Le 23 octobre est une date marquante pour l’Arménie du point de vue stratégique. Cette date est celle de la réunion de la plateforme « 3+3 » des pays de la région, à Téhéran, à laquelle ont participé les ministres des Affaires étrangères de l’Iran, de la Turquie, de la Russie, de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, à l’exception de la Géorgie, qui a refusé de participer en raison du conflit avec la Russie. Elle est aussi celle de la conclusion avec la France du contrat d’achat d’armes défensives. À première vue, ces deux orientations stratégiques s’opposent, l’une relève de la coopération occidentale, l’autre est régionale, et pour cette dernière, la présence de l’Iran et de la Russie est intolérable pour les Occidentaux. Toutefois, au retour de la réunion de la Communauté politique européenne à Grenade, le Premier ministre arménien a évoqué la nécessité de la participation de l’Arménie à la réunion de la plateforme régionale « 3+3 », les relations avec les partenaires occidentaux ne devant pas donner l’impression que l’Arménie ignore le dialogue avec ses voisins.
Et en fait, pendant toute la durée du conflit Artsakh-Azerbaïdjan, les appels, les exhortations et les garanties des Occidentaux n’ont pas empêché l’Azerbaïdjan de mener une guerre contre l’Artsakh et l’Arménie avec le soutien de la Turquie et de la Russie et d’utiliser tout l’arsenal militaire fourni essentiellement par Israël et la Turquie pour prendre le contrôle de l’ensemble de l’Artsakh et soumettre les Artsakhiotes au nettoyage ethnique. Sans vouloir s’arrêter là, l’appétit guerrier d’Aliyev aurait poussé ce dernier à conquérir le Syunik, mais l’opposition de l’Iran à tout changement des frontières historiques a mis en échec le plan russo-turco-azerbaïdjanais de création du corridor de Syunik reliant l’Azerbaïdjan à Nakhitchevan sous la supervision de la Russie.
Compte tenu de cet état de fait, la décision du gouvernement arménien de participer à la réunion organisée dans le cadre de la plateforme régionale « 3+3 » à Téhéran est tout à fait compréhensible et justifiée. L’Europe était un partenaire et un médiateur inutile dans le cas de l’Artsakh. Elle n’a pas pu empêcher le dépeuplement de l’Artsakh. Elle s’est réveillée lorsque ce dernier a été soumis au nettoyage ethnique. Durant le siège de l’Artsakh qui a duré près de dix mois, les autorités arméniennes ont mis en garde leurs partenaires occidentaux contre le danger d’un nettoyage ethnique des Arméniens de l’Artsakh. Elles avertissaient qu’ils ne devraient pas se laisser guider par les promesses d’Aliyev. Cependant, la tragédie s’est produite : cent mille personnes ont quitté leur pays en une semaine. Les avertissements adressés par les organisations non-gouvernementales internationales n’ont pas non plus donné de résultats. Cependant, leurs conclusions et accusations, notamment celles de l’Institut Lemkin pour la prévention du Génocide, qui a déclaré que les dirigeants politiques européens sont complices du nettoyage ethnique en Artsakh, ne sont pas restées sans conséquences. Les États-Unis et l’Europe ont fourni une aide humanitaire et ont envoyé leurs responsables en Arménie. Ils ont demandé en termes très sévères des garanties sécuritaires pour les Artsakhiotes qui désireraient retourner en Artsakh. Ils ont même commencé à proposer des programmes d’aide militaire afin que l’Arménie puisse défendre sa souveraineté.
Parmi les pays occidentaux, la position du gouvernement français a été la plus remarquable. Grâce à elle, la mission de surveillance de l’UE a été déployée à la frontière de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, grâce à elle deux réunions du Conseil de sécurité de l’ONU ont été convoquées, et enfin c’est la France qui ose signer le contrat de vente d’armes défensives le 22 octobre à Paris, lors de la visite du ministre de la Défense d’Arménie Suren Papikian à l’invitation du ministre Sebastien Lecornu.
Il s’avère que l’Occident et l’Iran ont tous deux un rôle important à jouer pour assurer la sécurité de l’Arménie. Bien qu’ils soient dans des camps opposés sur la scène internationale, et bien que la guerre israélo-palestinienne ait rendu la situation encore plus tendue. La Russie est sur le point de perdre sa place de force dominatrice au Caucase depuis sa guerre aventureuse en Ukraine, au profit de l’Iran. La réunion de la plateforme « 3 + 3 » à Téhéran, et non à Moscou, en est une preuve éclatante.
J. Tch.
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