Nous avons reçu un e-mail … un e-mail pour lequel il y aura un avant et un après… mais un après qui ne sera vraiment pas le même que l’avant. L’un de ses fils nous a fait part du décès de son père, Stéphan Boghossian, survenu le 4 novembre.
Un chagrin indescriptible s’est abattu sur nous en apprenant la disparition à jamais de notre frère aîné. S’il est vrai que, compte tenu de ses récents problèmes de santé, la crainte du pire était toujours présente dans nos esprits, nous savions qu’il conservait néanmoins toutes ses facultés mentales malgré son âge avancé, et nous voulions, jusqu’à son dernier souffle, croire que cela n’arriverait pas, pas maintenant, et qu’il ne nous laisserait pas dans un monde sans lui. Et pourtant la nature n’a pas dérogé à ses lois, elle ne s’est pas montrée un peu plus « clémente » envers cette personne si emplie de bonté et d’humanité.
Même s’il nous est difficile de parler de lui au passé, il va falloir, malheureusement, nous y habituer.
Notre regretté Stéphan est né à Marseille en 1932, au sein d’une famille de rescapés du Génocide. Alors qu’il était encore adolescent, il commença à porter le « chabig » (enfant de chœur) dans les églises de Marseille, jusqu’à son ordination comme diacre principal (Dzayrakouyn Sargavak). L’Eglise était tout pour lui, il lui était impossible de ne pas être présent, de ne pas participer à un office, et il en fut ainsi jusqu’au bout … jusqu’au dernier dimanche de sa vie.
Stéphan avec son petit-fils Stéphane à l’église Sainte-Mère-de-Dieu de Sainte-Marguerite
Outre l’église, le regretté Stéphan avait également contribué à la vie laïque de la communauté. Il fut, des années durant, secrétaire de l’UGAB à Marseille, puis également de SOS-Arménie après le tremblement de terre de Spitak.
Il ne serait pas exagéré de dire que Stéphan Boghossian était le dernier des Mohicans des Arméniens de Marseille, ou mieux encore, son encyclopédie vivante. Et qui mieux que lui pouvait relater l’histoire de la communauté arménienne de cette ville – en creusant jusqu’aux racines de cette communauté, en réalité multiséculaire – qui a accueilli à bras ouverts ces « restes de l’épée » ? Ainsi, en 2009, sous sa plume voyait le jour « La communauté arménienne de Marseille : quatre siècles de son histoire », ouvrage publié par la prestigieuse maison d’édition « L’Harmattan ».
Mais pour nous, la famille de « Haratch » puis de « Nor Haratch », la place et la valeur de Stéphan Boghossian étaient bien plus particulières.
Pendant près d’un demi-siècle, il fut un collaborateur et un correspondant hors pair, pour les deux journaux susmentionnés successivement, notamment avec des articles ecclésiastiques, historiques, communautaires particulièrement intéressants et vifs, toujours appréciés de tous. Pour « Nor Haratch » il n’a jamais manqué aucune correspondance, couvrant les différents événements de la communauté arménienne de Marseille. Tout récemment encore, à l’âge de quatre-vingt-dix ans révolus, il promettait d’assister à tel ou tel événement, peut-être avec un peu moins de confiance en soi, répétant toujours
« mon cœur y est, mais mon corps faiblit ; si j’en trouve la force, avec plaisir. »
La formulation qui suit va sans doute être un « cliché », mais elle le décrit parfaitement, faute de mieux : dans un dictionnaire, son nom serait synonyme de gentillesse.
Stéphan brillait aussi par sa GRANDE modestie. Lecteur assidu, il avait un champ de connaissances si large que, quel que soit le sujet abordé, vous étiez étonné d’entendre les détails qu’il y apportait. Mais jamais avec la moindre trace d’arrogance : un vrai intellectuel empreint d’humilité.
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Bien que je le connaissais via mon travail journalistique depuis près de quatre décennies (au téléphone, à partir de l’ère de « Nor Haratch »), je n’avais jamais eu l’occasion de le rencontrer en personne. Cette année, au mois d’août, nous sommes allés le voir, tel un pèlerinage promis de longue date. Nous avons passé quelques heures inoubliables ensemble, lui et sa charmante « moitié », Mme Hermine (par ailleurs une autre infatigable servante de la langue et de la littérature arméniennes, qui a éduqué pendant des décennies des générations de nos jeunes dans les écoles arméniennes de Marseille), ma famille et moi. Nous nous sommes quittés avec la promesse mutuelle de renouveler cette agréable rencontre…
Notre frère aîné part aujourd’hui en laissant inachevé sur son bureau un vaste article sur Adapazar (le pays de ses parents) et les Adapazartsis, qu’il avait prévu d’écrire depuis des mois pour notre journal.
Béni soit le souvenir des justes.
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Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa veuve Mme Hermine, à ses fils Torkom et Mesrob, ainsi qu’à ses petits-enfants et à toute sa famille.
H. G. ⊆
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