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Le renouveau spirituel de Gyumri

Le 7 décembre 1988 à 11 h 41, deux secousses sismiques de magnitude 6,9 et 5,8 sur l’échelle de Richter dévastaient toute la région nord-ouest de l’Arménie. Ce terrible séisme était ressenti jusqu’à Erevan. Le bilan fourni à l’époque par les autorités soviétiques s’élevait officiellement à 25 000 morts et à un demi-million de sans-abris. Deux villes de la région, Leninakan – aujourd’hui Gyumri- et Spitak, étaient pratiquement rayées de la carte, Kirovakan – aujourd’hui Vanadzor- la troisième ville du pays, était également en partie détruite comme des dizaines d’autres localités de la région. Dans le même temps, toute l’Arménie et le Haut-Karabagh s’étaient soulevés pour réclamer la démocratie et le rattachement du Haut-Karabakh. L’armée rouge imposait un contrôle de toute l’Arménie entravant les opérations de secours. Dans le même temps, le monde entier accourait au secours de l’Arménie encore soviétique.

Pendant près de 30 ans,  la reconstruction de la zone sinistrée [1] a été désespérément lente, au point de provoquer exaspération, colère et découragement. Gyumri qui a aussi perdu au fil des années qui passaient des milliers d’habitants du fait de l’exode de sa population présente aujourd’hui un visage plus avenant et la vie semble y avoir repris ses droits grâce à des initiatives privées et par un investissement plus important des autorités du pays, même si un certain nombre de « domiks »[2] installés lors du séisme subsistent encore ça- et-là.

Le cœur historique de la ville a été en partie restauré et le riche patrimoine architectural, laïc et religieux, est l’objet de toutes les attentions. Les élégants bâtiments à un étage en tuf rouge et noir hérités de la période tzariste de plusieurs artères du centre de la cité attirent à nouveau de nombreux touristes venus découvrir la deuxième ville d’Arménie. Un festival très prisé et de multiples manifestations culturelles et autres s’y déroulent.

Mais Gyumri est également connu pour la grande ferveur et la piété de ses habitants. La ville compte aujourd’hui une douzaine de lieux de culte dont la plupart appartiennent à l’Église apostolique arménienne. Deux de ces églises appartiennent aux catholiques et aux protestants arméniens, deux aux fidèles de l’église orthodoxe russe. Dans un périmètre très limité, situées à quelques dizaines de mètres les unes des autres, se dressent la cathédrale des Sept plaies de la Mère de Dieu, populairement appelée Yot verk , les églises saint Nchan (Saint signe de la Croix) et du saint Sauveur de Tous [Aménaperguitch].

L’église du Saint-Sauveur de tous a été conçue et bâtie par Tadevos Andiguian, ou Andiguents (1835-1899), un maitre d’œuvre passionné par le site d’Ani où il se rendait fréquemment. L’ancienne capitale des Bagratides se trouvait alors dans les frontières de l’Empire russe. Le sanctuaire est souvent présenté comme une réplique de la cathédrale d’Ani.  Sa construction a débuté en 1859 et elle a été consacrée en 1873. Le chantier  aura duré près de 14 ans. La population de la ville avait alors largement participé à son édification à la fois en la finançant et en participant aux travaux du chantier. Le célèbre journal « Mchag »paraissant à Tiflis écrivait alors : « La construction de la nouvelle église dans la ville qui dure depuis quatorze ans, sera bientôt achevée et à ce jour, plus de 80 000 manats[3] ont été dépensés ». Au moment de sa construction, le sanctuaire était présenté comme l’un des plus beaux et des plus grands du pays. Les plus récentes photographies de l’extérieur comme de l’intérieur de l’édifice confirment cette affirmation.

L’église du Saint-Sauveur de tous  avait résisté au tremblement de terre de 1926, mais en 1932 les autorités soviétiques avaient tenté de la détruire à l’aide de blindés, puis de bombes, mais en vain. Dans les années 1960, le clocher de l’église a été reconstruit et l’église transformée en salle de concert. A la différence du séisme de 1932, celui de décembre 1988 a été dévastateur et détruit les trois-quarts de l’édifice[4].

Il y a quelques jours, le Centre d’information du Catholicossat de tous les Arméniens annonçait la re-consécration de cette église le samedi 7 décembre. Pratiquement entièrement détruit lors du séisme de 1988, après plus de trois décennies de travaux, le sanctuaire sera re-consacré et rendu au culte lors de la Divine liturgie célébrée par le Catholicos Karékine II en présence de très nombreux fidèles venus de toute l’Arménie.

Cette liturgie de re-consécration précédera d’un jour celle d’un autre sanctuaire, Notre Dame de Paris, lui aussi dévasté par une catastrophe il y a cinq ans. La consécration de ces deux sanctuaires revêtira une grande dimension symbolique pour les Français et pour les Arméniens, deux peuples anciens, chrétiens et amis. Dans le cas de l’église de Gyumri, non seulement cette réouverture coïncidera avec le 36ème anniversaire du grand séisme de 1988 mais ce très beau lieu de culte qui sera à nouveau dédié au saint Sauveur de tous nous rappellera la cathédrale de Chouchi qui est actuellement  captive et pour la libération de laquelle nous prierons.

Les habitants de Gyumri pourront aussi se recueillir sous ses voûtes richement décorées par de très belles fresques réalisées par l’iconographe Lévon Zakyan et vénérer la relique de la sainte croix apportée tous spécialement d’Etchmiadzine pour l’occasion.

Sahak SUKIASYAN

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[1] Durant toutes ces années, la région a été désignée sous ce nom, en arménien aghédi kodi.

[2] Ces préfabriqués sont appelés « domigs »,  ce qui signifie « maisonnette » en russe.

[3] Terme persan pour désigner la monnaie. Dans ce cas précis, le rouble russe.

[4] A la suite du séisme de 1988, un habitant de la ville m’avait expliqué que selon lui, l’édifice s’était effondré parce que les autorités avaient détruit les quatre piliers qui portaient la coupole lors de la transformation de l’église en salle de concerts ce qui constituait une profanation.