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OPINION – Le Golgotha des otages arméniens

 

 

 

 

 

Par Hilda Tchoboyan

 

Parce qu’ils sont Arméniens

Ils sont militaires capturés sur le terrain de la guerre lors des 2 dernières agressions de l’Artsakh par l’armée azerbaïdjanaise, ou civils, malade kidnappé du véhicule du CICR (Comité International de la Croix Rouge) lors d’un transfert à l’hôpital, ou paysan égaré aux abords de son village, enlevé et jeté en prison. Ils sont dirigeants politiques, présidents, ministres, ou président du Parlement de l’Artsakh (Haut-Karabakh) démocratique et auto-déterminé : ils ont tous voulu défendre leur peuple contre un Etat génocidaire qui a maintes fois donné dans son histoire la preuve de sa volonté d’anéantir les Arméniens par des pogroms et des déportations.

23 Arméniens sont actuellement internés à Bakou, reconnus comme prisonniers par l’Azerbaïdjan. Ce sont des otages d’Etat car leur libération, comme pour leurs compagnons de malheur déjà libérés, est conditionnée par le chantage et les transactions politiques et territoriales. Leurs conditions carcérales sont vaguement contrôlées par le CICR qui les visite toutes les 5 semaines et établit un lien avec les familles en Arménie.

 

80 victimes de disparitions de force

Tel ce médecin militaire chargé des soins aux blessés sur le terrain de la guerre, qui a été vu pour la dernière fois blessé aux genoux et capturé par l’ennemi, près de 80 Arméniens ont été vus ou filmés vivants et capturés, puis ont disparu dans la nature. Leur sort reste inconnu, puisque les nouveaux occupants de l’Artsakh nient leur existence. Certains d’entre eux paraissent sur des vidéos d’exécutions sommaires. Ont-ils tous été exécutés ? L’existence de prisons clandestines en Azerbaïdjan est évoquée avec persistance par les milieux de l’opposition à la pétro-dictature : les disparus de force arméniens y sont-ils internés? Sont-ils détenus par des civils qui les exploitent ? Sont-ils victimes de trafics d’êtres humains ou d’organes ?

 

Le racisme comme idéologie d’État

Ces questions ne recevront pas de réponse sans une enquête sérieuse menée en Azerbaïdjan même. Mais la volonté de faire la vérité manque définitivement au régime d’Aliev, au grand désespoir des familles des 300 civils et militaires disparus, et des 80 disparus de force, avec pour cause, le racisme anti-arménien hissé au rang de doctrine d’État, servant de moteur à la dictature et à l’irrédentisme insensé d’un régime fascisant.

 

Le soutien psychologique pour les otages libérés

Pour autant, les otages libérés ne sortent pas indemnes de cette expérience traumatisante voire déshumanisante, faite de violences physiques et psychiques – tortures, humiliations et exactions de toutes sortes, y compris des abus sexuels.

En décembre 2023, un groupe de 32 prisonniers de guerre des régions du Lori et du Chirak avait été libérés en contrepartie de la levée par l’Arménie de son droit de véto à la candidature de l’Azerbaïdjan pour accueillir la COP29 à Bakou. Depuis, les psychologues de la Croix rouge internationale d’Arménie (CICR) témoignent des effets dévastateurs du stress post-traumatique sur ces anciens otages, provoquant de nouvelles souffrances psychiques qui sont autant d’entraves à leur retour à la vie normale. On peut ajouter à celles-ci le rejet par la société arménienne de ces ex-prisonniers accusés souvent d’avoir « déposé les armes sans combattre », voire de ne pas avoir commis un suicide pour ne pas tomber dans les mains de l’ennemi…Résultat : incompris de tous, incapables de travailler, les ex-prisonniers de guerre, s’isolent, et restent en marge de la société, accablés par les problèmes psychologiques et sociaux insurmontables.

Parallèlement à la poursuite de sa campagne de parrainages des prisonniers par des villes et ONG internationales, c’est pour ramener ces ex-otages à la vie que le Collectif LIBERTAS a mis en place un programme d’aide psychologique, en partenariat avec le CICR d’Arménie (Comité
International de la Croix Rouge), le Centre de santé mentale INTRA du
Professeur Khatchatour Gasparyan et le Centre de Droit International et Comparatif de Maîtres Siranush Sahakyan et Artak Zeynalyan. Ce programme s’adresse aux prisonniers de guerre libérés et à leur famille, femmes et enfants, maillon faible de la chaîne sociale, et victime des désordres psychologiques et des frustrations de leur proche souffrant. Un deuxième programme est en cours d’élaboration avec des fondations spécialisées pour soutenir les familles des otages internés actuellement à Bakou.

