Andrée Corvol
Histoire d’une conquête XVIIe-XXIe siècle
Paris, Le Pommier,
2023, 390 p. ;
25,00€
Arbre de vie, arbre de la connaissance, de la sagesse, arbre au fruit défendu, arbre des druides, métamorphoses d’humains en arbre (Daphné transformée en laurier), la religion comme la mythologie, dans toutes les cultures, montrent la relation profonde que l’homme entretient avec l’arbre.
Dans son livre, centré sur une période précise et récente, Andrée Corvol mène une enquête sur la façon dont l’arbre a été tantôt valorisé, tantôt dégradé dans la cité qu’il a contribué à modeler. Elle étudie la polysémie de l’arbre dans l’espace public (la « cité ») et, en particulier, sa dimension politique indissociable de sa valeur symbolique. Privilégiant l’histoire de la France (avec toutefois quelques rapides exemples provenant des Etats-Unis, d’Angleterre, de Belgique, de Hollande et d’Allemagne), l’auteure examine les documents administratifs des provinces, les politiques municipales et les décrets révolutionnaires, révélant, grâce à l’objet « arbre », les multiples disciplines qui se trouvent engagées dans la planification d’une cité. Des scientifiques célèbres sont concernés, ce sont des botanistes, agronomes, médecins, comme de l’Ecluse, d’Aubanton, Buffon ; interviennent également des architectes et des artistes, des militaires (les arbres protègent des tirs ennemis sur les remparts), les ingénieurs (la gestion des inondations à l’aide des arbres plantés, comme en Hollande). De surcroît, l’arbre peut devenir un cadeau diplomatique (l’Empereur Rodolphe II (1552-1612) avait reçu un marronnier du calife ottoman) et l’on se souviendra du chêne que les présidents Trump et Macron plantèrent dans le jardin de la Maison Blanche. Outre l’importance de l’agronomie et de la biologie, surgit toujours et immanquablement celle de l’économie : planter des arbres a un coût, les essences rares étaient réservées aux jardins prestigieux de personnages fortunés. Pour démocratiser, il faut donc chercher des arbres solides, adaptés à l’environnement et répondant à deux buts essentiels : l’assainissement de l’air des villes et l’embellissement de celles-ci.
Planter un arbre est un acte politique comme le révèlent particulièrement les épisodes de la Révolution française détaillés par l’auteure. Elle expose les différentes fonctions de l’arbre qui se réduit parfois à une simple perche peinte en rouge pour exprimer la contestation. Négativement l’arbre sert de gibet, positivement il est planté et vénéré comme arbre de la liberté, ce sont les fameux « mais », arbres de joie et de rassemblement, comme ceux de la Fédération. L’esprit de la Révolution témoigne d’une adoration de l’arbre visible dans les programmes des municipalités : il faut planter de beaux arbres, des chênes de préférence, verts et vivants, car cet arbre symbolique (pensons à saint Louis qui rendait la justice sous un chêne), incarne la puissance : « c’était inscrire l’idéologie révolutionnaire dans la continuité catholique », écrit Corvol. Par une association sonore avec le mot « peuple », le peuplier éveille la sympathie des révolutionnaires. Si la religion est évincée, la mémoire de ses rites subsiste et s’adapte au culte de la Raison (« arbres de lumière », par exemple). Ce qui n’empêche pas la parodie. La contre-révolution, quant à elle, s’attaquera aux arbres révolutionnaires en les abattant.
La recherche des arbres utilitaires (ormes, tilleuls, noyer), esthétiques (marronnier), symbolique (chêne) engendre à la fois un marché des arbres vite dominé par les Hollandais et une profession de pépiniéristes capables, au XVIIIe, de répondre à la mode des essences rares, d’approvisionner la classe aisée en arbres exotiques. Tout cela nécessite un art de planter long à se développer scientifiquement. Parvenir à connaître les exigences de la plante, les conditions de son insertion dans une biosphère particulière, nécessitera de nombreux arbres morts.
Une préfiguration de la participation citoyenne apparaîtra sous Napoléon avec le lancement de souscriptions qui permettront de financer les plantations que superviseront les administrations compétentes nouvellement mises en place (Eaux et Forêts).
Le développement urbain crée un besoin du végétal auquel répond la construction, au XIXe siècle, des squares et des jardins publics (avec les soucis de moralité qui leur sont liés : exclure les vagabonds et les prostituées). Par ailleurs, l’art, grâce aux peintres paysagistes, contribue à la valorisation de l’arbre (notamment pour la Forêt de Fontainebleau), à sa défense qui sera soutenue par les associations militantes. Ainsi, à la suite des Etats-Unis où Abraham Lincoln signera le Yosemine Park Act en 1859, des associations se formeront en France et en Belgique, comme la Société des Amis des Arbres ou la Ligue des amis des Arbres.
La présence de l’arbre et l’évolution de l’urbanisation vont de pair, car la santé de l’arbre implique des innovations et des décisions relatives à des éléments pratiques tels que la largeur des trottoirs, la présence des égouts, le recours ou non au goudron, aux plaques métalliques, aux grilles. Une lutte territoriale peut se déclencher entre l’arbre et les opérations immobilières, entraînant des choix urbanistiques. Si le développement urbain au début du XXe témoigne d’une grande disparité due notamment aux effets de la guerre et à la valorisation de la « ville fonctionnelle »
qui a façonné un univers minéral et valorisé l’usage de la voiture, il opère un tournant vers 1990 où un vrai métier prend son essor, celui de paysagiste. Désormais, la végétalisation de la ville et des façades d’immeubles est devenue un enjeu architectural mondial. L’architecture s’inscrit dans une écologie urbaine, il faut végétaliser pour limiter la température ambiante.
Andrée Corvol achève son livre en se référant au yarn bombing lancé par Magda Sayeb en 2005 au Texas. Cet art dans l’espace public vise à « embellir »
non seulement les objets qui en font partie (bancs, bus, poteaux…) mais également les arbres en les revêtant, en les emmaillotant, avec des pièces de tricot ou de crochet multicolores : « Non content de valoriser une activité féminine déconsidérée, cet art urbain manifeste l’attachement aux arbres ordinaires, ceux que l’on croise tous les jours et qui disent l’état du monde ». L’arbre se voit ainsi anthropomorphisé ou peut-être même re-divinisé.
Chakè Matossian
Parmi les associations pour la plantation des arbres en Arménie :
https://myforestarmenia.org/fr
https://www.atreeforyou.org/fr
Dans le domaine botanique deux arbres se détachent par leur nom : Prunius armeniaca (abricotier) et Chêne d’Arménie (Quercus Pontica).
On notera que le nom de nombreux jardins ou parcs en France se réfère à l’Arménie, entre autres : Parc d’Arménie (Montpellier), projet d’un Jardin d’Arménie (Nice), les Jardins d’Arménie (Drôme), Jardin d’Arménie (Cannes), Jardin d’Erevan (Paris 8e).
Les jardins d’Arménie existent aussi dans le domaine du luxe : l’on remarquera le Jardin d’Arménie (en foulard et en cendrier) chez Hermès et l’eau de parfum Bois d’Arménie chez Guerlain. ⊆
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