garantis quelles que soient leur nationalité et leur religion ». Mais de quels droits parle-t-on exactement alors qu’un onzième journaliste vient d’être arrêté cette semaine à Bakou ? Il serait de loin préférable d’analyser le message du Président russe à l’aune de la situation en Artsakh.
Le jour de leur entrée à Chouchi, les soldats azerbaïdjanais ont brisé le buste de Nelson Stepanyan, deux fois héros de l'URSS. Les maisons et les musées du maréchal d’aviation de l'URSS Khanperyants et du colonel-général Parseghov ont été détruits. Dans toutes les localités occupées, ce ne sont pas seulement les monuments dédiés aux combattants des guerres de libération du Karabakh, mais également les monuments commémoratifs des morts de la « Grande Guerre patriotique » qui ont été détruits, profanés. Le véritable fascisme est donc là, qui se poursuit sous les yeux du commandement des troupes russes.
Qui Vladimir Poutine accuse-t-il au juste de glorifier le fascisme ? C'est évident : les États baltes, l'Ukraine, les anciens pays de Europe de l'Est. Mais qui le Président russe appelle-t-il à la rescousse pour défendre le « Régiment des Immortels » ? L’Azerbaïdjan fasciste ?
L’appel de Poutine n’est en réalité qu’une tentative pour justifier la guerre contre l'Ukraine. La concomitance de l’intervention azerbaïdjanaise au Haut-Karabakh décrédibilise donc totalement la propagande poutinienne visant à « respecter l'histoire commune » et à « combiner la lutte contre la glorification du fascisme ». Car s'il est une entité du territoire de l'ex-URSS qui mérite non seulement le respect de la Russie, mais aussi une protection absolue de sa part, c'est bien le Haut-Karabakh, une région où un habitant sur quatre a été engagé dans la prétendue « Grande Guerre patriotique » et durant laquelle un sur deux a été tué.
Les statistiques sont implacables et indiscutables. Sur les 139 000 habitants que comptait à l’époque le Haut-Karabakh, 42 000 ont été enrôlés et 21 000 sont morts au combat. Parmi ceux-ci, 21 ont reçu le titre de « Héros de l'Union soviétique ».
Aucun des autres peuples de l'URSS ne peut s’énorgueillir de tels chiffres. Ce tableau des pertes nationales dépasse même celui de la Biélorussie et de la Russie. A l’opposé, le constat qui s’offre aujourd’hui à nous est la preuve de la faillite de la propagande de Vladimir Poutine concernant la lutte contre la glorification du fascisme. 1 In.am – Erevan le 17 décembre 2023
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Petit rappel : plus de 600 000 Arméniens ont combattu durant la Seconde guerre mondiale. Ils ont donné 5 maréchaux et plus de 60 généraux à l’Armée rouge. À la fin de la guerre, 83 officiers ont été promus au grade de général. Six divisions nationales arméniennes ont également participé aux combats.
Traduction : Sahak Sukiasyan
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