 

Farce judiciaire et procès politiques

En règle générale, les accusations retenues contre les personnes internées se déclinent en fonction de l’âge et du statut des otages : ainsi les prisonniers âgés sont systématiquement inculpés et condamnés pour crimes de guerre, de génocide, avec comme point de mire l’idée de légitimer l’existence du « génocide de Khodjalu ». Dans tous les cas, ces accusations n’apparaissent que quelque temps après une capture souvent fortuite ou accidentelle, créditant la thèse d’arguments inventés pour chaque cas. Parmi les multiples chefs d’accusation à l’encontre de Ruben Vardanian, on remarquera celui de « financement du terrorisme » pour désigner le financement par le célèbre philanthrope d’actions culturelles et éducatives en Artsakh. En 2021 Viken Euljekjian avait été accusé d’être un mercenaire parce qu’il est de nationalité libanaise. Il purge une peine de 20 ans dans les geôles de Bakou.

L’observation par l’avocate Siranush Sahakyan des procès précédents et des témoignages des prisonniers libérés a conclu à des procès inéquitables qui piétinent les droits élémentaires des accusés et prévenus arméniens: les rencontres des avocats azerbaïdjanais assignés avec les prévenus ont un caractère formel, et leur activité reste inefficace. Ceux-ci sont probablement apeurés par les sanctions qui les attendent en cas d’insubordination aux règles iniques établies pour leur fonction de « défenseur ». Les dossiers à charge sont en azerbaïdjanais, traduits oralement aux accusés.  Aucune information sur les chefs d’accusation n’est transmise aux familles. De plus, les avocats étrangers de la défense sont interdits d’exercer en Azerbaïdjan. Jared Genser, l’avocat américain de Ruben Vardanian, a même été interdit d’entrée en Azerbaïdjan : toute communication avec son client lui est interdite.   

 

Procès de Nuremberg à la mode azerbaïdjanaise

Après avoir montré patte blanche aux participants de la COP29 en novembre 2024, la pétro-dictature se prépare désormais à donner en
spectacle au monde son « procès de Nuremberg », en jugeant dans les semaines à venir 15 prisonniers/ otages d’Etat, dont 8 anciens dirigeants de la République auto-déterminée de l’Artsakh. Les chefs d’accusation (terrorisme, guerre d’agression, trafic d’armes, traversée illégale des frontières, formation illégale d’unités armées, crimes de « génocide », crimes « contre le peuple azerbaïdjanais, etc…), et les condamnations précédentes prononcées depuis 2021, révèlent l’intention du régime d’Aliev de délégitimer l’affranchissement du peuple d’Artsakh de la tutelle azérie.

Or, sans vouloir approfondir la question de la légitimité de l’Artsakh auto-déterminé, rappelons simplement que sur les 28 années de médiation du groupe de Minsk de l’OSCE, l’Azerbaïdjan a négocié pendant 22 ans pour une solution du conflit intégrant le principe de l’auto-détermination de l’Artsakh. L’exigence d’Aliev de dissoudre le groupe de Minsk comme préalable à une hypothétique signature d’un traité de paix avec l’Arménie poursuit assurément cette intention de gommer définitivement ce passé embarrassant, et à réussir à consacrer ainsi la décision unilatérale du Parlement de l’Azerbaïdjan d’août 1991 d’annexer la région autonome du Haut-Karabakh.

Ces 23 otages, comme leurs compagnons de malheur déjà libérés, ont payé de leur liberté leur dévouement à l’idée d’un Artsakh démocratique et indépendant, face à une dictature raciste et sanguinaire. Nous avons le devoir de les protéger.

A la veille de ces procès, dont personne ne doute de leur  caractère politique destiné à faire valider par la Communauté internationale à la fois le nettoyage ethnique des Arméniens d’Artsakh, et les futures agressions de l’Arménie par Aliev, le collectif LIBERTAS appelle à la solidarité avec les otages d’Etat, internés ou libérés. Il appelle les grandes organisations des droits de l’Homme à s’opposer à l’arbitraire de la pétro-dictature d’Azerbaïdjan.

En ce moment décisif de notre histoire, le niveau de l’action collective que nous pourrons générer à l’occasion de ces procès sera un indice permettant de mesurer notre sens des responsabilités face au racisme d’Etat, à l’oppression et aux discriminations qui avaient jadis créé le puissant élan pour l’affranchissement du peuple arménien du Karabakh.

https://www.libertas2020.com